GALETTE SAINT MICHEL (Rocard)
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Un grand merci à Michel Rocard d’avoir tenu les propos les plus fracassants de l’été politique, plus fort que Bayrou et Sarkozy réunis. Si vous avez déniché ce qui est présenté abusivement par le Nouvel Observateur du 18 août comme une tribune (« par Michel Rocard »), et qui est en fait un entretien avec Claude Askolovitch, vous l’aurez sûrement dévorée goulûment, et probablement éprouvé comme moi à l’égard du vieux Michel un sentiment de gratitude émue.
Car enfin, il faut reconnaître à Michel Rocard la vertu de la continuité idéologique depuis trente ans. Je l’ai toujours connu pontifiant, professoral et méprisant, mais je n’avais sans doute pas assez mesuré le degré de haine qu’il ressent envers ceux qui ne pensent pas comme lui, et par conséquent je m’interroge maintenant sur le rapport de cet homme, qui fut le premier ministre de mes vingt ans, au pluralisme et à la démocratie.
Cette haine, si longtemps contenue, éclate lorsque, pour une fois, le libéral Rocard est minoritaire dans le pays, une première depuis 1983. Vive le Non, qui libère les pulsions, trop longtemps refoulées !
Donc Michel Rocard, qui a choisi son camp, est sorti comme un diable de sa tranchée, dans laquelle des rats mordent ses godillots de grognard.
Et il gueule fort, le bougre ! Il se considère (voyez qu’on n’est pas si loin de la boue des tranchées) en ... 1905, et estime qu’ »il faut régler ce débat centenaire entre pseudo-marxistes et vrais réformistes ». S’il ne m’était jamais venu à l’esprit de le classer parmi les guesdistes, je suis resté pantois en lisant que Rocard se considérait jaurèsien. Un coup à tuer net Chevènement et Gallo !
Une fois cette révélation accomplie, il classe Emmanuelli parmi les « guesdistes sincères ». Mais comme le fiel n’est jamais loin chez Rocard, Henri Emmanuelli est flingué quelques lignes plus loin, à l’occasion d’un nouvel aveu de narcissisme et de mégalomanie : « Emmanuelli a préféré me casser les reins plutôt que me laisser affronter Chirac au nom du PS à la présidentielle de 1995. Vous vous rendez compte, j’aurais peut-être gagné. Quelle horreur ! » Une horreur, rien que cela... Horreur s’il avait gagné ? Allez, je plaisante ! Mais l’humour n’a jamais été le fort de notre petit gris nasillard.
Pour Rocard, à l’heure où Jacques Attali redécouvre Marx et que même Alain Minc estime que « l’on n’échappe pas à Marx », « il faut jeter à la poubelle ce patois marxiste qui fait écran à la réalité ». Et il se définit, après avoir regretté (lui aussi, mais pour des raisons exactement inverse des miennes) que l’on ne soit « jamais vraiment sorti de la parenthèse libérale », comme un social-démocrate européen. Et cela tombe bien, parce que je suis un socialiste français, et qu’un certain nombre de camarades du PS vont avoir à se positionner là-dessus, sachant que cette dernière identité peut, comme l’a dit Jaurès (cité cette fois j’espère à meilleur escient) se voir accolée avec cohérence le qualificatif « internationaliste ».
Qu’il ne voie que Strauss-Kahn ou Hollande pour défendre crédiblement cette orientation en 2007 me conforte dans mes choix et analyses. Et à supposer même que « la démarche de Fabius est profondément opportuniste », ce que je peux entendre, elle est en tout cas d’une part nettement plus en phase avec le pays « réel » (la fameuse réalité, à laquelle Rocard veut sans cesse nous renvoyer, mais qui n’est pas celle que nous connaissons) et non moins nettement plus intelligente par son discours (mitterrandien ? oui, tant pis !) d’ouverture et de rassemblement que cette perle rocardienne, à relire plusieurs fois pour le plaisir de se dire que, décidément, on eu raison le 29 mai : « comment peut-on être intelligent, participer à des cercles universitaires et créer Attac, ce monument de bêtise économique et politique ? ». C’est vrai ça, comment peut-on être intelligent sans être d’accord avec Michel Rocard ? Comment imaginer qu’il puisse y avoir pour une communauté humaine plusieurs politiques possibles ?
Et maintenant voici ce qu’a appris la campagne référendaire à Michel Rocard - dont il ne s’était pas rendu compte plus tôt, un gramme de naïveté dans une tonne d’agressivité : « Quand je lis les tenants du non à la Constitution européenne, je me rends compte à quel point des gens comme moi sont un boulet pour eux (...) Ils croient au retour de la politique nationale (...) Au fond, nous devenons de jour en jour insupportables les uns aux autres. Nous nous paralysons mutuellement. Nous devons nous libérer (...) [et si Fabius et Mélenchon l’emportent] Ce serait un tremblement de terre (...) Il faudra peut-être envisager la création d’un nouveau parti ».
Un deuxième tremblement de terre en un semestre, cela commence à faire beaucoup, même pour Michel Rocard, surtout à son âge. Mais Saint-Michel a baissé le heaume se son casque et sorti son épée. Porté par sa foi il se battra jusqu’au Mans pour terrasser le dragon guesdiste, et envisage l’indicible, si ce n’est l’impensable, car « cette fois il faut trancher » : la scission du parti socialiste.
Jamais en effet depuis 1971 ce mot n’a été prononcé - ou alors ma mémoire me joue des tours (peut-être même des Tours ?). Sa réalité s’est pourtant produite, en 1993, et c’est Jean-Pierre Chevènement, le vieil adversaire idéologique de Rocard au PS, qui l’a accomplie, mais sans l’avoir proclamée - et, avec le recul, sans l’avoir vraiment pensée non plus...
C’est pourquoi c’est l’émoi. C’est pourquoi nous savourons ce morceau de bravoure de Michel Rocard, comme une succulente galette. Dire le mot, c’est déjà permettre de penser la chose, et donc à terme de la faire. Et si nous avons beaucoup gardé du marxisme, au grand dam de Rocard, nous avons quand même pris quelques distances avec l’idée d’un sens de l’Histoire, d’une Histoire linéaire. L’unité des socialistes dans un parti socialiste, outre qu’elle n’est pas constatée dans chaque pays (l’Internationale socialiste n’a-t-elle pas un temps accueilli le PDS et le PSI ?), outre qu’elle n’est pas complète en France ni ailleurs, n’est pas un « talisman » (quoiqu’en dise, pour le coup, Laurent Fabius). Elle peut connaître des cycles. Peut-être une séparation aujourd’hui permettrait-elle une clarification utile à une nouvelle unité demain ou après-demain. Peut-être n’est-elle pas le « cadeau à la droite » dont parle Jean-Luc Mélenchon, puisque la droite irait alors à coup sûr divisée à l’élection présidentielle.
La coexistence de courants politiques différents, que l’évolution du monde a rendu divergents, au sein du parti socialiste est à la fois la recette (du mille feuilles) qui lui permet de prendre le pouvoir et de se partager le gâteau, et celle qui le lui fait reperdre à chaque fois, parce qu’elle l’empêche de mener la politique que le peuple (« de gauche ») attend de lui. La confusion savamment entretenue, par des ingrédients bien dosés, cette confusion est l’assurance-alternance du PS depuis 1988.
« La scission plutôt que la confusion » ? Allez Michel, pour une fois, je suis d’accord avec toi. Comme quoi, l’unité est toujours possible, un jour ou l’autre. D’ici-là... bon appétit !
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