LE TEMPS DES MEPRIS

jeudi 15 octobre 2009
par  Jean-Luc Gonneau
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Un ami, aimable DRH d’une importante association, reprend souvent à son compte cette vieille maxime attribuée à la Chine : « le poisson pourrit par la tête », lorsqu’il détecte des dysfonctionnements dans un établissement. L’adage, ce n’est pas neuf, trouve de nombreux exemples à travers l’histoire des nations. Et convenons que nous autres français, à l’instar de nos voisins italiens, sommes particulièrement gâtés (dans tous les sens du terme) depuis quelques années. Le mépris qui sert de fil directeur à notre omniprésident se diffuse dans la société. Minute, objecterons certains : Nicolas Sarkozy, pour envahissant qu’il soit, ne saurait être chargé de tous les péchés, nous avons connus, des éminences, de droite ou de gauche, qui trimballaient, eux aussi, leur lourd paquetage de mépris. Exact. Ils ajouteront, toujours avec raison, que le mépris va de pair avec le capitalisme. Nous remarquerons, non mais, que le mépris n’a pas attendu ce capitalisme pour exister : noblesses d’anciens régimes, mandarins orientaux ou universitaires, éminences ecclésiastiques de tous poils ne se sont que rarement distingués par leur forte attention au genre humain. Mais revenons à aujourd’hui. Le « bling bling », devenu un peu plus discret, sondages obligent, en France, mais toujours aussi exubérant en Italie, où il s’accompagne de propos dont l’odieux le dispute à la vulgarité à propos des femmes, des journalistes, des juges (sur cette corporation, notre -hélas- président de tout, n’est pas mal non plus), n’est-ce pas une forme de mépris ? Et le népotisme dont nous vivons un exemple ahurissant ? Et le non-respect de la volonté populaire (nous refiler le traité de Lisbonne, copie quasi conforme du projet constitutionnel européen que nous avions envoyé valser, exemple parmi d’autres) ? Puisque le chef se croit tout permis, il ne manque pas d’autres chefs, plus sectorisés, petits ou grands pour lui emboîter le pas.

On se souvient de la morgue de Daniel Bouton, immortel inventeur du « bouton », unité monétaire de cinq milliards d’euros (la perte due à J. Kerviel). On se souvient du dédain de Serge Tchuruk, génial concepteur de l’ « industrie sans usines » (c’est-à-dire sans salariés, mais avec des stock options), ex « manager de l’année » désigné par ses pairs, qui a conduit son groupe au bord de la faillite et qui est maintenant, probablement, un joyeux retraité à chapeau. Et nous n’oublions pas Jean-Marie Messier « maître du monde », qui semble aller toujours « mieux que bien » et se permet de donner des conseils pour sortir de la crise, vendus fort cher. Derniers entrés dans ce club de m’as-tu vu : Henri Proglio, qui va probablement devenir président d’EDF, mais sans lâcher Véolia, dont les résultats, au demeurant, sont vacillants malgré ses immenses qualités, dit-on, mais que ne dit-on pas, de dirigeant ; et le petit gang de direction de France Télécom, qui a poussé aux extrêmes le mépris des salariés.

Retenons bien leurs noms, non pas pour les jeter à la vindicte publique, mais pour ce qu’ils symbolisent. Le PDG, Didier Lombard, l’homme qui parle de « mode du suicide » (suicidez vous, c’est tendance, c’est hype !), qui laisse construire un nouvel immeuble de bureaux sans terrasses ni ouverture des fenêtres, bref une prison branchée, brillant ingénieur, dit-on, et c’est probable, PDG lamentable, voit-on, et c’est certain. Son ex numéro 2, Pierre-Louis Wenes, opportunément démissionné parce qu’il fallait bien que quelqu’un porte le chapeau, pur produit de ces cabinets de consultants nourris à l’idéologie ultralibérale anglo-saxonne, pour laquelle les salariés ne sont rien de plus qu’un stock, qu’un stock, ça coûte cher, et que moins en a mieux on se porte, Olivier Barberot, le DRH qui ne voit rien venir, et rien quand ça se passe. Sans oublier une mention d’honneur pour celui qui a initié cette « modernisation » suicidaire, l’illustre Thierry Breton. France Télécom est en ligne de mire, mais le mépris des salariés s’est répandu dans un très grand nombre d’entreprises. La chair à canons « moderne », ce n’est plus les soldats, mais les salariés. Le mépris n’épargne pas les administrations. Un cas parmi d’autres, celui de ce petit chef qui rêve d’un cabinet ministériel, reçoit par fournées avec alcools et vins fins aux frais du contribuable, n’hésite pas à transformer à cette occasion des salariées en hôtesses d’accueil ou soubrettes, écrase son personnel de sa suffisance, avec ses chouchous (plutôt des chouchoutes, le bougre, et attention à ne pas cesser de plaire) et la cohorte de dépressions qui vont avec ce comportement de satrape. La caste dirigeante s’est engouffrée dans les boulevards ouverts par l’impuissance syndicale et, disons-le, la servitude volontaire de beaucoup de nos concitoyens. La Boétie, l’ami de Montaigne, le penseur politique français maudit, exclu longtemps des bibliothèques et des programmes de l’éducation nationale avait déjà décrit cela.

Pour sortir de ces cauchemars, un effort immense doit être accompli, un combat incessant pour l’inversion des valeurs. L’action individuelle, aussi splendide fût-elle, ne remplacera jamais l’action collective, les sportifs le savent, hors quelques individus starisés isolés dans leurs bulles et leurs millions. Nous n’avons pas besoin d’universités compétitives, mais d’universités excellentes. Nous ne voulons pas d’une société tournée vers la sanction, certes parfois nécessaire, mais tournée vers la reconnaissance, mesurée si chichement aujourd’hui. Le travail n’a pas à être une souffrance mais un accomplissement. Qu’il est réconfortant, cet ami chanteur de fado qui nous dit qu’il s’éclate dans son métier de menuisier. Ce n’est pas le technicien de France Télécom devenu vendeur en ligne qui pourrait tenir le même discours, ni ressentir le même épanouissement, derrière ses fenêtres étanches. La liste serait longue des valeurs à réinvestir. Ce pourrait être notre jeu de l’automne, un jeu ou tout le monde aurait à gagner.

Notre confrère Le Canard Enchaîné distribue régulièrement des « noix d’honneur », qui récompensent les plus belles âneries proférées par nos politiciens. En voici une qui ne déparera pas cette réjouissante galerie. Elle est due à Roger Karoutchi, ex-ministre et toujours apparatchik UMP : à propos de la probable nomination de Sarkozy Jr à la tête de l’EPAD de la Défense, il proclame : « Il faudrait que les politiques aient un peu de mémoire et de culture. C’est à 24 ans que Hoche et Marceau ont été nommés généraux ». C’est vrai, Roger (vous permettez qu’on vous appelle Roger ?). Mais en ce temps, la république était en danger. Quel danger court l’EPAD de la Défense ? Celui de ne pas rapporter assez de sous dans les caisses des promoteurs immobiliers amis du pouvoir ? Le danger qu’il fait courir, en revanche, est bien connu : l’intensification des bureaux tourne le dos à tous les « grenelle de l’environnement » que l’on pourrait imaginer, la concentration de bureaux ( à fenêtres inouvrables, on espère) à toute politique de la ville digne de ce nom, et la conception même de l’opération est conduite au mépris (on y est toujours) de la démocratie puisque les communes concernées, dont les représentants sont élus, eux, sont majoritairement hostiles aux développements prévus. Revenons à la culture et à l’histoire. Roger Karoutchi a raison de déplorer le manque de culture et de mémoire des hommes politiques (mais un conseil, Roger, vous permettez qu’on vous appelle Roger ?, ne le dites pas trop fort. Certain, à l’Elysée et d’autre, bientôt à l’EPAD, pourraient se sentir visés. Mais, Roger (vous permettez…), n’oublions pas que Marceau est mort au combat et Hoche d’épuisement, le premier à 27 ans, le second à 29. Nous n’oserions croire, cher Roger, que vous prévoyiez un si funeste destin au rejeton de votre président. Rassurons-nous au demeurant, la présidence de l’EPAD n’a pas à ce jour causé de mort d’épuisement, et moins encore au champ d’honneur. Enfin, culture toujours, cher Roger, relisez donc La Boétie, décidément incontournable comme il se dit maintenant. Il dit des choses très sensées sur les courtisans.


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