IDENTITE : DROLE DE FIERTE !
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Dans une contribution parue dans le journal Le Monde du 4 novembre, autant dire au même moment que M. Besson lançait, sur ordre du Chef, un « grand débat » sur l’identité nationale, Madame Sylvie Goulard, députée européenne, énonçait les valeurs qu’elle considérait comme fondamentales pour l’Europe. L’Europe, écrit-elle, n’est pas seulement un grand marché, mais aussi « la suprématie du droit, la liberté, la démocratie, la solidarité ». Rien que ça, que rappellent, selon elle, les traités successifs.
Madame Goulard a raison. Encore faudrait-il préciser les périmètres dans lesquels ont cours ces « valeurs ». De même que les valeurs qui fonderaient l’ « identité nationale » ne peuvent avoir de sens que si on les confronte aux réalités. Revenons aux valeurs dont Madame Goulard pare l’Europe. Suprématie du droit ? Peut-être, mais de quel droit s’agit-il ? Du droit des entreprises à s’affranchir des règles sociales nationales les plus avancées, comme le montrent plusieurs arrêts de la cour de justice européenne ? Du droit de chaque pays à défendre, créer, développer les services publics qui lui conviennent ? La notion même de service public est étrangère à l’Europe institutionnelle. Du droit à un salaire minimum ? Presque un gros mot en novlangue européenne. Liberté ? Certes l’Europe échappe au joug totalitaire, mais nous constatons, en tant qu’européens, que l’Union est devenue une machine à interdire tout ce qui n’est pas conforme aux intérêts des entreprises industrielles et financières et, en tant que français, que cette industrie de l’interdiction est poussée chez nous avec enthousiasme par nos gouvernants. La liberté, Julien Coupat et ses amis doivent en avoir une idée, concrète, bien différente des discours européens ou nationaux. Sans parler des trois afghans renvoyés vers le chaos, dont on pressent bien qu’ils sont considérés comme des cobayes : si « ça passe » pour ces trois là, il y en aura d’autres, et bien plus nombreux. Démocratie ? Là encore, si nous sommes loin du totalitarisme, relevons que les démocraties européennes ne sont souvent que partielles. Ici et là (notamment ici, en France), les règles électorales sont arrangées au profit de la classe politique dominante. Chez nous, le projet de réforme des scrutins locaux est fabriqué pour éliminer pratiquement tous les partis, sauf les deux dominants : démocratie partielle, à l’anglo-saxonne. La solidarité ? Parlez-en aux roms de certains pays de l’est européen. Parlez-en aux exclus qui prolifèrent dans cette Europe « solidaire », et dont les pouvoirs sis à Bruxelles se contrefichent. Ils n’ont pas, eux, de lobbyistes permanents autour de la rue de la Loi.
Le débat de M. Besson se situe dans ce cadre là. Et comme « débat », ça commence bien : le site officiel qui lui est dévolu, et qui invite les citoyens à s’exprimer sur la question, est, comme on dit, « modéré » : toute contribution un brin dérangeante pour la version gouvernementale de l’identité nationale (celle de la « terre qui ne ment pas » chère aussi à Philippe Pétain) est passée à la trappe. Comme le disait M. Besson, non sans mépris, lors d’un émission télévisée face à des contradicteurs, dont le philosophe Michel Onfray : « Je vois que vous donnez d’entrée dans la nuance et la subtilité ». Figure rhétorique déstabilisatrice bien connue : on dévalue d’entrée tout ce que pourra dire le contradicteur. Le subtil et nuancé, c’est moi, veut dire M. Besson. Ce qui ne saute pas aux yeux. Malhonnêteté intellectuelle ? La formule n’est pas trop forte.
Le but de la manœuvre est double : un non-dit, piquer des voix à ceux qui seraient tentés par un vote à l’extrême droite, et un assumé : faire que les français soient fiers d’être français. Quelle idée ! Que vient faire la fierté là dedans ? On peut éprouver de l’amour, ou de la tendresse, pour son pays, sa culture, son histoire, ses paysages, son patrimoine. Ce qui n’empêche pas de conserver son sens critique. Lorsque Nicolas Sarkozy annonçait vouloir en finir avec la repentance, il cultivait l’ambiguïté : il y a lieu de distinguer la repentance, aussi inutile que la fierté, de la lucidité sur les erreurs, voire les crimes du passé. Et du présent. Comment être « fier » d’un pays qui est présidé par un Nicolas Sarkozy qui torpille les services publics, démantèle la justice, distribue les privilèges, protège les puissants (ah ! ce bouclier fiscal !). Faut-il cependant fuir ce débat ? Nous ne le pensons pas. Renommons-le plutôt : sur quelle valeurs concrètes nous reconnaissons-nous ? Quelles conséquences concrètes en tirons-nous ? Comment peut-on aujourd’hui concilier des particularités nationales avec l’universalisme dont la république française a été le porte-voix ? Voilà à notre sens des questions utiles, utiles au pays, utiles à la gauche.
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