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L’(AUTO)EXTERMINATION DE LA CLASSE OUVRIERE

mercredi 4 novembre 2009
par  Jacques Broda
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Il y a vingt ans, à Marseille nous inaugurions un colloque : ‘Travail et Santé Mentale’, nous pointions déjà à l’époque les atteintes à la santé psychique dans un article : ‘Pression, répression, dépression’.(1) Nous étions au début de la grande opération d’(auto)-extermination salariale, via le chômage, la (sur)charge de travail, la mobilisation psychique, la précarisation de tous les rapports sociaux, la régression des organisations de classe, et du parti communiste comme vecteur identitaire. Vingt ans de recherches dans les quartiers populaires, les cités, le Secours Populaire, les jeunes étudiants, vingt ans de quêtes et d’enquêtes me conduisent au concept d’auto-extermination. Il me semble supérieur à la notion de santé mentale ô combien dépassée, à la notion de souffrance au travail, cette dernière évacue dans son énoncé les rapports sociaux, se contente des relations salariales. Aucune analyse ne saurait évacuer la violence de l’exploitation de l’homme par l’homme ; c’est à partir de ce rapport qu’il faut interroger la déferlante actuelle. Le sens du travail ne se confine pas à la sphère limitée de l’atelier, du bureau, du groupe des pairs, du collectif, des petits chefs et des pressions hiérarchiques. La spoliation généralisée - jusqu’à l’extermination - c’est le travail du capital.

L’extermination par le travail et dans le travail est mise en jeu à partir des trois formes d’extraction de la plus value : plus-value absolue, plus-value relative, plus-value extra. Dans la mondialisation, ces trois formes d’extraction sont mises simultanément à l’œuvre à partir des modes de management essentiellement basés sur l’évaluation et le contrôle des activités humaines, insupportables aux sujets vivants. J’ajouterai une quatrième plus-value, la plus-value intégrale, celle qui totalise les trois classiques plus une plus-value qui s’obtient par l’appropriation de toutes les capacités humaines : physiques, cognitives, psychiques, voire inconscientes. Le travailleur sollicité corps et âme, s’engage à fond sous les fourches caudines du capital, avec la capacité d’intégrer toutes les formes d’exploitation en une seule, jusqu’à son intégrité singulière. La plus-value intégrale c’est l’exploitation jusqu’à la mort du désir. Quand la mort du sujet et du collectif sont le cœur du rapport social, nous parlerons d’(auto)-extermination.

Depuis trente ans les stratégies capitalistes ont visé à la destruction des organisations et des syndicats de classe, des partis révolutionnaires porteurs d’un projet d’émancipation. Sans utopie, sans idéal, sans une transcendance politique du travail et de l’acte au travail, le travailleur se retrouve seul, nu. On assiste alors à un long processus de dégradation, de découragement, de renoncement, de trahisons voire de corruptions quant aux idéaux et aux projets universels qui dépassent très largement la question de la maîtrise de son espace de travail, de sa ligne de profit. Cette contradiction qui se loge au sein de la valeur, Marx la désigne comme travail abstrait. La distorsion cosmique entre travail concret et travail abstrait signe la crise d(a)u travail.

La perte de sens, de dignité, la soumission aux pressions ne peuvent être combattues qu’en liquidant le Capital comme forme de domination généralisée du travail et du travailleur. Quand plus rien ne fait sens, quand le sens de son existence surinvestie dans le travail s’effondre, quand les adhésions imaginaires aux logiques managériales se dévoilent dans leurs cruautés, le sujet s’effondre, dans un face à face mélancolique avec la seule instance qui ne le trahit pas : la mort.

Les suicides au travail, sont la face immergée d’un iceberg. Ils signent un mal universel : au Japon tous les matins des travailleurs se jettent sous les trains (2). Dénoncer d’un côté la crise financière et de l’autre la souffrance au travail sans les mettre en rapport pour le coup est suicidaire de la politique. Il ne s’agit pas de réguler le capital d’un côté et de changer le travail de l’autre, il s’agit de construire la totalité inédite du sens humain de nos actes. Trop de morts, trop de souffrances, trop de désespoirs, trop de vies gâchées à l’autel du profit capitaliste ! Le moment est venu de rassembler toutes les forces de résistances. Si nous voulons changer le monde, il faut le nommer, et comme nous l’enseigne Freud, remonter aux causes, appeler un chat un chat !

(1) Broda, J ; « Pression, Répression, Dépression », Perspectives psychiatriques, 1990, n°22 (2) ‘Stress, surmenage, la mort en silence de milliers de travailleurs japonais’ (AFP) – 11 janv. 2009


Commentaires

Logo de surmely alain
lundi 11 janvier 2010 à 20h13 - par  surmely alain

Dans le sens que vous indiquez il y a matière à compréhension même si la notion d’"auto-extermination" peut paraître assez lourde.D’autre part,le processus économique qui est à l’oeuvre ne saurait en aucune manière se limiter à la "classe ouvrière".Cela est même pire,d’une certaine façon,puisqu’il vise,concerne nombre de salariés hautement qualifiés,notamment des "cadres".Il n’en demeure pas moins vrai que les suicidés de France-télécom sont d’une certaine façon la partie émergée de l’iceberg capitaliste.Pour comprendre ce non-sens,car le suicide est un non-sens en prolongeant la réflexion camusienne sur le suicide,il faut plonger dans le monde de l’entreprise,le monde du travail d’aujourd’hui,secteurs public et privé confondus.Et au-delà,à mon sens,les suicides de ces différentes "sociétés"(France-Télécom,Renault,Peugeot,administrations diverses également dirigées suivant les méthodes du management de la terreur)sont le signe le plus tangible d’une crise de civilisation,d’une décadence.

A l’aide de mon expérience personnelle,de l’information à laquelle nous avons tous accès ainsi que d’un livre(Christophe Dejours,Souffrance en France.La banalisation de l’injustice sociale,Ed du Seuil,1998),je suis parvenu à cette conclusion:désormais il ne faut plus ambitionner de tendre vers le progrès social mais d’enrayer la spirale infernale du déclin social.S’agit-il d’un recul irréversible ?Ce qui est certain c’est que l’oeuvre de Christophe Dejours est importante pour prendre la mesure du "problème",c’est-à-dire pour savoir d’où l’on part.

Bonne lecture,bonne réflexion et bonne année quand-même.

Logo de pierre morville
mardi 10 novembre 2009 à 16h36 - par  pierre morville

Bonjour,
l’argumentaire sur la scission entre travail abstrait et travail concret dans un monde globalisé et financiarisé ne manque pas de pertinence.
L’utilisation du concept "d’auto-extermination" (avec les polémiques relatives à ce terme-même : à quand les "camps d’auto-extermination ?") me parait relever d’une dramatisation ubuesque. Et donc totalement contre-productive, alors que le sujet de l’aliénation reste d’une totale actualité.
A trop vouloir prouver...

Pierre Morville Délégué syndical central CGC/UNSA
du groupe France Télécom-Orange, membre fondateur de "l’observatoire du stress" sur la même entreprise

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