LA CASQUETTE DE LA MERE MORANO

lundi 21 décembre 2009
par  Alain Ruscio
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Je sais, ce n’est pas poli de parler ainsi d’une ministre, ce n’est pas joli d’interpeller ainsi une dame. Mais, que voulez-vous, je suis de ceux qui assassineraient père et mère pour faire un trait d’esprit. Je ne sais si c’est un trait d’esprit, après tout. Mais une association d’idées, ça, oui. Morano, Bugeaud, rime pauvrissime, mais quand même, petit clin d’œil de l’histoire. Quand on travaille depuis quelques (dizaines d’) années sur l’implantation de l’esprit colonial en France, ce qui est mon cas, on ne peut pas ne pas avoir croisé le brave Père Bugeaud et sa casquette. Ciel ! Il est ressuscité !

Bugeaud a été continûment, de sa première mission en Algérie (1836) à la veille de la décolonisation – voire après – un des héros positifs dont l’écriture épique de l’histoire coloniale de la France n’a pas été avare. Quel écolier des III è, IV è et même V è République a-t-il pu oublier qu’aux côtés de Vercingétorix, de Jeanne d’Arc et de Bara, il fut une figure emblématique de la bravoure française ? L’histoire de sa casquette a présenté un bon bougre, rigolard, un peu étourdi, mais si proche des siens :

« As-tu vu La casquette, La casquette As-tu vu La casquette Du Père Bugeaud ?“

La vérité, pour le peuple algérien, est moins, comment dire ? drôle. Bugeaud est celui qui a couvert et encouragé les enfumades, qui a préconisé et appliqué la guerre impitoyable, parfois d’extermination, aux indigènes d’Algérie. N’oublions jamais qu’avant celle de 1954-1962, il y avait eu une première guerre d’Algérie, qui dura deux décennies. Après la publication de son recueil Actuelles III, consacré à l’Algérie (1) , Albert Camus reçoit une lettre d’un instituteur kabyle, qu’il rend publique. Son interlocuteur rappelle une anecdote : « A cette époque [vers 1938], la femme du djebel ou du bled, quand elle voulait effrayer son enfant pour lui imposer silence, lui disait : “Tais-toi, voici venir Bouchou“. Bouchou, c’était Bugeaud. Et Bugeaud, c’était un siècle auparavant ! » (2).

Mais, du maréchal de la France monarchiste à la sous-ministre de la France sarkozyste, quel lien ? La casquette ! La casquette ! Mme la secrétaire d’Etat chargée de la Famille et de la Solidarité a donc déclaré : « On ne fait pas le procès d’un jeune musulman. Sa situation, moi, je la respecte. Ce que je veux, c’est qu’il aime la France quand il vit dans ce pays, c’est qu’il trouve un travail, et qu’il ne parle pas le verlan. C’est qu’il ne mette pas sa casquette à l’envers ».

Il s’agissait d’un n.ième débat sur l’identité nationale. La presse rapporte qu’elle a été interrogée par « un jeune homme, proche du FN » (3) sur la compatibilité entre Islam et République. Qu’une responsable politique, une de plus, accepte même de porter le débat d’abord sur l’islam est une preuve supplémentaire de la canaillerie de la façon de poser la question. Entre le jeune homme proche du FN et la jeune femme de plain-pied dans l’UMP, une même arrière-pensée, désormais même plus dissimulée : que font-ils chez nous ?

La radicalisation de la jeunesse dite musulmane est, pour l’immense majorité d’entre eux, on ne le dira jamais assez, une réponse à cette hostilité montante, une protestation, même maladroite, même détestable, contre une (partie de la) France qui ne l’aime pas. Ces jeunes se sentent en état de permanente autodéfense, et la vérité oblige à dire qu’ils ont souvent raison. Après la stigmatisation du voile, certes dérangeant mais à l’évidence bien fragile pour menacer la grande République française, après la chasse à la burqa (une vraie affaire d’Etat pour… 367 sur tout le territoire )(4), voici venu le temps de la traque à la casquette.

Continuez, Madame la sous-secrétaire d’Etat (ou demandez à vos collègues de prendre le relais). Et la barbe ? Comment tolérer que, sur le territoire d’une société où domine l’imberbitude, des barbus à l’évidence extrémistes provoquent ainsi le bon sens ? A la tondeuse, les poils islamiques ! Et le keffieh ? Comment comprendre que des jeunes adoptent ce symbole d’un peuple enchaîné, nié, refoulé ? A la poubelle, les foulards palestiniens ! Libérez les crânes, les mentons, les cous musulmans ! Que l’on voie enfin ces gens à visage découvert ! On saura alors, peut-être, ce qu’ils ont dans le ciboulot.

Quand j’étais adolescent, face aux réactionnaires forcenés qui n’appréciaient pas mes engagements, j’arborais volontiers un foulard rouge quelque peu provocateur. Et je savourais la rage de mes adversaires. Petit défaut de jeunesse. Je ne plaiderai certes pas pour que le port généralisé de la casquette à l’envers soit la seule réponse à Madame Morano. Mais avouez qu’elle le mériterait.

(1)Paris, Gallimard, 1958

(2)Instituteur, Lettre, citée par Albert Camus, Revue Preuves, n° 91, septembre 1958

(3) Libération, 16 décembre

(4) Enquête du Ministère de l’intérieur, 29 juillet 2009. Même si ce chiffre est probablement minimisé, même s’il y a un millier de burqas en France, cela n’infirme pas le raisonnement

Alain Ruscio est historien


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