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EUROPE : LA « CHUTE » DE MICHEL ROCARD

vendredi 22 janvier 2010
par  Michel Peyret
popularité : 84%

Chacun peut y aller de son couplet. Avec Humphrey Bogart , c’était « Plus dure sera la chute », l’histoire d’un boxeur victime d’un trucage des matchs. Pour Bernard Lavilliers , c’est celle d’un chanteur : « Je suis qu’un produit, un tapis de dollars, je suis qu’un paumé , cynique et dérisoire, je suis qu’un bouffon planqué sous ses paillettes, je suis qu’une chanson , qu’on presse et puis qu’on jette. Pour Agora Vox, « le média citoyen », « les chutes se suivent et ne se ressemblent pas : celle du mur de Berlin et celle de Nicolas Sarkozy dans les sondages à mi-mandat ne sont pas de même nature ». Les variantes peuvent s’égrener à l’infini dans la diversité des situations qu’elles évoquent. C’est pourtant celle de Michel Rocard, à l’heure de ce que l’on disait être son départ à la retraite, qui a causé le plus grand fracas , ne serait-ce que par l’importance du sujet abordé .

L’EUROPE POLITIQUE EST MORTE !

« L’Europe politique est morte », a confirmé Michel Rocard lors d’une émission de France-Inter. Il n’était pourtant pas « droit dans ses bottes » mais semble plutôt y être allé avec « ses gros sabots » de donneur de leçons qui lui permettaient de rompre avec l’habituel langage diplomatique de rigueur. Il a ainsi estimé que la nomination du Premier ministre belge Herman Van Rompuy à la tête de l’Europe était une « mauvaise décision » jugeant qu’il aurait fallu quelqu’un d’expérimenté plutôt qu’ « un petit nouveau ». « Je pense que c’est une mauvaise décision, je la regrette profondément », mais « l’Europe politique est morte en fait, elle a déjà subi cinq assassinats tous meurtriers ». Selon lui, l’ensemble des pays européens, Royaume-Uni en tête, veulent en fait « préserver leurs territoires et empêcher que l’Europe devienne une entité capable de faire vraiment de la politique à leur place ». « M. Van Rompuy est probablement un homme charmant, tout ce que l’on dit de lui est complètement délicieux » mais « le président de l’Europe doit être quelqu’un qu’on a vu au travail depuis quinze ans ou vingt ans avant et que l’on connaît. Un petit nouveau, même s’il est bien , il va lui manquer ce ressort » , a-t-il dit .

DANS LA CARICATURE !

« Quant à l’idée de confier la diplomatie de l’Europe à l’Angleterre, c’est-à-dire à un pays qui ne veut de diplomatie européenne en aucun cas , là on est dans la caricature », a-t-il commenté la nomination de la Britannique Catherine Ashton au poste de représentant de l’UE aux affaires étrangères. On perçoit bien que le caractère du propos exprime une profonde déception de l’évolution de ce cours européen. Michel Rocard en avait bien évidemment une autre vision, certainement aussi fédérale qu’il était possible qu’elle soit. C’est d’ailleurs le propos qu’il tenait le 27 avril dernier dans un entretien accordé à Lyon Capitale. A la question « Et qu’est devenu votre rêve d’Etats-Unis d’Europe ? », il répondait : « Ce rêve a été tué par l’arrivée de la Grande-Bretagne en 1972. Depuis, elle s’est toujours opposée, et toujours avec succès, à toutes les tentatives de faire émerger l’Europe politique. A mon avis, il n’y en aura jamais. Il y a une majorité contre au Conseil de l’Europe actuellement.

RECREER UNE UTOPIE EUROPEENNE

« Mais, ajoutait-il, l’Europe a en commun son modèle économique et social, c’est-à-dire que la possibilité d’une réponse à la crise existe. Et cela peut suffire à aider, avec les Etats-Unis s’ils acceptent, à sortir de la crise et donc à redonner une formidable identité à l’Europe. Mais l’Europe diplomatique et militaire, c’est mort ». Aussi, quand le journaliste poursuit l’entretien en l’interrogeant : « Comment recréer une utopie européenne ? », Michel Rocard fait remarquer qu’il est en train de le faire en lui parlant ainsi et ajoute : « L’espoir, c’est que l’Europe, qui a quand même le meilleur modèle économique et social, arrive non seulement à le préserver, mais à en faire la base de redémarrage d’une économie mondiale perturbée. C’est un espoir fou. Mais les Français sont dans la mythologie : ils pensent qu’on ne fait de la politique que lorsque l’on parle des armées et de la diplomatie. Ce n’est pas vrai. Il va falloir s’occuper d’économie et considérer que c’est de la grande politique ».

L’ESPOIR FOU !

Michel Rocard est cependant un récidiviste dans le maniement de la contradiction sur laquelle il s’éternise : « l’espoir fou » dont il parle n’a pas de limites ! Le 9 mars précédent, également avant le scrutin du 7 juin dernier, dans une interview à Med Afrique, il disait déjà : « L’Europe politique est morte : il n’y a ni politique étrangère commune, le budget commun est ridicule et interdit toute politique de grande ampleur. L’Europe institutionnelle est dans l’incertitude. Le traité de Lisbonne reste susceptible d’être ratifié, mais avec le grand risque qu’il ne le soit pas avant les prochaines élections européennes. Mais c’est un traité mineur. Il n’y a donc plus de souffle ni de volonté et cela risque d’affecter gravement les prochaines élections européennes. Mais la crise économique et financière actuelle offre une toute autre perspective. L’absence de vrai pouvoir de décision en Europe – le Conseil recherche son unanimité même sur les sujets où il pourrait voter à la majorité – ne facilite pas la convergence... »

ALORS, VIVE LA CRISE !

Et haro sur les peuples européens ! Parce qu’il est évidemment nécessaire d’aller chercher les responsables où ils sont vraiment ! Certes, Michel Rocard, le 28 janvier 2007, invoque « l’inadéquation des compétences de l’Union avec les intérêts de la plupart des citoyens qui, de manière générale, ont déjà tendance à faire de moins en moins confiance aux institutions politiques pour répondre à leurs demandes ». Certes, c’est un sentiment renforcé par un secret des délibérations du Conseil des Ministres « contraire à la tradition démocratique de transparence des travaux du législateur » , la lenteur des procédures, mais également par le nombre très insuffisant de gouvernants prêts à prendre des risques pour approfondir l’intégration européenne. Cependant, si « le projet d’Europe politique est mort...s’il est nécessaire de rompre avec le fantasme des Etats-Unis d’Europe », c’est « qu’un fossé s’est établi entre les citoyens et les élites européennes » : une augmentation de l’abstention révélant une « apathie électorale » ; le rejet du traité constitutionnel ; la diminution du soutien à l’Union européenne même parmi les plus « européistes » comme la Suède, ou encore le militantisme pro-européen faible .

DU « SABOTAGE » ET UN SYSTEME CAPITALISTE TROP KEYNESIEN !

Et les raisons mêmes de l’espoir qui consisterait dans « le meilleur modèle économique et social » s’effritent, voire s’écroulent. C’est l’idée même de « sabotage » qui transparaît dans la décision de consacrer seulement 1,049% du PIB européen aux perspectives financières pour la période 2007-2013. Aussi, Michel Rocard dit assister à une augmentation du chômage, de la pauvreté, du travail précaire, à une peur croissante de la précarisation. Il ne faudrait cependant pas croire que c’est « un système capitaliste féroce, efficace et instable » qui serait responsable de cette situation, mais les institutions keynésiennes définies dans le traité de Rome « qui auraient contribué à avaler la férocité pour permettre l’efficacité grâce notamment à un système de redistribution sociale permettant au système capitaliste ainsi régulé d’engendrer une augmentation générale du niveau de vie ». Comprenne qui pourra comment l’on peut tout à la fois connaître le développement de la pauvreté et cette félicité due aux « institutions keynésiennes de l’UE ! »

UN BESOIN DE RECONVERSION MENTALE DES CITOYENS !

Au final cependant, et pour en revenir à l’idée principale de l’intervention de Michel Rocard , le « fossé » entre les élites et les populations européennes s’explique par « le besoin de reconversion mentale » des citoyens européens, la communication apparaissant à cet égard comme essentielle pour « expliquer les avantages de l’Union européenne ». Bref , qu’il s’agisse des résultats des référendums français et hollandais de 2005, ou de ceux du référendum irlandais de 2008, comme de l’abstention massive aux élections du Parlement européen de juin dernier, ce ne sont pas les politiques qui devraient être changées, même en considérant leurs caractères contradictoires selon Michel Rocard, mais ce sont les peuples qu’il conviendrait de soumettre à un lavage de cerveau conséquent, en tout cas suffisant pour parvenir à cette « reconversion mentale » ! Et suivant Michel Rocard, l’on est prêt à imaginer des foules innombrables faisant la queue aux portes des hôpitaux psychiatriques d’un autre âge afin de parvenir aux souhaits exprimés par le nouveau conseiller de Nicolas Sarkozy ! D’autres cependant sont disponibles pour concéder une part de vérité pour ne pas apparaître trop emberlificoter les explications et les causes et s’embrouiller dans les contradictions d’une rhétorique creuse.

ON N’A PAS CESSE DE MENTIR AUX EUROPEENS !

« On n’a pas cessé de mentir aux Européens ». Jean-Louis Bourlanges, ancien député européen et professeur associé sur les questions européennes à Sciences Po Paris, exprime ainsi son avis relatif aux choix faits par les responsables des pays concernés de l’Europe. « Traditionnellement, ajoute-t-il, il y a une lutte entre les plus disants et les moins disants communautaires. En l’occurrence, il n’y avait que des moins-disants, ce qui a réduit l’exercice à une classique négociation d’intérêts entre Etats... Tout cela n’est que le fruit de la volonté des dirigeants européens qui veulent un exécutif faible, dispersé et médiatiquement discret tout en prétendant l’inverse. Depuis 10 ans en effet , on n’a cessé de mentir aux Européens, en prétendant qu’on voulait donner un visage et une voix unique à l’Union alors que tout l’exercice a précisément consisté à marginaliser le Président de la Commission qui du temps de Delors faisait trop d’ombre aux chefs d’Etat et de gouvernements ». Mentir aux Européens pourrait donc apparaître comme étant une réalité de fait, bien installée dans la pratique institutionnelle de l’Union, sans que cet exercice puisse être sanctionné ou réprimé par ces mêmes institutions

LA GRAVITE DE CES AVEUX

Il est quelque peu extraordinaire quand même que la gravité de ces aveux n’entraîne aucune conséquence pour ceux qui s’installent ainsi dans la pratique systématique et finalement avouée du mensonge aux peuples ! D’autant que les voix porteuses de ces messages falsifiés semblent avoir été nombreuses. Ainsi dit Joël Aubert dans Aqui : « comment oublier , aujourd’hui, ces discours de campagne sur cette Europe qui allait enfin ne parler que d’une seule voix dans les affaires du monde ? ». Pour sa part, assez seul dans le pessimisme ambiant des morts annoncées ou des gestions tièdasses, Patrick Le Hyaric considère au contraire que « l’avenir d’une Europe efficace passe par un grand dessin social, démocratique, solidaire, écologique, comme s’il lui avait échappé que les poules n’ont pas de dents et ne sont pas prêtes à en avoir ! Cette persévérance mérite toutefois d’être notée alors qu’aux différents scrutins européens les milieux populaires où le PCF trouvait jusqu’alors l’essentiel de sa base électorale font défaut, expriment régulièrement et en rangs toujours plus nombreux les réticences voire les oppositions confirmées à toute forme de construction européenne, ayant eu dans la durée le temps nécessaire pour apprécier à leur juste mesure les discours euphorisants visant à « ne pas baisser les bras ».

LA HAUTE TRAHISON

Pour ma part, j’ai souvent apprécié publiquement les analyses de Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l’Université de Rennes-I et auteur du manuel de Droit constitutionnel publié par Economica, sans qu’il me soit opposé quelque argument que ce soit. Pourtant, quand on qualifie de « haute trahison » et de « coup d’Etat » les pratiques politiques du président Sarkozy voulant faire ratifier le « traité modificatif par voie parlementaire », on considère qu’il s’agit « d’un acte très grave qui prouve bien que les références incessantes des traités européens aux valeurs démocratiques sont une tartufferie car cette Europe technocratique et confiscatoire ne peut se faire que contre la volonté des peuples … Tout démocrate, qu’il soit souverainiste ou fédéraliste, devrait s’insurger contre un telle forfaiture ». Nous venons de voir, qu’il s’agisse des déclarations de Michel Rocard ou d’autres hommes politiques, nous sommes loin, très loin, de ces appréciations là. Et pourtant, si « haute trahison » et « coup d’Etat » correspondent bien à des réalités, c’est-à-dire à des violations du vote souverain du peuple français, il ne peut être envisageable de s’y soumettre, c’est-à-dire de reconnaître quelque réalité que ce soit aux traités européens ! Ce sera là ma « chute ».


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