CROISSANCE OU DECROISSANCE

samedi 20 février 2010
par  Gérard Bélorgey
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Depuis que deux évidentes données de l’avenir du monde (la planète ne pourra pas couvrir les besoins de sa démographie, ni absorber les rejets de ses activités) font l’objet d’une prise de conscience assez généralisées, cette conscience engendre des débats surréalistes sur croissance ou décroissance. Le plus surréaliste est que ce soient des personnalités occidentales qui soulèvent ces questions en brandissant l’étendard de la sauvegarde du monde, alors que les pays d’Occident sont , à la fois, d’une part ceux qui ont le plus pompé la planète et d’autre part ceux qui étant ainsi à même de devenir prudents, parce qu’avancés, pèseront marginalement le moins sur l’avenir des équilibres mondiaux, lesquels dépendent avant tout de ce que feront les nations milliardaires en hommes et en besoins. Dès lors certains cherchent à donner un bon exemple à ceux-ci pour lesquels la croissance est une perspective vitale. Mais ces pays Émergents ne se privent pas à leur tour de largement pomper la même planète. C’est d’ailleurs en bonne part pour répondre aux demandes des pays avancés soit, comme depuis toujours en matières premières et énergie, soit, ce qui est le nouveau fruit de la mondialisation sauvage de la dernière partie du XXème siècle, pour satisfaire, par leurs offres de tous produits à des coûts imbattables, la frénésie de consommation à bas prix et les besoins en biens semi-durables des pays d’Occident. Ces concurrences s’exerçant dans un cadre général de pénurie (cf l’ouvrage de Lebeau cité précédemment sur ce site " l’enfermement planétaire" : la planète n’a ni ressources essentielles extensibles à l’infini, ni capacité illimitée d’absorption des déchets), elles mènent à des impasses manifestes pour les différentes catégories de pays en présence.

Il est d’abord évident que sans beaucoup de moyens de négociations, en dehors des troubles qui s’y produisent et des peurs qu’ils inspirent, les pays les plus pauvres de la planète sont appelés à terriblement souffrir des atteintes aux biens et aux équilibres naturels, tout en se faisant exploiter dans leurs quelques ressources de base, comme marchés accessoires et comme réserves de terres, de main d’oeuvre, d’espace par les plus prédateurs. Aussi longtemps que, pour nourrir des fonds d’intervention et de sauvegarde de ce quart monde déshérité, on ne taxera pas mondialement, non seulement certaines transactions financières, mais surtout le dumping social qui fait quotidiennement prospérer le négoce mondial sur la misère des plus abandonnés, il n’y a pas de réponse crédible à cette injustice structurelle du monde.

Il est ensuite clair qu’il sera impossible aux pays émergents par les voies de l’expansion commerciale d’atteindre les niveaux actuels des pays avancés et qu’ils sont fondés à rechercher un couple moteur unissant demande interne et demande externe. Mais si ce couple moteur fonctionne il fait imploser la planète. Peut-on considérer que c’est le problème des Émergents plus que le nôtre ?

Certes non, parce que dès lors que nous sommes tous dans le même bateau, leur surexploitation du monde, parfaitement légitime au regard de leurs besoins, condamne les pays d’Occident à souffrir la dégradation générale des ressources qui va s’ajouter à la compétition inégale sur les marchés, le résultat ne pouvant être qu’une régression inévitable de nos niveaux de vie, ce qu’une incroyable myopie collective ne permet pas aujourd’hui de voir et concevoir. Si les pays Émergents ne peuvent pas admettre qu’ils devraient renoncer à leurs ambitions pour préserver le monde, les Avancés devraient-ils plus facilement admettre qu’il leur faille régresser ? Malgré la mode, aucune opinion n’y est sans doute disposée tant il est vrai qu’il est encore plus dur de perdre quelque chose que de ne pas l’obtenir. On voit combien les idées de décroissance, voire de croissance maîtrisée sont surréalistes au regard des besoins insatisfaits de tous et de la lutte profonde qui oppose en fait les uns et les autres pour savoir qui gagnera ou perdra une place au soleil.

Il faut être réaliste et ne pas se cacher que cette compétition existe avec une dimension d’une telle portée. Puisqu’il est bien normal de défendre les acquis de nos sociétés, ne nous prêtons pas à des reculs dont on ne nous saurait d’ailleurs aucun gré de la part des puissances montantes, mais que l’on peut au cas par cas consentir à l’égard des pays dans la trappe de la misère et qui sont écrasés autant par le libre échange d’aujourd’hui que par l’histoire passée. Vis à vis de tous les autres, le salut passe par la négociation de conciliations entre des intérêts qui sont clairement divergents s’ils sont en compétition non régulée. Atteindre à des rapports de forces gérables pour obtenir ces conciliations passe donc par des politiques commerciales et de développement combiné identifiant bien des objectifs d’équilibre des échanges et de services mutuels et n’ayant rien à voir avec ce qui se passe aujourd’hui sous la houlette de la commission européenne.

Tel est, il faut l’admettre, le versant combatif indispensable d’une ligne de conduite réaliste. Celle-ci a, en contrepartie, un versant exigeant vis à vis de nous-mêmes : non seulement, bien sûr, comme tout le monde y invite, savoir s’engager dans une économie durable et "verte », mais plus encore, savoir modérer les frénésies de consommation low cost qui nous livrent impuissants à nos partenaires ayant beau jeu de montrer que s’ils dévastent le monde comme nous l’avons fait, c’est largement pour les clientèles que nous sommes. Laissons les puissances émergentes devenir responsables vis à vis de leurs marchés intérieurs et de leurs propres populations, responsables aussi de ce que sera une planète où elles sont majoritaires. Et cessons de donner des leçons pour nous faire ridiculiser et des verges pour nous faire battre. N’ayons pas honte de défendre nos intérêts, nos enfants qui seront écrasés dans la compétition commerciale mondiale, si nous ne savons d’une part maîtriser celle-ci, d’autre part faire préférer par nos concitoyens des modes d’existence équilibrés sur des modes d’existence consuméristes frénétiques.

Et dans ce cadre bien lutter contre nos fantastiques gaspillages, rapprocher partout où c’est possible lieux de consommation et lieux de production, cantonner la grande distribution qui favorise les déperditions de produits, incite aux circulations et joue contre les producteurs, chercher des équilibres dans des sociétés sachant se satisfaire dans les proximités, modérer nos bougeottes, concevoir des urbanismes qui s’écartent des modèles mégalopole pour des formes d’habitat et de travail mieux intégrées, moins consommatrices de temps perdu et d’énergie dépensée en déplacements : autant de facteurs de changements de moeurs qui déjà devraient diminuer le rôle des échanges internationaux et internes et écrêter les taux de croissance de tout ce qu’ils mesurent d’agitation fictive et de "gestes" inutiles : la tour de Babel ou le gratte ciel de Dubaï n’offrent pas un modèle de développement.

Sauver la planète en réduisant les échanges commerciaux et les déplacements

Alors que la grand messe de Copenhague a cherché des consensus politiquement difficiles et d’effets bien différés ainsi que des innovations technologiques porteuses de solutions partielles à long terme, ne faut-il s’en tenir avant tout à des choses élémentaires que le concert des puissances économiques du monde libre-échangiste ne pourra, ne voudra pas percevoir ?

L’un des facteurs les plus significatifs de création de gaz à effet de serre est dans les transports de toute nature, locaux, mondiaux, internationaux, terrestres, aériens, maritimes. Perfectionner les"véhicules", changer de "carburant", créer des malus bonus de toutes les imaginations, etc, constitue des voies intéressantes et lentes : nous mourrons réchauffés et guéris. Or il a une réponse de bon sens : pour diminuer les pollutions, il faut diminuer les transports : réduire la bougeotte des hommes à travers le monde, cesser de produire pour exporter et d’importer ce que l’on consomme, de déplacer en permanence à travers la planète des biens que l’on pourrait obtenir largement sur place au lieu d’aller les chercher ailleurs moins cher en valeur et très cher en pollution et en chômage.

Ne doit-on réduire le commerce international (et les déplacements de chacun) au strict nécessaire pour économiser les transports ? Ne faut-il cesser de voir dans l’expansion des échanges mondiaux le signe d’un progrès, alors que c’est ce qui génère aussi bien détérioration du climat mondial, qu’exploitation des pauvres du Sud et désemploi pour nos pays socialement avancés que ruinent les concurrences des low cost countries développant à tout va les rejets de carbone.

Là est la véritable et double protection de nos sociétés et de notre planète. Soyons provocants : ne faut-il devenir aussi autarcique qu’il est possible et à l’échelon local autant qu’à l’échelon international ? Il faut que chaque pays, chaque région, produise au maximum ce qui lui est nécessaire, sans avoir besoin de le faire venir d’ailleurs à grands frais et usage intensif de transports inutiles et polluants ?

Il faut en finir avec le principe de l’économie libérale (c’est à dire de l’économie du moindre coût apparent) postulant que ce qui et bon c’est la spécialisation des productions, la division du travail et les échanges entre producteurs les moins chers possibles de chaque type de produit. Voila une proposition de révolution de la réflexion sur l’optimisation sociale qui doit aussi permettre de rapprocher lieux d’habitat, de travail, de consommation, d’épanouissement : le contre-pied du monde des échanges abusifs qui, depuis un siècle, engendre nos ruines, nos dissolutions, nos contradictions, nos stress et notre poursuite effrénée d’une impossible satisfaction quantitative.

Demandons nous si le protectionnisme ne serait pas aussi le salut de la planète et si le bonheur ne passe pas par le culte un peu autarcique des jardins de chacun ? Il faut renverser nos interrogations sur les valeurs. Les G quelque chose et Copenhague ne peuvent vouloir tout et son contraire : l’assagissement du monde et son explosion, croissance et fuite en avant dans un sauvage commerce international porteur de tous les excès et de toutes les pollutions.

Après Copenhague

Les commentaires sur Copenhague sont enfin retombés. Heureusement. Un seul eut été utile : la leçon de Copenhague c’est qu’il faut en finir avec nos naïvetés ; celles qui consistent à croire que l’on peut obtenir des satisfactions dans la négociation internationale et dans l’illusion d’une pseudo gouvernance mondiale si l’on ne se trouve pas dans un rapport de forces qui le permet. Or comment penser, lorsque par le libre échange mondial, de grandes puissances très polluantes ont tous les avantages de pouvoir nous vendre leurs produits obtenus à ces prix (mais à d’imbattables prix de marché dont nous nous réjouissons bêtement pour nos consommateurs), ces puissances, pour nous faire plaisir, alors qu’elles entendent surtout nous dépasser, consentiraient à réduire leurs émissions ? Dans le cadre de la mondialisation actuelle, il n’y a rien à négocier, car nous ne pouvons, nous, l’Europe et autres naïfs dont les réalistes leaders politiques savent pourtant que dans les affrontements d’intérêts, seul compte le rapport de forces : avoir de moyens de pressions.

Ces moyens de pressions n’existeraient qu’à travers des politiques commerciales internationales recourant pour la part utile aux outils protectionnistes intelligents tels que des contingents raisonnables et des droits d’entrée non douaniers ristournés aux pays d’origine (des duties plutôt que des tariffs) ; droits et contingents seraient modulés favorablement pour nos partenaires à proportion de leurs efforts pour le climat et, en attendant que ceux-ci soient satisfaisants, les produits des duties iraient à des fonds pour l’environnement mondial et à l’aide ( si difficile à réunir à un niveau significatif ) pour les pays les plus en difficulté.

Impossible avec la mécanique de l’OMC ; et c’est pourquoi il faut fusionner une OMC et une OME, ce qui implique que l’OMC ne fasse plus la politique de l’OMC mais, au moins celle de la Charte de la Havane ? Fusion OMC/OME rêvée et naturellement refusée parce que cela impliquerait une politique internationale d’accords commerciaux régionaux équilibrés à tous titres : la fin des prédations par le négoce mondial et de ce qui en résulte : (dé)localisations actuelles des productions, des emplois et des pollutions. Un autre ordre mondial et des disciplines enfin possibles sans pénaliser les Émergents si ceux-ci se tournaient plus vers leurs marchés intérieurs que pour toujours plus d’expansion commerciale externe. Mais ceux-la mêmes qui ont demandé l’OME/OMC le veulent-ils ?

PS : Alternatives économiques, qui n’hésite jamais à soutenir sans modération le libre-échange par des procès infondés de la part nécessaire de protectionnismes, prétend, dans son récent hors série sur l’ Économie durable, tirer, en faveur de la mondialisation telle qu’elle pourrit la planète, argument que les échanges internationaux ne représenteraient que 15% des trafics mondiaux.... comme si le chevelu des transports nationaux, régionaux, locaux n’était dans une économie des spécialisations à outrance et des éclatements des sites de productions et de négoces, lui-même largement engendré par les échanges internationaux dont il faut diffuser, souvent par des allers-retours apparemment insensés mais exploitant les différences de rémunération du travail, les produits intermédiaires et terminaux. Cessons de faire parler de tendancieuses statistiques. La Revue ne recense pas parmi ses "sept plaies de la planète" l’intoxication dont elle est le d’autant plus désastreux, car sans doute sincère, exemple.

Le blog de Gérard Bélorgey : http://www.ecritures-et-societe.com


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