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LA DELINQUANCE PASSIVE

lundi 19 avril 2010
par  Jacques Broda
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« Quelque fois avec mon père, nous parlions politique, de tout de rien. Du parti du peuple. ‘Mon fils mon cœur se serre car tu me tueras’, disait mon père… »

Pris entre Jocaste et Narcisse, de nombreux jeunes s’enfoncent dans une crise individuelle et sociale sans précédent. Il ne s’agit pas ici de généraliser, ni de caricaturer des attitudes, des comportements et des positions que nous jugeons terrifiants.

Il est des jeunes qui vont, bien, assurent, s’assument, font face, créent, interviennent, se prennent en charge et prennent en charge les familles, la cité, les études, le travail. Ces jeunes, le plus souvent sont inscrits dans des filiations symboliques et historiques d’une force et d’une authenticité extraordinaires, revendiquées en tant que telles, elles en font des sujets historiques. Tenus par le passé dans le présent, projeté dans le devenir et l’avenir d’un ‘moi-nous’, ils mains-tiennent les chances de la civilisation. Cette jeunesse modeste, humble, engagée, responsable, efficace, nous la rencontrons dans toutes les couches sociales, elles s’agrège autour de valeurs : l’amitié, l’entr’aide, le respect, la solidarité, la fête, structurent l’être en devenir du jeune. Elles sont un point d’appui fantastique à tous les champs du possible. La vitalité créatrice dont ces valeurs se nourrissent est une force de vie, une énergie cruciale pour l’ensemble du lien social.

En regard, et en caricature, une partie massive des jeunes s’installent dans un face à face mortifère avec eux-mêmes et toutes les addictions. Au début s’installe une forme de résistance passive, une résistance au désir social, à la parole de l’adulte, à la valeur. Cette résistance que d’aucuns décrivent comme une crise d’adolescence, n’est pas un fait de génération, ni un fait d’âge (biologique !), mais un fait de civilisation.

Résister aux valeurs, ne pas les nourrir, les ré-inventer, les imaginer, les actualiser, les agir, les vivre est une attaque sournoise du lien social, et du travail de la culture, au sens de Freud. Certains disent : ceci est dû à la société de consommation, l’époque, la modernité, le post-capitalisme, l’âge ! C’est un déni !

On est frappé par la vacuité, la banalité, la dérision du propos politique chez les jeunes, dans leur majorité. Le plus souvent soumis aux médias dominants, ils bottent en touche sur ‘un tous pourris’, ‘on ne peut rien faire’, ‘ça ne va pas si mal’…Bref le populisme le plus trivial.

Cette résistance est une attaque contre les valeurs, le lien et la civilisation. En ne prenant pas ses responsabilités, en déclinant tout engagement quant au respect des droits, des acquis, des conquêtes sociales, en laissant mourir, voire agoniser les valeurs d’humanité de justice et de dignité, cette jeunesse crée son propre linceul et nous pousse dans la tombe.

Ce cirque existe depuis bientôt quarante ans, il explose aujourd’hui avec les nouvelles addictions. On passe ainsi de la résistance passive à la délinquance passive. Certes il ne vole pas, ne commet pas d’infraction, ne se fait pas remarquer, au contraire, il est plutôt discret, non-violent. Il est ailleurs. Il est hors-la-loi. Hors-la-loi des hommes, hors-la-loi de la communauté des hommes. Il est hors valeurs.

Le jeune quand il délinque, d’une certaine manière lance un appel, un cri, une détresse, il rencontre alors sur son chemin l’écoute, la sanction, la valeur, la loi. De cette rencontre paradoxalement il peut faire rupture, par une prise de conscience, de l’emprise, se démarquer du symptôme, et faire de sa vie une re-création. La délinquance passive est beaucoup plus insidieuse, elle n’est pas dans le ‘mal agir’, elle est dans le ‘non agir’, elle n’est pas dans le ‘passage à l’acte’, elle est dans le ‘non-acte’, voire le non désir au sens du risque.

Le capitalisme se nourrit et nourrit cette passivité mortifère, en faisant du jeune-sujet un non-sujet de droits, de désirs, de valeurs, le capitalisme accomplit une fantastique révolution anthropologique où le sens même de la vie, et de la mort, sont anéantis. La jouissance à l’Etat pur.

Entre Jocaste et Narcisse, il va. Dans cette faille, il y a quelque chose d’incestueux. La démission de certains pères, et/ou l’absence de fonction paternelle dénoncée par tous les psychanalystes, conduisent à cette figure du ‘jeune vide’. La jeunesse qui se bat, qui lutte, qui crée, qui résiste se fracasse ici sur le noyau dur d’un réel anomique. Prise entre l’étau des deux délinquances, elle a besoin d’appuis massifs, structurants, à l’écoute et créatifs. Porteuse d’un vent d’espoir, on la croise dans les associations, les syndicats, les mouvements d’éducation populaire, artistique ; elle est fragile, vulnérable, minée et contaminée par les amis eux-mêmes ; sa lutte à contre-temps est héroïque.

‘Il se fait tard, il descend chercher son repas, les yeux rouges, il zappe le journal de vingt heures, prépare son plateau, hallucine Eric Besson dans la jungle de Calais. Il dit vaguement ‘bonsoir’. Remonte avec son steack, dans sa ‘piaule’, sur les écrans jusqu’à deux, trois heures du mat, et demain, et le jour d’après-demain…’

Jamais n’effleure la valeur, ni se laisser toucher par elle. Une valeur qui n’est pas touchée, affectée, parlée, agie, est une valeur qui meurt. La perte est sèche, brutale et totale, d’un monde sans valeur inventée, pré-figurée par une jeunesse debout.

La gauche, les partis, les militants sont très silencieux sur cette délinquance passive, tout le monde ferme les yeux ; parce qu’il est difficile de pénétrer l’intime, il est difficile d’injecter ce que d’aucuns (Anicet Le Pors, dans son article remarquable), nomment la morale(1). Pier Paolo Pasolini et Michel Clouscard, il y a vingt ans, ont dénoncé cette dérive civilisationnelle, consensuelle, in-fraternelle, in-solidaire, inces-tueuse. Les écrans de la délinquance passive bâillonnent les ‘voix de la conscience éthique’(2).

(1) ‘Se réapproprier l’histoire, la science et la morale’, L’humanité, 27 Octobre 2009

(2) Lévinas, E ‘Altérité et transcendance’, Fata Morgana, Montpellier, 1995


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