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VICTIMES D’UNE HISTOIRE INHUMAINE ? OU AUTEURS D’UNE HISTOIRE HUMAINE ? : MARIANNE LA BLANCHE DEVOILEE

lundi 12 avril 2010
par  Ricardo Monserrat
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D’abord, je suis espingouin, donc fataliste quant à la vertu de la démocratie : je parle d’ordinaire de dictature économique car la démocratie ne fonctionne que pour qui va bien, malheur à qui perd son travail, qui est trop vieux, trop jeune, trop gros, trop loin, trop... Enfin parce que mon implication dans la vie publique est toujours orientée vers les plus démunis, les mal aimés et non votants : la semaine dernière à Lens, pour Naz, un spectacle qui montre le problème dans les lycées professionnels d’une jeunesse désorientée que fascinent les idées néonazies, la semaine avant avec les SDF pour La belle au bois d’ébène un feuilleton publié dans L’Avenir de l’Artois, le mois avant avec les demandeurs d’ asile, pour Nora, roman de l’exil, ou La saignée en chantiers, avec les survivants des Chantiers navals de la Seyne sur Mer, à qui on vient de retirer la construction de trois mille escalators pour les métros du monde entier, les paysans corses ou les délinquants de la PJJ à qui on veut retirer toute chance. Alors je vais vous parler d’une femme, de cette femme qu’on a vue dans tous les journaux récemment : Marianne.

Aïe, aïe aïe, Marianne va mal, Marianne est toute blanche, Marianne se promène en chemise de nuit en plein hiver, tenant son ventre de neuf mois entre ses mains. Marianne a perdu son logement, elle ne sait plus à cause de quelle catastrophe, elle est tellement stressée qu’elle ne sait plus si c’est parce que son mari a perdu son boulot, parce que le petit patron de son mari a perdu sa ligne de crédit, ou parce que l’employé de banque a pété un boulon quand son chef lui a demandé d’être plus rentable sinon c’est la porte, ou parce que le niveau de l’eau a monté suite aux pluies en automne, aux chutes de neige en hiver, lesquelles auraient empêché les camions de l’entreprise dans laquelle travaillait son mari d’emporter dans un pays tiers les machines ultramodernes récemment mises au point afin de satisfaire la demande du fonds de pension qui a racheté l’entreprise, son prestige et sa clientèle, et l’a ensuite vidée, comme on le fait d’une coquille, de son humanité considérée comme trop française et donc trop chère et pas assez malléable.

Marianne va mal, Marianne est toute blanche, elle a perdu dans les neuf mois qui viennent de passer son passé, son identité. De son vrai nom, elle s’appelait Mariam, comme sa grand-mère et plusieurs de ses ancêtres, depuis que la grand-mère de Jésus avait eu la mauvaise idée de donner à sa fille ce prénom. Mariam était fière de ses origines, de ses grands-parents mineurs dans le Nord du côté de son père, dans le textile du côté de sa mère, de ses parents venus travailler dans l’électronique de pointe dans la Silicon valley de l’Ille et Vilaine. Et bien, suite au cyclone Sarkozy un fonctionnaire lui a demandé de prouver qu’elle était francaise-française, que les fameux grands-parents avec leur accent à coucher dehors l’étaient vraiment... francais-français. Elle s’est fâchée, Mariam. Elle a expliqué, la guerre, les pogroms, la résistance, les bombardements. Elle a ressorti ce qu’elle pouvait de papiers qui prouvaient qu’elle avait été à l’hôpital public, à l’école publique, elle a même retrouvé des photos de ses parents devant la mine, dans les manifs. On lui a répondu qu’avec un ordinateur, on pouvait fabriquer n’importe quel papier, et qu’il suffisait de la regarder pour voir qu’elle n’était pas vraiment française. Francaise-française. D’ailleurs, c’était quoi ces drapeaux rouges sur les photos et ces cartes syndicales, et ces lettres postées de l’étranger ?

Du coup, c’est là qu’elle a pâli, à coups de crème à base d’eau de javel ! Marianne s’est blanchi la peau, défrisé et teint les cheveux en blond, s’est entraînée, avec un caillou dans la bouche, à parler comme les parisiens à la télé. Elle a changé le bonnet rouge, offert par son mari lors de la Fête de la Révolution en 89, par un bonnet blanc... Elle a fait des torchons avec la robe bleue achetée avec les heures supplémentaires qu’elle avait acceptées pour aider à sauver le grand magasin où elle avait débuté – la robe bleue était vendue aux employées avec une réduction de trente pour cent... Un beau bleu comme l’espérance qu’elle avait qu’avec un peu d’amour et de bonne volonté l’avenir serait plus facile, plus doux, surtout dans un pays aussi joli... Bleue comme la République dont son grand-père parlait avec respect. En blanc on vous dit, ma petite dame. Un chèque en blanc. En blanc comme les tabliers des médecins et les bouchers. Le pays est malade, la société est malade. Il faut amputer. A l’abattoir ! Pour un peu de voir tant de malades et de gens mourir autour d’elle, elle se serait mise en noir, Marianne. Trois des copains de son mari se sont jetés par la fenêtre quand, pour ne pas avoir à les licencier, on les a poussés dehors... - Noir ? Ça ne va pas. ? Vous voulez contribuer à démoraliser la nation ? Vous voulez ressembler à ces femmes en burqa... Mais... mais... En blanc on vous dit, la France de demain doit tourner la page, cesser de vivre sur des idées nées dans les moments de grande confusion qu’ont été les guerres... Chaque Français doit faire un effort pour payer la dette immense que nous ont léguée ceux qui pendant les Trente Glorieuses ont dilapidé la fortune des...

Marianne n’écoute pas. Elle pense à son bébé. Son bébé, il sera quoi si... si... si... et le nombre de si l’impressionne, si la maternité, si l’hôpital, si la crèche, si l’école, si les centres de loisirs, les assoc’, si le club sportif, si la dépression, si la voiture, si la maladie, si le bon professeur, si la bonne filière, si les transports. Si, si, si... De toute façon, il n’était pas question de ne pas l’avoir cet enfant ! Elle n’allait pas l’avorter, l’avortement aujourd’hui... On dit que chaque semaine, il y a des bus pleins qui partent vers l’Espagne. Elle aurait dû faire attention. Elle s’en veut de penser comme ça, Marianne, de se culpabiliser : elle aurait pas dû, elle aurait dû mettre de côté, accepter plus de boulot. Elle aurait dû coucher et se coucher quand le DRH lui a... Elle aurait dû diminuer le budget loisirs, ne plus acheter le journal, raccourcir les vacances, sauter des repas, ne pas aller au spectacle et au cinéma, arrêter les activités, maintenant avec la télé et internet, on a tout à la maison, il n’y a même plus besoin de lire, ni de sortir... Elle aurait dû accepter de voir baisser son salaire. Ils auraient dû tout vendre et partir de l’autre côté du monde, la vie est moins chère. Militaire, elle aurait pu faire militaire ! Ou bénévole à l’UMP, sondeuse par téléphone : vous avez combien de voitures, vous voyagez souvent en avion ?

Non, non, il ne faut pas qu’elle pense comme ça, Marianne. Il ne faut pas qu’elle s’enferme dans une vie qui ne peut que se rétrécir. Sinon même le village où ils ont choisi d’habiter sera détruit : bistro fermé, poste fermée, boucherie fermé et amitié en berne. C’est quelque chose tout de même, on reçoit des nouvelles du monde entier mais on ne sait plus où en sont les voisins et les enfants des voisins. Elle les voit bien les jeunes se rétracter comme des escargots, se réfugier derrière leurs baladeurs, leurs portables, leurs écrans. Ils sont ailleurs. Elle les comprend. Leur espace est devenu profondément déprimant à force lui aussi d’être parti ailleurs, vendu ailleurs : à la consommation, aux franchises, à l’uniformisation. Même quand il y a plein de monde dans la rue, chacun est seul désormais, dans son isolat, comme disent les communicants. L’espace public appartient désormais aux policiers, aux publicitaires, aux consommateurs qui peuvent consommer mais il n’est plus un milieu associé, même plus une foule. Les générations sont déliées, le marketing les a dissociés, segmentés, isolés, désindividués. Chacun sa merde, on s’occupe de tout. Tous les objets sont équipés de puces émettant des données qui leur permettent de communiquer entre elles, l’espace virtuel s’étant substitué à l’espace dit réel. Même les arbres de la ville de Paris sont équipés de puces... Les rues de caméras, les portes de digicodes... les conversations enregistrées. Le virtuel, c’est l’envahissement par la peur, la sécurité, l’angoisse et ses dérivatifs, la surconsommation, l’anorexie ou la fuite dans des conduites aberrantes. Oh, les poteaux, on est invités par Internet à aller se saoûler la gueule à mort demain place des Lices. On va leur montrer aux Nantais qu’on est plus cons qu’eux !

Les galeries marchandes ont tué les échanges, le commerce au sens noble du terme - partage de richesses et d’humanité, les espaces numériques vont tuer la conscience, celle de l’autre du prochain, du solidaire, vont nous rendre tous invisibles, puisqu’ils introduisent l’invisible dans le visible. S’il n’y a d’autre contrôle que les contrôles imposés par ceux qui détruisent en même temps que les services publics, en même temps que les lois républicaines, en même temps que les valeurs populaires, en même temps que le bon sens et la raison, par ceux qui changent le sens des mots, par ceux qui n’aiment le peuple que statistique et statique, ou qui le haïssent, pour des raisons liées à l’Histoire, ce peuple capable de beauté et de résistance, ceux qui sont prêts, tels les bouchers de Verdun à en sacrifier la jeunesse en commençant par les bretons et les étrangers, pour des victoires sans lendemain, ceux qui sont prêts à détruire, comme les bourreaux allemands des régions entières sous les bombes virtuelles pour voir triompher une idéologie soi‐disant fondée sur le progrès et la liberté, quand il ne s’agit que du progrès du cynisme, et la liberté de ne pas aller en prison pour les crimes commis contre la raison.

Nous devons faire front ! Nous tous, ici présents, sommes la mémoire des luttes, des combats pour plus de bonheur. Nous sommes aussi bien la mémoire des fantômes du village de Marianne, dont les noms sont inscrits sur le monument aux morts que la mémoire du paysage modifié en profondeur par les choix, les décisions de ceux qui, avant nous, ont travaillé pour que leurs enfants s’y épanouissent. Nous sommes la mémoire de l’humanité que nous avons connue dans les bistrots, les restaus, les manifestations, les fêtes, et qu’ils veulent remplacer par la disneylandisation de nos régions. Nous sommes la mémoire de l’imagination, de l’inventivité des plus pauvres pour résister, maintenir et créer plus de civilité, plus de fraternité, plus de partage. Artistes, chercheurs, habitants, nous savons qu’après chaque catastrophe, le peuple réinvente un génie convivial. Nous devons inventer une intelligence citoyenne qui redonnera couleur et vie à ce que nous aimons et permettra à ceux que nous aimons d’y grandir en paix et ensemble ;

Contre la désindustrialisation, la déshumanisation, la déterritorialisation de la vie, de l’activité, qui ont substitué aux concepts de peuples et de collectifs les réseaux et les déserts, nous pouvons inventer de nouvelles formes d’hospitalité qui n’excluent pas le dehors, l’étranger, l’ailleurs, nous pouvons inventer une écologie relationnelle, régionalisée, localisée, qui transforme l’énergie de la jeunesse de nos quartiers, nos banlieues, nos villages, en culture et en urbanité... partagées. En civilisation. Nous devons bâtir des réseaux sociaux locaux. Toutes nos technologies doivent permettre de développer de nouvelles thérapies sociales. Il est urgent de renouer de véritables relations entre les générations, non pas celles bêtifiantes que crée le marketing qui infantilise les adultes et prive les enfants de leur enfance mais celles qui reconstituent, un espace public, symbolique, un pays fait de pays petits et grands et de paysans, comme on le dit dans ma langue : paisano : citoyen... habitant du pays où il vit et travaille, sans exclusion ni distinction de sexe, de race, d’origine. La vie publique doit être à nouveau laïcisée et tous les cultes redevenir cultures... Tous les biens communs doivent revenir à tous et pour tous. Il faut que l’imaginaire de chacun qui a été confisqué dévalorisé, réduit à ses faiblesses, culpabilisé, se remette au travail... Alors ? Alors, vous le verrez, le réel se réalisera en se transformant par la transformation de tous. La crise récente a montré à ceux qui y croyaient encore la perversité et la toxicité du fordisme et du libéralisme. Il nous faut impérativement devenir plus intelligents si nous ne voulons pas, comme l’affirme Stiegler, que le monde devienne immonde et se fonde dans les tas d’immondices. Il faut que les régions s’y mettent, que chacun dans son monde, sur son terrain – que ce terrain soit l’entreprise ou la terre – s’y mette, et que le monde artistique intellectuel, politique, le monde de ceux qui représentent et nous représentent, prenne ses responsabilités au lieu de se sanctuariser. Chacun de nous a un rôle à jouer. L’intelligence collective est fondée sur le partage des savoirs, et non sur l’exclusion de ceux qui ne savent pas. Nous savons.

Auteur et metteur en scène, Ricardo Monserrat a prononcé cette intervention lors d’une réunion publique de la liste Faire Front Ensemble à Gauche en Bretagne lors des récentes élections régionales.


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