LAICITE ET SPIRITUALITE
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LAICITE ET SPIRITUALITE
Par Michel Portal
L’erreur numéro un des laïcistes et de beaucoup d’entre nous, est certainement d’entendre "prosélytisme" quand ils voient le mot "spiritualité". Nous arrêtons de réfléchir, sans doute à cause de souffrances héritées des siècles de domination confessionnelle dans notre pays. A l’intention des nombreux athées, agnostiques, penseurs libres et croyants libres, je peux dire : zéro est un nombre particulier, mais c’est un nombre. De la même façon, le "refus de toute spiritualité" est encore une spiritualité et "se foutre de la spiritualité" est encore une position spirituelle. Croyances comme incroyances ont en commun d’être non démontrées. Les unes ne sont pas plus scientifiques et rationnelles que les autres. Les discours, ici et ailleurs, opposent fréquemment le matériel et le spirituel. Opposition souvent redoublée par incroyance (matérialisme) et croyance (spiritualité). Qu’en est-il ?
Spirituel/matériel, une mauvaise coupe
La physique moderne ne voit plus guère de frontière entre le matériel et le spirituel. Il est possible de voir ce qui est comme tout spirituel, ou comme tout matériel. C’est seulement une question de point de vue. La matière la plus solide s¹évanouit en particules infra-atomiques. Les idées les plus éthérées ont des traces chimiques pesantes. Le discernement utile ne fonctionne pas entre "matière" et "esprit". L’histoire le confirme cruellement. Pour faire court : entre le goulag (matérialiste) et les guerres de religion (spirituelles), on ne voit pas bien où serait le progrès. "Spirituel" vous choque pour des guerres ? Tant pis pour vous ! Nous eussions pu parler de matérialité au lieu de matérialisme, ça aurait été plus gentil pour les matérialistes. J’aurais pu écrire matérialité et spiritualisme pour être méchant avec d’autres ou matérialité et spiritualité par souci d’équilibre.
A la recherche d’une bonne coupe
Dans ce qui est, on observe du déterminé et de l’indéterminé. Du déterminé et de l’indéterminé en proportions variables suivant qu’il s’agit de choses, de plantes, d’animaux ou de personnes. Variables mais réelles. Un objet qui tombe n’a pas grande liberté et les lois physiques de la mécanique restent précises. Le déterminé se déroule, pour nous, hors de toute portée. Ce sont les contraintes et obstacles de tous ordres que vous connaissez bien : il faut « faire avec ». L’indétermination, elle, signifie alternative, plusieurs routes possibles, option, choix, variété. C¹est probablement cette caractéristique naturelle qui a permis l¹étonnante diversité des matières et des espèces végétales et animales dans la nature. Chez l’humain, l’indéterminé se double de conscience. Liée à la conscience de soi et d¹autrui, l’indétermination engendre des possibilités de choix même dans les situations les plus contraintes. On peut toujours rêver. Dans notre espèce, l’indéterminé s’appelle choix, pouvoirs ou libertés. Je peux chercher à faire le mieux possible dans la situation où je suis, ou bien laisser-aller. Le résultat ne sera pas le même. Action après action je trace mon chemin personnel. Comment choisir au mieux ? Une éthique apparaît, non comme un idéalisme ou un moralisme, mais comme une pratique, un exercice, un entraînement de chaque instant. Plutôt donc qu’un immense Bien et un Mal diabolique, du mieux ou du moins bien possibles pour chacun et pour chacun de nos groupes, quels qu’ils soient. Avec, bien sûr, joies et souffrances, des efforts et le sentiment heureux de s’accomplir en traçant son sillon, une responsabilité avec chaque liberté. L’éthique est comme nous le répétons dans notre association pour une éducation à la responsabilité. L’éthique n¹est pas dans toute la nature puisqu’il faut la conscience. Mais on peut observer partout une intelligence et une tendance spontanée au beau, à l¹esthétique. Tendance liée à l¹efficacité véritable. Regardez une feuille d’arbre, l’eau ou l’air qui modèlent le sable, etc... Tout ceci fait penser à un Divin que les religions, trop humaines ou inhumaines, n’arrivent pas à encadrer. Tant mieux. Que faisons-nous des choix que nous laissent tous les conditionnements qui nous enserrent ? Mes choix sont mes pouvoirs. Je n’ai pas à attendre que l’autre commence ma responsabilité existe là, maintenant, tout de suite. Vos avis nous intéressent
NDLR : Nous aimons bien Michel Portal, et son association, AéRé, développe une réflexion honnête sur le sujet difficile de la spiritualité. Nous n’utilisons pas, quant à nous, la notion de croyance dans notre outillage conceptuel. Nous respectons celles des autres, en laïques, à la condition qu’ils respectent la loi commune et évitent le prosélytisme, en laïcistes, comme dit Michel Portal. Nous reconnaissons bien volontiers que beaucoup de nos concitoyens ont des croyances, que celles-ci peuvent même aider, dans certains cas, à supporter l’humaine condition et ses cortèges de détresse : du mécréant à l’agonie qui en appelle à dieu au pari pascalien, les exemples abondent. Cela ne peut demeurer qu’un choix individuel. Nous ne demandons pas à chacun(e), à la Banquise ou à La Gauche !, un brevet de mécréance, mais nous demandons par contre à chacun(e) de ne pas nous les briser menu avec ses éventuels ébats divins. Les exemples choisis par Michel Portal nous paraissent en bien des cas fort peu pertinents. L’appel au secours de la physique moderne est hors de propos : la particule infra-atomique demeure de la matière, et il ne viendrait à l’esprit d’aucun physicien de qualifier l’anti-matière de « spirituelle ». Le recours à l’histoire n’est pas plus convaincant : les guerres dites de religion, comme le goulag, sont des faits hélas bien matériels, instruments de domination ou de conquête de pouvoirs on peut plus temporel. Dans un cas comme dans l’autre, on instrumentalise ici des croyances, là une pensée (c’est pas pareil) pour régler des comptes dans la violence. Quant à la mathématique, zéro est certes un nombre, mais qui n’a rien de spirituel. Non, Michel, le refus de spiritualité n’est pas une spiritualité : c’est une position par rapport à la spiritualité. L’incroyance n’est pas une spiritualité parmi d’autres, elle est un choix : nous essayons, probablement imparfaitement, de penser, mais refusons, là ou nous sommes, sur l’espace public, de croire. Chez lui, chacun fait ce qu’il veut. Nous n’avons pas l’impression que les « banquisards » consacrent beaucoup de temps aux dévotions, mais nous n’allons pas fouiller dans les alcôves de leurs consciences. Que la vision d’un feuillage évoque le divin pour Michel Portal, grand bien lui fasse, mais cette association d’idée, qui lui est propre, n’a rien d’un automatisme. Peut-être y a-t-il une « tendance spontanée au beau », comme dit Michel Portal. Nous avons la faiblesse de penser (pas de croire) que l’éducation la favorise tout de même plus qu’un peu. Qui plus est, chacun(e) a sa conception du « beau ». Comme du bon, d’ailleurs : je n’ai jamais songé à louer tel seigneur pour mon goût immodéré pour les moules marinières. Pour la rédaction : Sylvain Ethiré
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