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SHANGHAI 2010 : EBLOUISSANTE MODERNITE, ANACHRONISME IMPOSE

dimanche 1er août 2010
par  Rémi Aufrère
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Le choix de la ville de Shanghai pour le lieu de l’exposition universelle qui a ouvert ses portes le 1er mai dernier, n’est point celui du hasard. Avec Hong Kong et Canton, Shanghai fut la porte maritime de la Chine moderne. Bien différente de l’austère pékin, à la fois complémentaire et concurrente du delta cantonnais, cette métropole a souvent produit de nombreux leaders charismatiques chinois (le fameux « clan des shanghaiens »). Ce ne fut pas non plus le hasard si Shanghai fut mise à l’index, lors de la révolution culturelle chinoise. À la fois dynamique et rebelle, prétentieuse et roublarde, moderne comme fière de son passé, elle représente depuis 30 ans la Chine qui va vite et qui voit grand. Shanghai demeure tout en contrastes. Il reste au détour d’une rue, quelques demeures ouvrières décrépies (pour encore un temps limité, avant destruction), et de forts belles maisons bourgeoises datant de l’âge des concessions étrangères. Il y a aussi le Bund, cette avenue renommée le long de la rivière, conçue et construite au début du siècle dernier. Et pour marquer son temps, il y a Pudong, le quartier dont la modernité stupéfie par ses tours qui osent tutoyer le ciel.

Avec le thème « meilleure ville, meilleure vie », l’exposition universelle veut bien marquer son époque et le futur. La Chine marque sa présence par un pavillon immense. La France a fait le choix d’un investissement important et d’un pavillon de grande taille concrétisant sa volonté de consolider sa présence et d’augmenter son poids économique et politique en Asie. Le Royaume-Uni s’est distingué par un pavillon d’une modernité créatrice de grande qualité, avec une forme rectangulaire hérissée de fibres optiques. 70 millions de visiteurs sont attendus à l’exposition universelle et près de 250 pays sont présents dans ce qui est la plus grande exposition jamais réalisée. C’est le positionnement de Shanghai à l’une des premières places de la scène économique et politique internationale et l’affirmation du pouvoir économique de la Chine. La métropole est dotée d’un réseau de transport particulièrement performant et nombreux sont les quartiers qui connaissent des travaux de voiries et de construction. Le quartier de la gare regroupe une partie des migrants provenant de la campagne et qui cherchent du travail dans la capitale provinciale. La Chine est un grand chantier et Shanghai est le premier.

D’aucuns sont étonnés ou effrayés (ou les deux) de l’émergence de la République Populaire de Chine dans le jeu économique et politique mondial depuis deux décennies. Il ne s’agit pourtant que d’un retour. Notre mémoire occidentale sélective et l’arrivée des Européens au XIXe siècle sur le territoire chinois avaient éclipsé un temps l’empire du milieu en le reléguant à la périphérie du monde (et surtout de notre monde européen-centré). Les occidentaux ont souvent pensé la Chine en opposition avec l’universalisme des droits et plus largement le concept de civilisation (avec l’idée de progrès et d’égalité comme de liberté pour le citoyen). Pourtant, la traduction du mot civilisation est composée des éléments « culture » et « lumière ». Il fait référence aux sages et autres philosophes chinois anciens pour qui « l’empire du milieu » se devait d’être une « lumière » pour la « périphérie ». Cette démarche est assez identique au siècle des lumières français et à l’universalisme dont il est porteur. A la différence notable toutefois de l’affirmation des droits et devoirs du citoyen en tant qu’individu (intuitu personae). Aujourd’hui, face au formidable développement économique basé sur l’accroissement le plus rapide de la richesse individuelle, les messages philosophiques de la nouvelle civilisation chinoise ne sont pas encore définis.

L’histoire récente de la Chine a toujours provoqué des débats intenses. Trop souvent, la peur et la crainte s’affichent et la raison s’efface devant un taux de croissance inimaginable en Europe. En tout premier lieu, la première méthode de la Chine actuelle est le pragmatisme (et l’utilité). Par exemple, la république populaire de Chine est réticente à travailler avec des grands organismes internationaux comme le FMI ou la banque mondiale créée par quelques pays, et largement dominée par les USA. D’où sa participation active (car détenant la maitrise d’ouvrage) dans des structures qu’elle a mise en place comme l’organisation de coopération et de Shanghai, forme moderne d’OTAN asiatique. L’appellation montre à la fois le contrôle chinois et la mise en valeur de la capitale économique qu’est Shanghai.

Quels sont donc aujourd’hui les atouts et les points faibles de la Chine ? Faut-il craindre une nouvelle définition du monde ? Qu’en est-il des Chinois ? De leur rêve, de leurs espoirs, de leur appréciation du monde ? Qu’en est-il du formidable défi démographique, des conflits sociaux quotidiens, des tensions ethniques, des libertés individuelles et collectives ? La première force de la Chine est incontestablement son marché intérieur en expansion même si ses exportations représentent aujourd’hui l’élément le plus dynamique de son économie. Sa formidable croissance à deux chiffres révèle à la fois une force et une faiblesse. Car en dessous de ce niveau, les tensions sur la production économique, le pouvoir d’achat, les formidables investissements dans les infrastructures, ne pourraient se poursuivre et provoqueraient une déflagration sociale et économique. Pour réduire ces risques, la Chine entend participer à la définition des normes techniques et technologiques mondiales. Elle montre une grande réticence aux questions concurrentielles pour préserver sa croissance phénoménale. Car il faut le rappeler, c’est par des financements publics massifs que la Chine prend la première place dans la production de cellules photovoltaïques par exemple. La Chine a compris toute l’opportunité d’investir massivement dans des technologies nouvelles pour prendre la première place, en délaissant les techniques actuelles (au niveau de la Recherche/Développement comme au niveau de la production).

Afin de poursuivre sa croissance, elle investit massivement dans la recherche de matières premières indispensables à son appareil productif, développant des relations toutes azimuts en Afrique au Moyen-Orient ainsi qu’en Amérique latine. Qu’importe la nature du régime politique en place, ce qui importe c’est la régularité des approvisionnements et leurs prix. Elle consolide également sa présence en Asie. Par sa diaspora, elle s’assure la première place dans le secteur du commerce et de la distribution dans de nombreux pays en développement. Elle prend des parts importantes dans les centres financiers. Le secteur énergétique représente une de ses priorités avec l’agriculture qui permettra de nourrir son importante population. Ce faisant, il est notable de constater que la Chine devient moins accueillante pour les entreprises étrangères en adoptant des lois sur les fusions qui compliquent l’acquisition de sociétés chinoises. Avec le droit mondial sur la propriété intellectuelle, et l’affirmation universelle d’une concurrence libre, la Chine est en conflit avec le monde développé. Nous sommes ici sur les points faibles de la croissance chinoise. À la fois conquérante sur ces marchés extérieurs, elle fait preuve d’une rigidité sur son marché intérieur. Et elle n’admet toujours pas (mais pas systématiquement) les vertus fondamentales du contrat écrit.

Quant à l’État de droit, s’il existe par de nombreux textes législatifs de qualité plutôt correcte (notamment sur ceux concernant les libertés, le droit du travail…), il est d’application très différenciée selon les villes et les provinces. Quand à la peine capitale, elle est largement utilisée avec un entrain qui confine au cynisme d’Etat pour donner du contenu à une propagande gouvernementale parfois désuète car décalée entre « socialisme de marché » et « enrichissez-vous ». Investir en Chine et travailler à établir des relations égalitaires, restent toujours suspendus au relationnel déployé, aux échanges de cadeaux (réflexe dans la société chinoise), et à des décisions surprises d’un interlocuteur auquel l’attention nécessaire n’aurait pas été accordée. L’étranger doit s’accommoder de cette complexité. Mais quand les bons interlocuteurs sont trouvés, cela peut fonctionner. Au niveau social, j’avais visité deux entreprises de textile il y a une douzaine d’années dans les zones de Shenzhen et Zhuhai (Sud de la chine, zones économiques spéciales près de Canton et Macao). Si les rémunérations ont évolué positivement, les conditions de vie des salariés, comme le respect des dispositions législatives du droit du travail ne s’améliorent que très lentement. Le choix des défenseurs des travailleurs (syndicalistes « clandestins », dissidents discrets ou plus connus) est dans l’apprentissage du droit du travail officiel pour le faire respecter. Il n’y a pas un seul jour qui connaisse des conflits sociaux (grèves, occupations, manifestations, rassemblements) dans les provinces chinoises pour cause de non-respect du droit. En Chine, il y a toujours le Droit et la vraie vie ! Pour autant, le niveau de vie des citadins progresse comme en témoigne le confort du logis et la forte augmentation du parc automobile.

La démographie chinoise représente une véritable bombe. Les prévisions de croissance minorent ce fait essentiel. Des analystes indiquent même que la Chine va « vieillir avant de devenir un pays riche ». Les projections actuelles prévoient que d’ici à 2050 la proportion des personnes de plus de 60 ans sera supérieure à celle des États-Unis ! Se pose les questions de l’alimentation, des ressources aquatiques (un niveau inquiétant), de la planification urbaine, des migrations campagnes-villes, provinces-provinces etc.… Sur les libertés, on mesure le décalage entre la modernité de Pudong (avec la seconde tour superbe la plus haute du monde - 544 mètres !) et l’utilisation du réseau internet (lorsque les sites sont hors contrôle du régime). J’ai voulu utiliser les services de Google et Yahoo. Pour le premier, c’est une impossibilité complète. Pour le second, c’est plus qu’aléatoire même sans avoir eu l’audace de taper « Tibet » ou le nom d’un dissident chinois sur le clavier ! Finalement, c’est peut-être cela le plus grand défi des autorités chinoises : comment assurer le contrôle continu du Parti sur les échanges entre les chinois, entre les chinois et l’étranger, et continuer d’assurer un filtre entre la Chine et le reste du monde (hors le business, et souvent avec un business contrôlé). Cet anachronisme aussi éclatant ne risque-t-il pas de devenir le handicap de la Chine en évolution ?


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