https://www.traditionrolex.com/18 TRIBUNE LIBRE : PROJET DE MANIFESTE POUR L'AUTOGESTION, à débattre… - La Gauche Cactus

TRIBUNE LIBRE : PROJET DE MANIFESTE POUR L’AUTOGESTION, à débattre…

mercredi 24 novembre 2010
par  Jean-Pierre Lefebvre
popularité : 63%

70 % des Français sont opposés à la politique imposée par le président du CAC 40, élu sous la pression médiatique ? Salariés, unissons-nous pour décider chaque jour de ce qui nous concerne dans l’entreprise et dans la ville ! Pour avoir une portée internationale, le projet autogestionnaire doit s’appuyer sur la praxis plutôt que sur des vérités révélées autant qu’éternelles, il doit donc se nourrir de l’analyse des conditions historiques concrètes d’une nation donnée.

Si dans la singularité française, les nombreux courants de la gauche révolutionnaire représentent toujours en hautes eaux quelque 15 % des citoyens, ils sont mieux qu’ailleurs capables de vigoureuses mobilisations défensives, offrant ainsi les bases objectives d’un basculement majoritaire vers une option socialiste. Cependant, leurs divisions chroniques comme autant de strates des avatars historiques du siècle dernier, leur recherche du présidentiable miracle qui vilipende le présidentialisme, leur vide stratégique et leur distance au réel, leur enlisement dans un corporatisme qui borne l’avenir au renforcement des services publics, c’est-à-dire en toute absurdité, à celui de l’Etat bourgeois, tout cela les prive d’un programme unificateur et crédible pour un vrai changement de société. Aucun salarié en possession de ses facultés ne souhaite rééditer les tragiques expériences de socialisme étatique de l’Est effondrées en 1989.

Or le monde est confronté à une crise générale du système capitaliste qui est à la fois financière, sociale, économique, écologique, militaire, culturelle, urbaine, éthique, scientifique. Il n’y a pas de survie possible pour l’humanité si elle garde le système d’exploitation qui provoque, outre l’inégalité et la violence, une prédation aveugle de la Terre-mère. Son logiciel obsolète est incapable de fournir les bonnes réponses aux contradictions dramatiques de sa phase terminale. Le capitalisme, rafistolé ou non, mène la planète droit dans le mur. Le blocage historique résulte de l’absence d’une alternative crédible qui exclurait les dérives mortifères du « socialisme » par étatisation.

Le long processus d’hominisation

Depuis la commune primitive, l’histoire de l’humanité s’écrit comme celle de la lutte des classes où l’Etat est l’instrument de la domination des nantis, tentant d’éviter que ces contradictions ne deviennent destructrices plutôt que productrices de richesses. La formidable éclosion grecque du Ve siècle avant JC nous a offert la rationalité matérialiste et la première forme de démocratie, fût-elle encore partielle. Ont suivi deux millénaires de lutte des classes. Le siècle des Lumières et des révolutions bourgeoises a enfin renoué avec le rationalisme et le progrès démocratique. La science a pris son essor et les philosophes matérialistes, renouant avec Lucrèce, Epicure, Démocrite, ont démonté les mythes idéalistes : l’univers est connaissable, les galaxies comme l’histoire ne comportent aucun meneur de jeu caché.

Marx et le capitalisme

Marx prolonge les Lumières et déduit son socialisme de l’analyse du capitalisme qui naît avec le XIXe siècle. Il s’appuie sur les analyses des économistes anglais Smith et Ricardo qui ont mis en évidence des mécanismes économiques comme la loi de la valeur des marchandises, l’accumulation du capital grâce à la plus value prélevée sur l’exploitation de la force de travail. Après Rousseau et les utopistes Fourrier, Owen, Cabet, Prud’hon, selon lesquels l’homme primitif originellement bon a été aliéné par la propriété privée des moyens de production, si le prolétariat exploité se libère, une nouvelle commune appuyée sur la science pourra utiliser les résultats de la croissance infinie des forces productives pour répartir équitablement leurs bienfaits à tous les humains. Jusqu’à présent les philosophes tentaient d’expliquer le monde, il s’agit maintenant de le transformer. Le contenu du socialisme suit le principe : à chacun selon son travail. La propriété, dit Proudhon, c’est le vol.

La production est accomplie par un travailleur collectif qui est un complexe de travailleurs associés, manuels et intellectuels. Il produit des marchandises qui ont une valeur d’usage et une valeur d’échange, cette dernière tendant à supplanter la première dans le phénomène de réification. Le prolétaire (manuel ou intellectuel) devient lui-même une marchandise. Il doit, pour subsister, vendre sa force de travail, son seul bien, au propriétaire des moyens de production, suivant une valeur correspondant aux marchandises nécessaires à son entretien et à sa reproduction. Le capitaliste en tire une plus value qui en s’accumulant édifie le capital.

Marx fait franchir à la théorie démocratique l’ultime barrage des murs de l’usine. A la production qui est sociale doit correspondre une propriété également sociale, fondée sur la décision démocratique des salariés. Le capitalisme sera son propre fossoyeur : la suraccumulation de profit privé, si elle développe les forces productives comme jamais, si elle balaye les obstacles idéologiques, nationaux ou éthiques, conduit inexorablement à la paupérisation, aux réifications et aliénations, aux violences interindividuelles de la compétition animale, aux crises de surproduction. A l’autre pôle de la société, s’il parvient à se constituer en classe consciente, le prolétariat se libérant devrait libérer l’humanité de l’oppression grâce à une société sans classe, sans division du travail (intellectuel /manuel) où dominera la propriété collective des moyens de production, débarrassée de l’Etat oppresseur.

La tendance du capitalisme est d’abaisser toujours davantage le prix de la force de travail et d’étendre son emprise sur toute la planète, ce qui est désormais réalisé. Il tend à rationalisation et à concentrer la production en unités de plus en plus grandes, il glisse vers une domination en son sein de sa composante financière. L’économie, sous l’effet de l’avancée technologique et du savoir, tend à diminuer le taux de profit capitaliste, comme conséquence de la mécanisation et de la diminution de la part de travail vivant dans la valeur des marchandises. Les crises cycliques de surproduction - 1929 et 2008- deviennent donc périodiquement inévitables, avec la guerre mondiale comme moyen d’y échapper ou la recherche frénétique de moyens nouveaux d’inventer de la plus value, fut-elle rentière voire fictive.

L’Etat selon Marx

Accaparé par l’étude de l’économie, il n’a pas eu le loisir de développer ses conceptions de l’Etat. Celui-ci est cependant dès le début caractérisé comme l’instrument politique de la classe dominante, de nos jours les propriétaires des moyens de production. Son intervention dans le fonctionnement de la machine économique capitaliste n’a jamais cessé, y compris aux pires moments du néo libéralisme « anti-étatique » (Reagan, Thatcher). La totalité de la richesse privée appartient aux salariés puisqu’elle n’est rien d’autre historiquement que la cristallisation de leur travail.

Pour Marx, la bureaucratie étatique est la corporation transférée dans le monde politique, c’est l’armée des moines soldats qui abandonnent toute autonomie individuelle pour le conformisme, le culte du secret, de la norme, de la hiérarchie, outre une tendance naturelle à la prolifération. C’est une négativité passive qui refuse la contradiction et bloque les tuyaux du développement, comme disent les Chinois. Pour l’essentiel, elle est au service non de l’intérêt général mais de la classe dominante.

A notre époque, la croissance numérique des fonctionnaires et l’espace de liberté syndicale qu’ils ont conquis les ont rapprochés des autres salariés en les engageant dans des combats contre la droite libérale qui s’en prend à leurs acquis. Le soutien à leurs légitimes luttes syndicales ne devrait en aucun cas obscurcir les perspectives socialistes d’un dépérissement de l’Etat : les fonctionnaires pourront bénéficier d’une libération de leur potentiel créatif au sein d’entreprises socialistes autogérées, garantissant comme à tous les salariés les protections sociales historiquement acquises. En prise directe avec le marché, mieux protégés par leur statut de 1945, les entreprises nationalisées ont un salariat aux traditions de haute combativité.

Pour Marx, la Commune de Paris de 1870 a préfiguré un pouvoir autogestionnaire du prolétariat qui remplace les structures parasitaires de l’Etat bourgeois par l’auto administration directe et consciente des prolétaires. La bourgeoisie ne s’y trompe pas qui noie dans le sang cette première tentative d’autogestion concrète. Marx ne croit pas à la possibilité de construire le socialisme dans une Russie majoritairement paysanne sans l’appui d’une révolution européenne, il appelle les prolétaires du monde à s’organiser en partis politiques indépendants pour instaurer un pouvoir fort qui succéderait à celui de la bourgeoisie afin de socialiser l’économie et de faire aussitôt dépérir ses appareils d’Etat. A la fin de sa vie, devant les succès électoraux des partis socialistes européens, il reconnaît la possibilité pour les prolétaires des pays développés d’accéder au pouvoir par la voie du suffrage universel tout en critiquant le danger réformiste (gestion loyale d’un capitalisme amendé) qui menace le parti social démocrate allemand.

Actualité de Marx.

La récente crise de 2008 a démontré la richesse des analyses de Marx dont nombre des traits demeurent efficients. Certaines de ses thèses sont cependant historiquement dépassées comme l’affirmation d’un caractère scientifique de la doctrine marxiste, mise surtout en avant par Engels et Lénine, puis jusqu’à la caricature de « science prolétarienne » par Staline. Science humaine, le marxisme n’est qu’une tentative largement approximée visant à prolonger les Lumières par une analyse tendanciellement rationnelle de l’histoire et de l’économie. Elle vise à élaborer une utopie cohérente fondée sur des observations historiques, des intuitions et des approximations, elle ne dispose d’aucune possibilité d’expérimentation et d’algébrisation des sciences dures qui lui confèrerait le statut d’une science exacte. Au-delà du jeu des forces économiques traduit en luttes de classe, les idéologies de masse, leurs conflits spécifiques et leurs mouvements telluriques sont les lieux décisifs de l’émergence et du mûrissement des mutations historiques.

La thèse de la dictature du prolétariat - même si on tient compte de l’évolution du contenu du mot dictature depuis Marx - suppose une théorisation du rôle de la violence dans l’histoire. Si elle exprime bien la difficulté extrême d’obtenir la défaite de la classe dominante, elle porte des dangers totalitaires que le développement historique a révélés. Elle n’était pas adaptée aux nations capitalistes libérales du Nord qui bénéficient de certaines conquêtes démocratiques du peuple quand bien mêmes celles-ci sont dévoyées par les appareils idéologiques d’Etat, médias, publicités, corruption, société du spectacle, irrationalisme, consensus « éthique » néo-libéral. La thèse de Gramsci sur la nécessaire conquête par le salariat conscientisé d’une hégémonie idéologique correspond mieux aux possibles historiques.

Lénine, dans les conditions archaïques de la Russie autocratique, agraire et faiblement industrialisée, pour résister à la répression féroce des gendarmes tsaristes, prescrit en 1902 la formation d’un parti ouvrier clandestin, solidement organisé sur les règles du centralisme démocratique (beaucoup plus centraliste que démocratique), dirigé par un petit nombre de révolutionnaires professionnels et aguerris. Quelques décennies plus tôt, Bakounine en avait fait la critique prémonitoire : le parti ouvrier allait fatalement se substituer à la classe et le dirigeant au parti pour s’achever en une dictature personnelle… Pour les anarchistes, l’ennemi principal est l’Etat qu’il convient de supprimer totalement en même temps que la propriété privée des moyens de production, tous deux remplacés par l’autogestion. Sur ce principe stratégique, sinon sur leur tactique politique, l’histoire leur a amplement donné raison.

Division du mouvement socialiste

A la fin du XIXe siècle, organisées légalement dans les partis socialistes, les classes ouvrières européennes partaient légalement à la conquête du pouvoir, En 1914, la crise mondiale de l’impérialisme conduit à la première guerre mondiale. Pour étouffer la menace socialiste et procéder au repartage du monde, les bourgeoisies nationales font s’entre - massacrer leurs classes ouvrières respectives. Le mouvement socialiste se scinde, sa majorité réformiste trahit ses principes humanistes et soutient les bourgeoisies nationales respectives. Jaurès, opposé à la guerre, est assassiné par l’extrême-droite, comme Rosa Luxembourg sur ordre du socialiste Noske. Blum, ancien secrétaire de Jaurès devenu journaliste littéraire, entre à la mort de ce dernier au gouvernement de la défense nationale !

En 1917, les Bolcheviks, seul détachement resté fidèle à l’engagement révolutionnaire, prennent le pouvoir en dissolvant l’assemblée constituante mais sans pour autant organiser de nouvelles élections générales et libres, ce qu’avait fait la commune de Paris. Rosa Luxembourg qui les soutient avertit du danger de dérive bureaucratique et autoritaire. Les soviets, comités de base, deviennent, dans les conditions d’une épouvantable guerre civile, le bras séculier du parti unique. Lénine et Trotski répriment en 1920 l’insurrection ouvrière de Cronstadt qui revendiquait un pouvoir direct aux travailleurs pour vaincre le danger bureaucratique proliférant. Lénine qui en prend conscience, lance la NEP, nouvelle politique économique, libéralisant partiellement l’économie : la famine recule, les effectifs de la bureaucratie qui avaient explosé diminuent sensiblement. Mais il ne suivra pas Kolontaï qui revendique l’autogestion ouvrière dans les usines.

La contre-révolution stalinienne

Malgré l’opposition tardive d’un Lénine affaibli, Staline lui succède en 1930 et procède à une contre révolution autocratique, déclenchant une répression féroce contre les paysans moyens enrichis par la NEP puis contre les Bolcheviks eux-mêmes, enfin contre la population toute entière, sur la thèse délirante d’une aggravation de la lutte de classe après la victoire socialiste ! Il répand dans toute l’internationale communiste le diamat, catéchisme communiste schématique et sclérosé, y compris dans le parti chinois. Dès 1936, tous les salariés sont fonctionnarisés. L’économie patine sur la thèse de la seule croissance de l’industrie lourde et le niveau de vie stagne. Un régime policier, reproduisant le tsarisme, appuyée sur la nomenklatura comme nouvelle classe exploiteuse, prend le contre pied exact des projets humanistes de Marx en incarnant l’extinction des libertés, la bureaucratisation de toute la société, le laxisme, la pénurie, la répression intellectuelle, les thèses obscurantistes de la science prolétarienne et du réalisme socialiste, etc.

Si le camp dit socialiste joue un rôle essentiel dans la défaite nazie et dans l’appui à la libération des anciennes colonies, il échoue malgré les velléités krouchtcheviennes, à sortir du dogme stalinien et à entendre les multiples chercheurs marxistes qui n’ont cessé de critiquer les dérives totalitaires et obscurantistes du régime : Lukäcs, Gramsci, Trotski, Rosa Luxembourg, Souvarine, l’école de Francfort, Dubcek, Henri Lefebvre, Guy Debord, Poulantzas, les eurocommunistes, etc. Tous mettent l’accent sur la nécessité d’abandonner la tentative exclusive d’un socialisme étatique par en haut au profit d’un socialisme par en bas, l’autogestion. C’est-à-dire d’assurer le droit pour chaque individu de pouvoir gérer (être responsable) de tout ce qui le/la concerne, associé à un projet émancipateur radical (Catherine Samary).

Les tentatives de socialisme par le bas.

Une tentative autogestionnaire a lieu en 1938 en Espagne, pays plurinational, à prédominance agraire où le courant anarchiste est dominant. Elle subira une répression stalinienne menée au nom de la priorité à accorder à la lutte antifranquiste, plutôt qu’à la construction immédiate d’une voie socialiste. Avec l’appui de Hitler et la non-intervention de Blum, Franco écrase la République et ses soutiens divisés. Tito en Yougoslavie tentera pendant trente ans de construire un socialisme autogestionnaire qui échouera face aux déséquilibres nombreux de la Yougoslavie pluri nationale, au maintien d’un parti unique et bureaucratisé comme à la pression extérieure du libéralisme. n Angleterre, Pays scandinaves, Amérique latine, Algérie, Pologne, etc., d’autres tentatives partielles verront le jour sans jamais parvenir à faire tache d’huile. Elles sont le plus souvent réprimées par la bourgeoisie ou par la tradition stalinienne.

En France, un secteur de scops non négligeable résiste avec succès à l’environnement libéral. En 1947, l’institution des comités d’entreprise, acceptée par De gaulle et l’ensemble de l’éventail politique, pouvait ouvrir à une amorce de contre-pouvoir dans l’entreprise. L’hostilité conjointe du patronat et des staliniens a depuis assoupi ces possibilités. D’autres secteurs peuvent s’assimiler à une autogestion partielle plus ou moins déformée, avec des succès et insuccès divers : mouvement HLM, économie mixte, mutuelles, sécurité sociale, offices d’HLM, université, journaux comme Libération et Le Monde, etc., dont il serait utile d’analyser la fiabilité. Mai 68 avait placé l’autogestion au centre des débats politiques de toute la gauche. La reprise par les salariés de LIP a constitué un paradigme réussi d’autogestion concrète jusqu’à ce que le pouvoir de droite y mette fin. Marchais et Mitterrand ont étouffé ces perspectives sous le programme commun d’étatisations bureaucratiques qui ont vite montré leurs limites avant que la droite reconquière le terrain perdu.

L’autogestion socialiste de l’économie

Economie et Etat capitalistes sont étroitement imbriqués. Impossible de modifier l’un si on ne change l’autre. Pour que la transformation socialiste prenne corps, deux impasses doivent donc être évitées : celle du réformisme assurant la gestion loyale du capitalisme, et celle de l’étatisation délétère par les nationalisations systématiques. Deux offensives idéologiques parallèles sont donc nécessaires, l’une pour convaincre une majorité de gauche des thèmes de l’autogestion et du dépérissement de l’Etat afin d’élire un gouvernement qui les mette en œuvre, l’autre pour libérer la créativité des masses populaires pour qu’elles construisent à la base, dans les entreprises et les quartiers, les éléments tangibles d’un autogestion économique et politique. A partir du droit pour tous les salariés de décider de toutes les options de l’entreprise où ils travaillent, deux directions s’ouvrent dans le foisonnement des conditions particulières, historiques et nationales où le processus autogestionnaire s’ébranlerait et dont on ne peut naturellement préjuger tous les détails :

1/ Celui qui voudrait l’autogestion totale de l’économie et de la politique en instituant le libre jeu d’un marché socialiste, encadré naturellement par des lois votées au parlement (voie libertaire). La propriété des entreprises reviendrait aux salariés eux-mêmes qui éliraient à terme leur direction et se partageraient les fruits de leur labeur, poussant jusqu’à leur terme les règles démocratiques et jouant le jeu concurrentiel d’un nouveau marché, socialiste et écologiste. Les opposants à cette solution craignent que la pression des lois économiques du capitalisme (liée au fétichisme de la marchandise) reproduise au sein de l’autogestion les mêmes dérives vers la concurrence sauvage et la concentration. Thomas Coutrot (démocratie contre capitalisme) : L’appropriation sociale des moyens de production est incompatible avec la planification centralisée, et nécessite au contraire l’autogestion… Il poursuit : mais l’autogestion ne doit aucunement être comprise comme la souveraineté des collectifs de travail. Ce n’est ni au marché ni aux cheminots de déterminer la politique des transports… Il faut une articulation des deux pouvoirs, celui d’en haut et celui d’en bas, qui utilise ceux des mécanismes complexes de l’appareil productif du capitalisme qui peuvent être débarrassés de la loi du profit privé et réutilisés par l’autogestion dans l’effort solidaire : logiciels de production, productivité, étude des marchés, bilans équilibrés, DRH, progrès technologiques, fonds propres, équilibre des bilans, recherche appliquée, etc.

2/ L’autre option voudrait mixer cette révolution autogestionnaire - appropriation de l’entreprise par ses salariés eux-mêmes -, avec un encadrement étatique fort de la société et de son économie, notamment par le moyen d’un plan économique centralisé, voire d’une banque nationalisée unique et l’embauche demain d’un million de fonctionnaires (NPA), ce qui tient de l’hystérie tribuniciste. On injecterait dans l’autogestion quelques éléments de l’ancien socialisme réel. Cette référence à la planification centrale engendre la crainte qu’elle ne reproduise rapidement les déviations bureaucratiques qui ont mené partout au laxisme et à la pénurie en tuant tout dynamisme de marché et en contredisant fatalement le nécessaire dépérissement de l’Etat oppresseur. Un gouvernement national - strictement politique et dont les appareils soient en voie de dépérissement - sera longtemps utile pour fixer les grandes lignes d’une activité économique qui assure le développement durable et le partage équitable de ses fruits, la protection écologique, les grands équilibres budgétaires, les investissements nationaux prioritaires, l’équilibre des comptes de la nation. Un outil statistique performant informerait gouvernement et population de toutes les données économiques, indices précis de la production, exportations, importations, états de l’amaigrissement programmé de la pyramide des revenus, secteurs privilégiés d’investissement, etc. Il éclairerait ainsi en bas et en haut les grandes actions nationales de gestion économique.

Mais tout ce qui peut être réglé par le marché socialiste concurrentiel devrait être laissé à son action spontanée puisque ce sont les producteurs eux-mêmes qui décideraient à la source de l’orientation sociale, égalitaire, écologique de leur production dans leurs lieux de travail, en fonction d’une information libérée de la pesanteur mercantile. Les mêmes, comme consommateurs, indiqueraient leurs choix au travers du marché. Les éventuels et inévitables dérives ou conflits seraient traités par le pouvoir politique, dont la base, elle-même autogestionnaire, offrirait la plus grande transparence historiquement compatible avec le degré de prise de conscience des masses. Un rôle croissant de la base au sein d’une délégation de pouvoir translucide agirait en faveur de son amincissement constant jusqu’à la meilleure transparence. La constellation des groupes de gauche radicale, des ONG, des associations, abonde en militants créatifs et désintéressés qui pourraient être les catalyseurs de cette effervescence rationnelle et empathique au sein d’un gigantesque vivier national de centaines de milliers de délégués de la base. Ils sont aujourd’hui tenus écartés de cet engagement par le culte de l’individualisme et l’épouvantail du mandarinat comme des dérives de la politique politicienne, de la manipulation à la corruption banalisée.

L’adjonction de l’adjectif démocratique au plan central ne garantit pas contre un retour insidieux de l’asphyxie bureaucratique à la moindre difficulté. Il est fort à craindre d’autre part que, dans un tel plan démocratique, la discussion à l’infini dans les comités de base sur le nombre de fourchettes, de rouges à lèvre ou de portables ne dérive vite sur l’imbroglio et la chienlit et ne fasse de toute coordination une mission impossible quand le marché socialiste pourrait régler seul ces problèmes seconds.

La question se ramène à la position du curseur qu’il convient de placer en cours de réforme entre marché libre et intervention étatique. Les conditions historiques (résistance de la bourgeoisie, état préalable des institutions, idiosyncrasies nationales, etc.), celles du moment politique (profondeur de la crise et de la mobilisation populaire, état de conviction sur les solutions autogestionnaires, résistance des possédants, compromis inévitables, etc.) moduleront différemment le mixage nécessaire. En France, les traditions colbertistes et napoléoniennes qui la placent mondialement en tête pour la lourdeur des appareils d’Etat, indiquent qu’une priorité sera longtemps la résistance à la centralisation bureaucratique. La construction autogestionnaire suppose l’acceptation par tous de l’expérimentation nécessaire et de ses risques, de l’audace des nouvelles mesures comme des nécessaires bilans et rectifications. Michel Fiant : Lorsqu’elle n’est pas générale, l’autogestion est condamnée… La dramatique expérience du peuple russe montre qu’une étatisation généralisée de la propriété et de la planification est complètement antagonique à l’autogestion.

Il est impossible de fixer à l’avance tous les détails précis des immenses changements à opérer, ni la part des institutions héritées du capitalisme à conserver en transformant leur orientation, celles qu’il conviendrait de supprimer, les nouvelles institutions à créer, les compromis à passer avec l’opinion. La créativité de masses populaires faisant elles-mêmes leur histoire inventera certaines de ses formes aujourd’hui imprévisibles.

Thomas Coutrot analyse la dépossession croissante des salariés du contrôle sur leur travail : ils sont désormais plongés dans l’abstraction totale d’une hyper rationalisation. C’est moins un phénomène nouveau qu’une aggravation drastique de l’ancienne aliénation. Il en déduit que l’effort principal ne devrait plus porter sur l’autogestion souveraine des salariés dans leur entreprise mais dans la recherche parallèle de fabrication de nouvelles valeurs d’usage, ignorant les valeurs d’échange, par des associations de producteurs et de consommateurs dans une problématique des biens communs. Il est à craindre qu’une telle orientation, délaissant la question centrale de la propriété privée des moyens de production et de l’oppression étatique, ne conduise à une impasse - une manière de désertion du champ de bataille principal - qui laisserait le terrain essentiel aux multinationales et à leurs Etats. Ce sont vraiment celles-ci et leurs Etats prisonniers qui doivent être appropriés par les salariés immensément majoritaires. La production du « commun » nouveau venant en complément utile mais marginal de la production du futur marché socialiste.

Le rôle essentiel du travail salarié reste au fondement de l’analyse économique : Ce n’est pas sacraliser le travail que de situer l’origine de toute valeur monétaire créée et distribuable dans le travail. Encore une incompréhension majeure de ceux qui ont adopté la proposition du revenu d’existence et qui continuent de propager l’idée d’un revenu monétaire distribué à ceux qui n’ont pas d’emploi (salarié ou non) pourrait jaillir d’une autre source que le travail social … Ce serait réintroduire le mythe de la fécondité (en terme de valeur économique) des machines, du capital, de la finance… (Jean-Marie Harribey, Autogestion, Syllepse, 2010)

La question décisive aujourd’hui concerne donc les mesures immédiates à populariser et à faire entrer en vigueur dès 2012 et le succès dans les urnes et dans la rue du mouvement populaire, qui engagent le processus d’autogestion économique et étatique en donnant les premiers soins pertinents de court et de long terme aux traits saillants de la crise générale du système. Ainsi de la crise financière : pas d’autre moyen d’empêcher efficacement le renouvellement des errements bancaires que de créer par la loi des comités de surveillance dans chaque banque, composés de salariés et d’usagers de la banque disposant de pouvoirs étendus. Contre les délocalisations, de construire avec l’aide de l’Etat l’autogestion de l’activité menacée, comme Ceralep l’a réalisé avec succès. Ces mesures, appuyées sur un Etat politique favorable à l’autogestion, induiraient pour une longue période un double pouvoir entre salariés et actionnaires, le rythme de la lutte des classes accélérant ou ralentissant le mouvement jusqu’au dépérissement, par une fiscalité appropriée, de la propriété privée et héritée des moyens de production, mesure de salubrité publique après l’affaire Bettencourt.

Pour le progrès social, contre l’inégalité et le chômage, l’extension par la loi républicaine des prérogatives des comités d’entreprise permettrait d’intervenir chaque fois à la source en économisant les lourdeurs de l’Etat-providence. Ainsi du mode de développement égalitaire et écologique à proposer : La Réduction du Temps de Travail, l’augmentation du temps libre et la disparition à terme du travail pénible serait substitué au dogme de la croissance et de l’accumulation des biens matériels qui ne peut constituer la source d’un bonheur durable. Au Nord, l’automation serait mise au premier plan pour résister aux délocalisations, en diminuant le travail vivant répétitif dans la fabrication des objets courants afin de rendre leur prix compétitif sur le marché international. Plutôt que le taux de croissance comme un dogme de la foi, le partage du travail et des richesses serait poursuivi avec un contrôle annuel de l’abaissement programmé de la pyramide des revenus et du temps de travail, en fonction notamment de la balance des paiements dans les échanges internationaux (avec en France le poids essentiel de l’achat d’énergie).

Le gouvernement autogestionnaire devra disposer de pouvoirs puissants délégués par l’assemblée nationale élue à la proportionnelle pour occuper les créneaux indispensables au rattrapage de l’Allemagne dans les exportations, notamment dans les secteurs de pointe : biotechniques, nanotechnologies, neurophysiologie, automation, nouvelle urbanisation écologique, proxémique, empathique et belle, expertise des principes de précaution des nouvelles techniques, etc. La pyramide des revenus sera révisée chaque année pour son aplatissement continu et l’écart entre RMI et RMA fixé dans un premier temps de un à dix.

La publicité devrait céder progressivement la place à l’avis circonstancié des ONG analysant les qualités et défauts des nouvelles productions, supprimant ainsi la pression à la croissance aveugle et destructrice. Un espace considérable serait ainsi libéré dans les médias de masse et Internet pour faire place au rationalisme, au débat culturel incessant comme à la pédagogie de la gestion collective, économique et politique, en fonction des désirs citoyens. Le principe de la politique sociale autogestionnaire serait pour longtemps : « à chacun selon son travail ».

Réformisme et révolution

Cette stratégie pose la question du rapport entre réforme et révolution. Toutes les révolutions violentes se sont traduites à terme par une restauration de l’ancien régime, avant de nouvelles avancées sous des formes renouvelées. Le darwinisme enseigne que l’évolution naturelle a suivi le chemin probabiliste de la sélection par petits sauts successifs. La mutation directe d’une espèce à l’autre ne présente qu’une probabilité infiniment faible, non crédible. La probabilité de réalisation de petites mutations est beaucoup plus élevée et passe ainsi dans le domaine du possible, la sélection opérant ensuite le meilleur choix de survie de l’espèce. L’addition de tous les petits sauts aboutit in fine à la mutation importante qui crée l’espèce nouvelle. L’évolution des sociétés humaines suit sans doute des cheminements probabilistes voisins avec cette différence : la surimposition de perspectives rationnelles peut modifier ces règles de fonctionnement de l’évolution naturelle dans la mesure où les idées s’emparant des masses deviennent des forces matérielles. Des bonds qualitatifs peuvent être ainsi générés dans des situations de crise sociale profonde.

Il faudra donc, comme le montre toute l’expérience historique, franchir de multiples étapes partielles, chaque fois sanctionnées par la sélection populaire mais rendues cohérentes par une forte volonté révolutionnaire (organisée en partis !). Appuyée sur la conviction rationnelle et probabiliste davantage que sur la foi dans les dogmes ou les personnages charismatiques qui peuvent conduire à la régression. S’impose donc une gestion prudente des possibilités concrètes d’intégrer des changements partiels, par paliers, associée à une obstination sur les buts révolutionnaires poursuivis. Qui peut ressembler à ce que Trotski nommait la révolution permanente.

Thomas Coutrot : La stratégie de la démocratie économique participative amène inévitablement une remise en cause des institutions centrales du capitalisme. C’est donc une stratégie révolutionnaire. Mais il s’agit aussi et d’abord d’une stratégie réformiste. Aucune des avancées démocratiques évoquées n’est par elle-même une rupture de l’ordre existant. Il conviendra de gagner la conviction des plus larges masses à la nécessité des petits sauts qualitatifs permettant le dépérissement systématique de la propriété privée des moyens de production, celui de sa transmission par héritage, du dépérissement dès maintenant des appareils d’Etat bureaucratiques, de la publicité vecteur suicidaire de la croissance aveugle.

Les bases philosophiques : Communisme ou autogestion socialiste ?

Face au déferlement des théories libérales sur une éternité du capitalisme, Alain Badiou a le mérite de réaffirmer la nécessité philosophique du changement révolutionnaire. Sa théorie appuyée sur la mathématiques d’évènements survenant à des situations générées par les multiples qui donneraient jour à des vérités éternelles - quoique matérialistes et excluant tout recours au divin (?) -, tente d’ouvrir de nouveaux champs à la transformation communiste. Pour ce faire, il doit cependant postuler l’identité des champs qui déterminent les actions humaines : la science mais aussi la politique, l’art, la philosophie, l’amour. Dans le second cas la probabilité, certes approchable, n’est pas du même ordre, elle n’est ni repérable quantitativement ni calculable, elle est faible, de l’ordre du littéraire, de l’intuitif. Il y a donc un certain mélange des catégories.

Le fondement de sa démarche repose sur un contresens majeur à propos de la révolution culturelle chinoise où il lit toujours une irruption spontanée des masses quand il ne s’est agi que de leur manipulation sanglante par Mao pour battre ses collègues du bureau politique du PCC, partisans des réformes économiques qui triompheront quelques années plus tard. Mêmement douteuses sont ses attaques contre la démocratie plutôt que sur ses déviations bourgeoises, ou bien contre toute éthique, plutôt que contre son dévoiement libéral qui veut ignorer la réalité de l’oppression états-unienne ou de l’apartheid israélien. Milosévic, Ahmanidéjad, Ben Laden, Staline et Mao demeurent des exemples du mal absolu, tout autant que les gredins du Pentagone ou du Mossad. L’opinion publique mondiale, le Zeitgeist, englobent non seulement les aliénations de la domination mais aussi certaines résistances individuelles à leur pression, elles tendent à lentement progresser dans un espace relatif, démocratique et mondial et un humanisme précieux, fut-ce dans le désordre des régressions et du truquage marchand. Il ne peut être indifférent aux révolutionnaires de voir progresser les libertés en Iran, en Chine, reculer le tribalisme ou s’améliorer le sort des femmes en terre d’Islam.

Le communisme peut difficilement ne pas être pris pour une donnée politique. Son concept s’est malheureusement identifié au tragique vingtième siècle avec les horribles réalités génocidaires russes, chinoises, cambodgiennes, avec la privation des libertés, la pénurie généralisée et la régression culturelle. Ici même à la longue sclérose bureaucratique du PCF. La tentative de redonner au concept communiste une nouvelle virginité sous le poumon d’acier d’une spéculation métaphysique n’est guère convaincante, c’est sans doute beaucoup de temps perdu sur le chemin d’une nouvelle offensive populaire. Castro lui-même avoue l’inanité de son modèle cubain ! Pourquoi ne pas s’en tenir au marxisme critique et à ses développements réalistes qui n’ont jamais porté ce dévoiement historique ?

Sur le contenu du concept originel de communisme

On peut s’interroger sur le contenu même du concept de Marx, alternant depuis toujours avec celui du socialisme, lui-même porteur d’une forte ambiguïté dans son identification avec la gestion loyale du capitalisme par la sociale-démocratie. Le vocabulaire a des pauvretés irrémédiables avec lesquelles force est de composer !

Pour Marx, l’utilité du communisme par distinction avec le socialisme, tient au principe : à chacun selon ses besoins, de chacun selon ses capacités. Son souci était celui des franges les plus déshéritées du prolétariat dont le sort devait être pris en compte par la société solidaire. Sa réalisation supposait une société de surabondance et donc le productivisme qui n’a cessé de hanter le marxisme d’Engels à Mao, aujourd’hui largement démenti par le spectre de la catastrophe écologique imminente. L’avenir qui nous attend sera économe, frugal ou ne sera pas. La surabondance énergétique est derrière nous. La satisfaction gratuite des besoins de tous sous-entend un assistanat qui peut se révéler débilitant. L’époque de Marx ignorait la médecine moderne, la génétique, les pédagogies actives, l’explosion de la communication. Personne ne pouvait imaginer la moindre possibilité, sous les conditions du capitalisme, d’un progrès social et culturel des masses. Il en a été pourtant ainsi au Nord, certes dans le chaos, les inégalités et l’exploitation du tiers monde. Le recul statistique des grandes maladies, de l’alcoolisme, les progrès de la nutrition, ceux de la génétique et du diagnostic préimplantatoire, avec toutes les prudences qu’impose le refus d’un eugénisme fascisant visant à une amélioration étatique ou mercantile de la race humaine, n’en dégagent pas moins, et bien plus encore dans les conditions du socialisme d’en bas, d’autres perspectives qu’au dix neuvième siècle pour une élimination progressive des nombreuses dysfonctions et inégalités individuelles dont pâtissent surtout les populations pauvres. Ainsi des développements inévitables de la biologie de synthèse qui appellent un progrès de la bioéthique que le capitalisme est incapable de mettre en œuvre. Les nouvelles pédagogies, fondées sur l’affectif, l’ouverture au monde, les technologies de l’information, réprimés dans notre école capitaliste, ouvriraient d’autres perspectives pour diminuer les inégalités devant le savoir. Une communication débarrassée à terme de la publicité abêtissante au profit de nouveaux médias cultivés pourrait drainer le plus grand nombre vers le petit cercle des connaisseurs d’une haute culture rationnelle et sensible se substituant aux définitions horriblement mercantiles des leaders de TF1. Une autonomie plus heureuse pour tous est donc envisageable à long terme qui puisse dispenser du maintien éternel de mesures de péréquation centralisée au profit d’une frange d’hommes et femmes dont on ne peut accepter qu’ils soient définitivement diminués et donc assistés.

Le mot d’ordre du socialisme, à chacun selon son travail, semble donc mieux correspondre aux chemins qui s’ouvrent pour très longtemps à la modernité, notamment pour l’égalité des femmes. Le partage du travail nécessaire et ingrat devra y être longtemps inscrit plus utilement qu’un assistanat débilitant. Sa réalisation exige la disparition de la bourgeoisie héréditaire, ce qui n’est pas une mince affaire et risque d’occuper fort longtemps les militants de l’émancipation avant qu’ils aient à se poser la question de fournir la chimère du à chacun selon ses besoins.

Il semble que le mot d’ordre d’émancipation de l’oppression capitaliste serait mieux incarné par le concept d’autogestion socialiste et de dépérissement de l’Etat, comme aboutissement de l’effort séculaire de l’humanité pour promouvoir son self gouvernement. Toute équivoque avec l’insupportable étatisation du communisme totalitaire qui perdure en Chine ou en Corée serait ainsi écartée.

Inéluctabilité des étapes dans le processus autogestionnaire.

Il semble donc que soit nécessaire une première étape d’une autogestion prudente qui chemine un long moment dans un double pouvoir au sein des entreprises. La mesure irréversible pourrait être par exemple, en France, d’étendre les pouvoirs des comités d’entreprise puisque, existant déjà depuis 1947 et le programme de la Résistance, ils effraieraient moins les couches moyennes dont la neutralité est indispensable au succès. Les salariés pourraient ainsi, protégés par la loi républicaine, modifier les décisions les concernant : bilans, répartition des bénéfices, développement, embauches et licenciements, stratégie, etc. Cette double direction des entreprises engendrerait naturellement des conflits que les assemblées politiques trancheraient en fonction du rapport des forces. Elles pourraient aussi revenir en arrière si la réalité autogestionnaire ne satisfaisait pas les citoyens. Cette situation pourrait évoluer positivement jusqu’au dépérissement de la propriété des moyens de production transférés par l’héritage, qui pourrait décroître lentement grâce à une fiscalité adaptée.

Salariés et usagers : faudrait-il ouvrir la direction des entreprises autogérées aux usagers voire à l’Etat ou la réserver aux seuls producteurs ? La clarté unificatrice impose la simplicité des choix dont la cohérence et l’unicité dans la propriété sociale de l’entreprise par ses salariés. La participation de l’Etat en tant que tel ne pourrait être, sous peine de retomber dans l’ornière bureaucratique, qu’exceptionnelle et provisoire, par exemple dans le cas des multinationales où une nationalisation préalable pourrait - provisoirement - s’imposer. Sinon, deux cas essentiels se présenteraient suivant que :

- Premier cas, les « fabrications » (y compris les services de toutes natures) prennent une valeur d’usage évidente, reconnue par les consommateurs car répondant à un besoin réel, vérifié par l’information des ONG plutôt qu’imposés par une publicité, mensongère par définition. Dans ce cas la production de l’entreprise serait décidée par les seuls salariés et régulée par le jeu de l’offre et de la demande. Toute complication de la propriété de l’entreprise prônant son ouverture à d’autres intervenants citoyens désignés on ne sait comment, risque, dans cette première étape, de vite mener à un imbroglio ingérable.

- Deuxième cas, les fabrications ne répondent pas à une demande claire et immédiate des consommateurs ou bien leur ampleur dépasse l’achat direct (gros équipements, école, sécurité, recherche fondamentale, etc.) mais leur utilité sociale est telle que la collectivité doit prendre en charge le financement direct de leur production : dans les entités productrices de ces marchandises très particulières, collectives, les représentants des usagers de base devraient alors participer aux décisions au côté des salariés, pour éviter toute dérive bureaucratique de ces entités non soumises aux lois de la concurrence. Ainsi des banques dont il faut conserver l’autonomie et la pluralité, gages de dynamisme, mais où l’influence des directions libérales sur les salariés est une donnée qui risque de se prolonger, ainsi du secteur de la santé, de l’université, du secteur culturel, des médias, de la recherche, etc. Cela pose immédiatement le niveau de démocratie active des diverses assemblées. Toutes les structures aujourd’hui étatiques, jusqu’aux municipalités, à la justice… devraient être progressivement remplacées par des entités autogérées, concurrentielles et passant contrat avec l’Etat politique à ses différents niveaux décentralisés. Ce dernier, à terme d’un long processus de dépérissement, serait réduit aux élus (à la proportionnelle) aux différents échelons, villes, régions, Etat, aidés par un appareil léger de professionnels soumis au même statut que les entités autogérées. Le processus du budget participatif serait généralisé.

Comme alternative à la privatisation des entreprises et des services publics, ne faut-il pas réclamer des établissements publics, autogérés et sous contrat avec les instances politiques qui assurent tout ou partie de leur financement. Bien sûr cela suppose une remise en cause de la hiérarchie des tâches et des salaires au profit de structures autonomes, responsables, pratiquant l’auto-évaluation des résultats qualitatifs et quantitatifs. (Michel Fiant, l’autogestion, Syllepse, 2010)

Le savoir comme axe du développement

Les premières expériences socialistes se sont heurtées à une aporie majeure de la doctrine de Marx : la classe ouvrière (manuelle) qui doit construire l’autogestion et dominer les questions complexes de la direction de la société est privée par le capitalisme de la culture indispensable à cette mission. Il en découle une des fortes raisons des échecs successifs des premières tentatives. Le fait nouveau du XXIe siècle est la transformation du caractère du travailleur collectif, la diminution spécifique de la part de travail manuel direct au profit des machines et des logiciels. Le pourcentage accru de prolétaires intellectuels aidera la réalisation de l’hégémonie politique du salariat (en France, 90 % des actifs), et de sa bonne gouvernance économique et politique. Dans les pays industrialisés, un obstacle objectif au passage à l’autogestion est donc en voie d’être levé.

Dans les contradictions du système marchand, l’humanité tend à s’organiser désormais en macro-organisme planétaire : comme tout organisme vivant, le MOP assure, par l’intermédiaire des hommes, des machines et des réseaux de communication, ses grandes fonctions de base : autoconservation, autorégulation et autoréparation. Il se nourrit, transforme l’énergie, digère et élimine ses déchets- encore imparfaitement… le système nerveux et le cerveau planétaire contrôlent et régulent les systèmes matériels d’échange et de transport qui constituent le métabolisme de l’organisme sociétal et assurent son autoconservation (Joël de Rosnay, et l’homme créa la vie, LLL, 2010)… il ajoute : Le marché est analogue à un super ordinateur parallèle intégrant les décisions et actions de multiples agents répondant à des règles simples : prix, taux, indices, et. La bourse est un écosystème vivant…Sauf que… la logique interne de ce système, fondée sur l’accumulation du profit, mène inexorablement à la crise et à l’effondrement en contredisant cet irénisme délirant.

Ce caractère planétaire de l’économie monde n’interdit pas la possibilité d’autogestion évolutive dans un maillon faible (national) de la chaîne impérialiste, ce qui implique une longue période de coexistence de régimes sociaux différents. Une telle pluralité des régimes sociaux a déjà eu lieu dans le passé, sans que la guerre ne devienne chaude et mondiale. La défaite qui a conclu cette période tient à un modèle de socialisme strictement repoussant. La France a déjà joué dans le passé un rôle exemplaire pour frayer la voie à un futur révolutionnaire qui s’est ensuite peu à peu inscrit dans une reconnaissance quasi planétaire. L’affaiblissement de l’impérialisme américain ouvre des perspectives à l’éclosion nationale de nombre de types de sociétés migrant vers des solutions autogestionnaires adaptées (Amérique Latine). La presque totalité de ses nations se sont libérées malgré l’interventionnisme US et ont choisi des options de gauche, plus ou moins radicales, jusqu’à Chavez et Morales. Les perspectives d’affaiblissement financier, économique, la difficulté renforcée de nouvelles interventions militaires US après les impasses du Moyen Orient, si elles n’en suppriment pas tout danger, élargissent cependant l’espace des changements sociaux. Les réponses désordonnées de l’Europe à la crise laissent également entrevoir un champ plus libre à des évolutions socialistes dans une de ses nations, pour autant qu’elle disposerait des forces économiques et financières assurant son équilibre financier au sein de l’Euro et une large autonomie économique vis-à-vis des contraintes hyper-libérales. L’appui des opinions publiques des nations voisines serait bien entendu décisif. Il n’est pas interdit de songer à ce que l’Allemagne notamment puisse élargir un jour son ancien engagement dans la cogestion et retrouver une majorité sociale-démocrate plus radicale. Ou bien que les puissances latines puissent retrouver le vrai chemin socialiste. La négociation de compromis pragmatiques qui n’entravent pas la progression autogestionnaire, serait de rigueur.

Le fait que la connaissance devienne toujours plus une force productive directe appelle puissamment au socialisme, quand se trouve posée dès notre actualité capitaliste, la question des brevets, de la rémunération des artistes sur Internet, de l’indépendance de la recherche fondamentale. La question d’une certaine forme de dérive de l’écologie est posée : ce qui est en cause dans les OGM, le nucléaire, les nanotechnologies, ce n’est pas tant la recherche elle-même, que le danger permanent d’une utilisation mercantile de ses avancées qui fait jouer à l’humanité le rôle suicidaire d’un apprenti sorcier. On ne peut y remédier en refusant le progrès scientifique et en cassant la machine comme les tisserands lyonnais de 1820. Avec ces nouvelles avancées techniques, une crise de la recherche scientifique s’annonce. Le capitalisme peut préparer de nouvelles catastrophes dues à l’absence de barrières éthiques capables d’encadrer la création de nouvelles espèces vivantes. L’accumulation d’un stock d’armes nucléaires, capable de détruire plusieurs fois le globe et qui n’attend plus que l’embrasement de la mèche israélo-iranienne pour supprimer toute vie sur terre, est un autre versant de cette incapacité à répondre positivement au développement humain par la science.

Crise de la pensée

Avec l’affaiblissement du marxisme, continuateur des Lumières, atteint par son amalgame avec le stalinisme et le maoïsme assassins, le post-modernisme évolue vers l’éclectisme et l’insignifiance signalés par Castoriadis qui peut aller jusqu’à l’imposture intellectuelle, dénoncée par Sokal. La vogue durable de la phénoménologie de Heidegger, en dépit des irréfutables révélations des Faye sur son inspiration foncièrement nazie, continue de vicier des bataillons universitaires. La renaissance du rationalisme d’inspiration marxiste est polluée par des élucubrations réactionnaires qu’elles soient pauliniennes, maoïstes, bibliques ou nietzschéennes. Les combats d’arrière garde de la psychanalyse fragilisée par les neurosciences, la recrudescence des obscurantismes, les fragilités du post modernisme et de la déconstruction en philosophie, alimentent un dévalement vers le non sens et le nihilisme. En physique théorique, trente années de recherche sur la théorie des cordes ont drainé crédits et meilleurs cerveaux pour déboucher sur une impasse, sans des expérimentations fiables confirmant ses hypothèses mathématiques. L’audiovisuel qui produit encore dans la difficulté quelques œuvres nationales passionnantes, est rongé par le mercantilisme des médias et s’industrialise en feuilletons insipides avant de ramper dans la fange des télés réalités. La musique n’est pas mieux traitée, les modernes de 1900 attendent toujours leur public pour ne pas évoquer les créateurs contemporains qui ont magnifiquement exprimé les drames de leur époque mais demeurent confinés. Les médias martèlent la muzak industrielle dans 95 % des oreilles. L’art contemporain atteint le fond de l’obscénité dans une vacuité mercantile pour milliardaire obtus qui y placent leurs millions détournés. L’architecture, dévastée directement par la toute puissance financière et le désintérêt des bureaucraties pour sa fonction sociale, ne consacre plus, à peu de chose près, ses grands prix nationaux et internationaux qu’à l’agitation médiatique et au nombre d’ordinateurs dans l’agence, aux honoraires proportionnels à la hauteur des gratte-ciel hideux partout répandus par l’aveuglement spéculatif. Il serait temps que l’humanité se ressaisisse et renouvelle sa classe dirigeante trop longtemps confondue avec les forbans incultes du profit escroqué ou hérité.

La communauté scientifique est aujourd’hui capable d’organiser un cerveau collectif à l’échelle planétaire à partir de la collaboration de milliers d’internautes indépendants et volontaires, par exemple pour simuler au nom du principe de précaution les conséquences probables des manipulations génétiques sur un organisme complexe. En politique et en économie, de tels moyens de calcul permettraient une simulation globale des effets de l’accumulation boursière sur la destruction de la planète, de l’intérêt comparé de la voie autogestionnaire, des conséquences de la croissance quantitative aveugle sur le creusement des inégalités et de la persistance du chômage chronique quand les PIB croissent globalement.

Les dirigeants bourgeois de l’humanité, fervents conservateurs de l’inégalité et de ses violences quand ils n’en sont pas les meneurs cyniques, se bouchent les yeux et les oreilles devant une évolution catastrophique alors que les moyens de calculer ses possibles développements durables et solidaires sont à portée de la main. A l’évidence, c’est la propriété privée des moyens de production qui frappe d’interdit de telles recherches économiques et politiques : celles-ci ne pourraient que mettre en cause l’inégalité sociale, le chaos boursier, l’inscription dans les gènes du capitalisme de l’explosion fractale des bulles spéculatives. Ainsi des milliers d’économistes dans le monde ne croyaient qu’aux billevesées d’un hyper-libéralisme qui allait tout résoudre, jusqu’à ce qu’ils jettent en 2008, du jour au lendemain, des milliers de volumes « scientifiques » aux orties en brûlant ce qu’ils adoraient hier !

En matière politique et culturelle, le développement humain réconcilié implique la reconnaissance de la fonction sociale du poète, du philosophe critique sur le modèle de Diogène, comme le rappelle Michel Onfray. Lee Smolins (Rien ne va plus en physique, Points, 2010) réclame la création d’une communauté d’imaginatifs éthiques pour diriger la recherche en physique théorique et la sortir de sa bureaucratisation. Une transposition à la politique serait chargée de sens. Cette frange très précieuse du collectif humain devrait occuper, reconnue par les citoyens, la place irremplaçable du veilleur, du critique qui alerte ses contemporains, trouve place dans les médias, anime des débats sur les moindre dérapages de la transparence démocratique, les moindres déviations vers des impasses productives ou sociétales. Elle ne devrait surtout pas être fonctionnarisée ni mercantilisée. Ceci implique la réforme de l’enseignement et son ouverture enfin aux pédagogies « nouvelles », celles qui attendent depuis un siècle ! Par exemple (Dellasudda) que les pédagogues éveillés apprennent aux élèves la gestion démocratique de leur travail, qu’ils tirent chacun d’eux par leur affectivité et ouvrent leur curiosité, dans un enseignement vivant, ouvert sur la vie, la culture sensible, la critique des médias, l’utilisation systématique de l’informatique pour la transmission des connaissances. Un Himalaya à bouger !

Les crises multiples du capital

Au début du siècle dernier, Kondratiev a prédit les crises cycliques du système. Après celle de la grande guerre, la crise de 1929 est une vaste déflagration due à la surproduction et à l’inégalité croissante : pour vendre la production, il faut aussi des acheteurs. Chômage de masse, faillites bancaires, inflation monstrueuse, misère déferlante : deux issues sont offertes. La première est européenne avec le fascisme qui fait son apparition comme hypertrophie de l’Etat autoritaire, impérialisme déchaîné, totalitarisme, régression intellectuelle, démagogie populiste amplifiée par les nouveaux médias, avec le bouc émissaire antisémite pour disculper la responsabilité bourgeoise. La classe ouvrière allemande rejoint dans sa majorité cette fuite en avant nihiliste. L’autre solution, américaine, le keynésianisme, vise à sauver le système par une intervention massive d’un Etat qui, préservant les garanties démocratiques, intervient dans l’économie en y réinjectant des fonds publics. Sans crainte excessive de l’inflation, il améliore sensiblement le sort des couches populaires, ce qui amorce un redémarrage modeste de l’économie. Le risque évident est l’alourdissement bureaucratique des structures de l’Etat. Il faudra en fait les massacres et les destructions de la deuxième guerre mondiale pour que le keynésianisme sous domination américaine, redonne quelques décennies de survie à l’économie marchande, avec l’institution d’un « Etat providence » et de lois sociales qui maintiennent une consommation des masses en évitant la surproduction. Le niveau de vie s’élève globalement au Nord, grâce aussi au pillage du tiers monde.

A la fin du vingtième siècle, l’effondrement du socialisme dit « réel » entraîne celui du keynésianisme au profit des doctrines hyperlibérales : la croissance économique sans fin allait apporter la prospérité à tous grâce au « marché libre et sans contrainte » où le producteur consommateur in fine dirigerait tout, en votant à la caisse des hypermarchés ! C’était faire bon marché de la manipulation publicitaire, du poids de la possession privée des moyens de production, de l’inégalité d’information et de savoir !

Au même moment, les BRIC sortent du sous-développement et entrent dans le capitalisme. A l’exemple de la Chine, ils s’industrialisent à un rythme accéléré selon les normes libérales, en créant un nouvel équilibre économique mondial. Si une couche moyenne élargie en tire de premiers avantages, c’est surtout une nouvelle bourgeoisie richissime qui creuse une inégalité monstrueuse. Le capital du Nord se crée une rente en leur important massivement des biens de consommation courante à bas prix, le coût de la main d’œuvre y étant jusqu’à trente fois inférieur. Cette rapacité tend à liquider ses propres bases industrielles nationales, jetant leurs salariés au chômage, incitant un endettement croissant, privé et public, excepté en Allemagne, au Japon et chez les producteurs de pétrole qui maintiennent jusqu’alors leur capacité d’exportation en produits à haute valeur marchande mais, en suraccumulant à l’excès leurs profits à l’exportation, ils déséquilibrent et fragilisent le système financier mondial.

Après quelques secousses préalables, en septembre 2008, la crise financière planétaire a menacé le système libéral d’un effondrement brutal et total. La disparition des règles financières au nom du marché libre suivant les « théories » monétaristes a entraîné des dérives mortelles. La religion du taux de croissance élevé et de la montée indéfinie des cours en Bourse conduit exponentiellement à l’explosion des bulles de surproduction et de sur-financiarisation. Le salariat du Nord s’appauvrissant par la surexploitation, une issue fictive est trouvée dans l’emprunt sans garantie qui fragilise le marché notamment pour l’accession à la propriété. Grâce au dollar comme monnaie mondiale unique, les USA vivent d’emprunts. Les banques, privées de garanties réelles en fond propre pour leurs spéculations folles, grevées de prêts imprudents, d’actions pourries, de titrisations aux dispositifs algébriques raffinés et opaques, façonnés pour dissimuler les risques par des traders dopés aux stock options, gonflent une énorme bulle de richesse virtuelle sans équivalent en valeurs de marchandises concrètes. Elle ne peut pas ne pas s’achever par une explosion qui tend à détruire le système des échanges mondiaux hypertrophiés. La liquidité financière, les prêts mutuels sont assséchés par la monstruosité des créances non solvables qui entraîne le blocage des transactions financières des banques. Dans la panique, les Etats hier honnis sont priés de renflouer d’urgence avec l’argent public les déficits privés abyssaux, fragilisant plus encore l’équilibre métastable de nombre d’entre eux.

Depuis, si, les plus grosses fuites hâtivement calfatées, la fièvre est provisoirement retombée, les causes profondes restent entières. Aucun dispositif d’ensemble n’a été engagé pour moraliser et réguler le système en interdisant les pratiques malsaines (paradis fiscaux, titrisations, stock options, garanties suffisantes en fonds propres, etc.). Si aux Etats-Unis quelques dispositions prudentielles ont été longuement négociées avec les fauteurs de crise, leurs effets réels sont problématiques. L’orage passé, les affaires reprennent : business as usual ! Ce sont maintenant les agences de notation privées (américaines) qui avaient aidé la crise en fermant les yeux sur les pratiques frauduleuses de ceux qui les payaient pour se faire contrôler, qui s’attaquent maintenant aux Etats pour qu’ils aggravent encore les politiques suicidaires d’austérité (Grèce) qui risquent, en tuant toute reprise, d’achever le malade par les traitements de choc du FMI et une austérité suicidaire.

Vers la crise finale du capitalisme ?

L’austérité, la récession sont maintenant devenues inévitables pour combler les déficits gigantesques passés à la charge des Etats. Cela entraîne dans les pays industrialisés une régression sociale qui va susciter un fort mécontentement. Les USA continuent à vivre en s’endettant. La Chine, désormais deuxième puissance mondiale, qui n’a cessé de leur prêter à tours de bras, a ses propres fragilités dues en particulier à la faiblesse de son marché intérieur. Bientôt à court d’énergie et de matières premières dans sa course folle à la surpuissance économique, dans l’incapacité où l’a placé son choix de la voie libérale de hisser son milliard et demi d’habitants au niveau de vie du Nord, elle verra tarir ses exportations du fait de l’augmentation prévisible du prix d’un pétrole de plus en plus rare et de la récession du Nord. Elle devra tôt ou tard vendre son énorme stock de devises américaines en générant une nouvelle crise financière qui risque bien d’être cette fois sans issue : La conjonction des ventes de dollars chinois, de l’inflation internationale et de la crise fiscale américaine pèsera sur le cours du dollar qui, en s’effondrant, entraînera l’économie mondiale dans une seconde crise, plus violente et plus destructrice … La Chine sera frappée de plein fouet par une crise économique écrasante… (Minqi Li, l’idée du communisme, Badiou, Zizek, 2010)

Face aux impasses suscitée par la crise et à l’incapacité des Etats à lui faire face sans hypertrophier leur rôle parasitaire, un mouvement autogestionnaire authentique aurait dû mettre en avant les seules vraies solutions d’avenir : que les citoyens cessent de tout déléguer aux élus mandarins et aux spéculateurs, qu’ils arrachent le contrôle direct des banques par leurs usagers, associés à leurs salariés. Que la loi républicaine crée des conseils de surveillance des banques aux pouvoirs capables de tarir à la source les maladies financières et de tuer dans l’œuf toute velléité de relancer la machine infernale de la hausse boursière exponentielle, jusqu’à la chute finale. Les Bourses sont caractérisés par un parasitisme récurrent sans aucune action réelle sur la dynamisation de la production. Il convient de limiter leur nuisance et de les fermer au moindre dérapage. Leur gestion devrait être assurée par une émanation élue des divers conseils de surveillance des banques en voie d’autogestion.

La crise écologique

L’opinion publique mondiale a pris conscience, à l’appel angoissé des scientifiques (l’effondrement, Jarel Diamond, 2006), de ce que la planète court à sa perte, les conditions de survie de la niche écologique de l’humanité ne sont plus assurées à échéance de quelques décennies. Le réchauffement du globe aurait dû à la conférence de Copenhague être limité par l’accord des gouvernements à deux degrés sous peine de voir se généraliser les catastrophes climatiques, jusque, dans les pires scénarios, à élever le niveau des océans de 25 mètres dans le siècle, faisant ainsi disparaître le quart de l’urbanisation planétaire qui est concentré sur les côtes. La biodiversité décline. La pollution issue de l’urbanisation mercantile et hyperdense répand des maladies nouvelles (cancer, infarctus, dépressions, etc.) et nourrit le mal vivre et la violence. Il faudrait l’équivalent des richesses naturelles de sept planètes Terre pour accorder aux bientôt neuf milliards d’humains le niveau de vie des USA (où les pauvres sont encore légion !). Pourtant l’unique credo des dirigeants mondiaux est toujours le taux de croissance matérielle suivant le modèle violent et gaspilleur du Nord. C’est l’hystérie si on gagne un dixième de point, la désespérance si on le perd ! Malgré cette urgence écologique, Copenhague n’a rien décidé et Cancun promet d’être aussi impuissant. La crise énergétique menace à échéance de quinze ans, suite à l’épuisement du pétrole et à l’insuffisance des énergies de substitution. Le nucléaire, décrié par l’impasse sécuritaire où il s’est engagé, ne constitue plus le relais massif longtemps espéré. L’industrialisation des résultats de la fusion grâce aux recherches de CRITER n’est envisageable, si ça marche, qu’en 2100 !

Il n’y a aucune survie planétaire sans une révision déchirante du modèle de consommation et de production fondé sur l’avoir, le paraître et la croissance aveugle. Cela implique que les BRIC acceptent de ne pas calquer leur progrès sur celui du Nord prédateur. Aucune chance qu’il le fasse si le Nord ne s’engage lui-même à réduire le sien, de loin le plus polluant. En 2010, le budget mondial annuel pour la dépollution a été atteint dès le mois d’août ! La France s’apprête à construire encore 800 km d’autoroute inutile sauf aux profits du BTP ! Un nivellement des niveaux de vie économes est donc inscrit dans l’avenir du monde, sous peine de sa disparition. Le système capitaliste par son essence productiviste et inégalitaire, nie absolument une telle perspective : son maintien conduit l’humanité à la catastrophe.

Un avenir sombre

Minqi Li et Wallerstein tracent trois grandes possibilités pour l’avenir écologico-politique du monde :

1/ La chute des grandes puissances dans des solutions rétrogrades et autoritaires accentuent toutes les tares du système actuel, à la manière dont une partie de l’humanité développée a sombré déjà en 1930 dans le chaos nihiliste et régressif. La montée des extrêmes-droites, l’autoritarisme chinois, russe, iranien ou l’apartheid israélien, en sont la préfiguration.

2/ La tentation d’un nouveau replâtrage keynésien, celui qui a fait faillite en 1976, c’est la solution réformiste : on conserve le capitalisme en tentant de le rapetasser. Cette solution de facilité soutenue par la droite libérale et les socio-réformistes, n’ose s’attaquer aux vrais problèmes, ceux de la propriété privée des moyens de production et de la stagnation démocratique bloquée à son niveau de 1789 quand elle refuse de franchir la porte des usines et des bureaux. Elle conserve l’idéologie de la croissance quantitative aveugle, du productivisme, de l’inégalité galopante, du délire boursier. La tendance inexorable à la baisse du taux de profit, aggravée par les inévitables investissements écologiques mêmes insuffisants, ne pourra déboucher que sur les mêmes crises financières, sociales et politiques. Cette rigidité de la propriété privée des moyens de production est totalement anachronique et suicidaire.

3/ Le seul salut réside dans la recherche obstinée de la construction d’un socialisme inédit qui prolonge deux mille cinq cents ans d’espoirs démocratiques et de réflexion rationnelle. Mais la crainte de voir rééditée l’expérience calamiteuse de l’URSS de Staline et de la Chine de Mao, gèle toute entreprise audacieuse d’explorer le futur. La seule direction jamais encore explorée jusqu’au bout est celle du socialisme par en bas, l’autogestion et le dépérissement de l’Etat. Les forces démocratiques, humanistes internationales doivent d’urgence les approfondir, les retravailler pour un programme qui tire l’humanité du très mauvais pas où elle s’enfonce.

Dans un socialisme autogestionnaire la conviction de chacun fixerait les axes nouveaux du développement durable qui pourrait après débat, proposer un niveau de vie confortable et économe, le partage du travail et de ses revenus comme aiguillon au dynamisme productif, l’augmentation du SMIC et la fixation du RMA pour que le salariat rattrape les dix points de PIB qu’il a perdu en tente ans et limite, dans une première étape, de un à dix l’échelle des revenus, la RTT, réduction du temps de travail, comme objectif central au développement plutôt que la croissance aveugle et prédatrice, le dépérissement de la publicité, ce vecteur de la surconsommation parasitaire, une nouvelle pédagogie vivante, une nouvelle urbanisation libérée de la spéculation immobilière et des normes technocratiques, la culture vivante à la disposition de tous.

Avec l’autogestion, la question de l’urbanisme et de l’architecture deviendra vitale : le quartier proxémique, fonctionnellement et socialement mixte, architecturé, végétalisé et piéton, mis à l’abri des nuisances des réseaux de desserte, devrait être doté de nouveaux lieux d’accueil publics et une réflexion visant à transformer la niche écologique pour l’adapter aux nouveaux rapports de citoyenneté solidaire. La tâche commencerait forcément par la démolition reconstruction des grands ensembles des années soixante, coordonné avec les mesures sociales nationales pour les salaires, l’emploi, la sécurité, l’enseignement en faveur de leurs habitants. Il faut les démolir comme stratification minérale de l’exclusion mais à condition qu’ils soient remplacés par des constructions d’un urbanisme révolutionnaire, irrigué par les mille solutions d’une architecture enfin libérée du talon de fer mercantile et bureaucratique, comme des prémisses en ont été édifiées dans certaines banlieues rouges dans les années 70. A l’instar de l’effort d’unification en physique théorique, (relativité einsteinienne, mécanique quantique, gravité, matière et énergie noires), l’autogestion à construire peut incarner en économie politique l’unification des théories vers l’indispensable changement sociétal. L’humanité, comme le cosmos, n’est-elle pas en effet contradictoirement et simultanément corpusculaire et ondulatoire, individuelle et collective ?

L’ambiguïté du mot socialisme : la gestion loyale du capitalisme ?

La dichotomie du mouvement émancipateur peut prendre les dimensions d’une catastrophe humaine en empêchant le mûrissement des vraies solutions à la crie générale. Dans les nations développées, le pourcentage des salariés - ces prolétaires modernes - est largement majoritaire, 90 % des actifs en France dont il faut exclure le très petit nombre de cadres de direction qui sont les alliés naturels de la bourgeoisie. Cette dernière, y compris ses franges les moins riches, ne compte qu’environ 10 % de la population. Cependant, les nations « développées » partagent peu ou prou l’image d’un corps électoral oscillant autour de 50 %, entre une gauche aux contours variables - des démocrates US aux radicaux vénézuéliens ou boliviens ! - et une droite conservatrice, qui alternent indéfiniment au pouvoir. Ce décalage entre les effectifs des classes et leur expression électorale peut provenir de trois facteurs : il a une base économique : la relative et transitoire réussite d’un progrès social par le haut avec le keynésianisme de la deuxième moitié du XXe siècle, aiguillonnée par l’existence du socialisme « réel » et nourrie par l’exploitation du tiers monde. La plus grande partie du salariat du Nord a vu son niveau de vie croître dans le plein emploi au contraire de celui de l’Est. La diffusion de l’accession à la propriété a diffusé une idéologie conservatrice et individualiste préférant les enfermements intéressés aux collaborations solidaires. Il a une base sociale : les couches de salariés les moins défavorisés craignent les aventures des couches les plus radicalisées voire aventurières dont l’histoire a montré qu’elles pouvaient déboucher sur des tragédies, au moins sur une régression du niveau social. Pour autant, les analystes qui inventent une nouvelle couche moyenne où on rangerait d’autorité tous les salariés intellectuels - bientôt majoritaires - prennent des libertés avec le marxisme critique : leur statut est mêmement celui d’exploités n’ayant que leur force de travail à vendre, fût-elle intellectuelle. Le caractère virtuel, non pondérable, des marchandises qu’ils produisent ne change rien à leur rôle de fabricants de plus-value. Autre chose est le retard de leur conscience de classe mais qu’en est-il de celle des ouvriers manuels tombés ici dans le vote d’extrême-droite ? Un rejet aux enfers de cette composante du mouvement social conduit à un pessimisme historique total : il n’y aurait plus d’espoir objectif qu’un rapport de force défavorable à la bourgeoisie puisse jamais se créer. Formidable cadeau à Mme Bettencourt ! Il a une base politique : la bourgeoisie n’a jamais cessé d’infiltrer les rangs de son adversaire en corrompant les directions des partis réformistes (Blair, Schmidt, Kouchner et DSK !). Sa maîtrise des appareils idéologiques d’Etat et des grands médias, lui permet de manipuler tactiquement de larges fanges de l’opinion publique.

Ce qui corrompt à la base la démocratie : le mandarinat municipal.

Une autre analyse sociale s’impose. Celle du statut de classe des fonctionnaires qui constitue 20 % du salariat. La frange la plus élevée de ceux-ci, souvent énarque ou ingénieur des ponts, en vient à composer avec les leaders politiques, sortis souvent des mêmes écoles, une nouvelle couche sociale homogène et parasitaire de mandarins qui, en surfant sur un équilibre des forces métastable entre bourgeoisie et salariat, s’est spécialisée dans la gestion politique et bureaucratique. La caractéristique essentielle de leur praxis, c’est l’opacité totale des décisions vis-à-vis de l’opinion publique, à l’exception du rituel électoral chaque cinq ans, où, en l’absence ou de grosses bêtises ou de raz de marée national vers l’un ou l’autre des pôles alternatifs qui donnent l’illusion d’une démocratie parfaite, le maintien de la forteresse libéralo- bureaucratique derrière ses douves est garanti.

L’assemblée nationale et la direction des partis reposent exactement sur les mêmes critères. Le spectacle des primaires socialistes en 2010 illustre ce paysage : sur six candidats déclarés, cinq se classent à droite quand le parti lui-même serait parait-il tout entier basculé à gauche, jusqu’à Fabius il est vrai ! Les Verts offrent un paysage comparable quand, basculés eux aussi à gauche, leur candidate, apolitique certes propre sur elle, est patronnée par DCB, qui pendant quarante outre Rhin fut associé à la CDU ou aux socialistes de droite.

La base du mandarinat est municipale puisque c’est le premier échelon du pouvoir d’Etat vers les échelons supérieurs (assemblées régionale et nationale) où s’édifie la forteresse politicienne, appuyée sur son matelas de hauts fonctionnaires qui gèrent avant tout leurs propres suffisance et insuffisance bureaucratiques. Les élus se spécialisent dans une seule technique, celle de leur propre réélection par la manipulation médiatique. Le passage de l’une à l’autre strate étant garantie avec les mêmes avantages sonnant, trébuchant parfois dans la corruption. Le rejet public de la politique par l’abstention ou le vote le Pen en résulte.

Pour une 6e République

La première urgence dans un programme autogestionnaire national est donc l’élection d’une Constituante pour l’élaboration d’une sixième République, à condition qu’elle ait un contenu profondément novateur. Celui-ci doit partir de la base : il faut réformer de fond en comble l’édifice municipal où commence l’aliénation politique, en réduisant l’écart spatial et temporel entre élus et citoyens.

La loi doit déjouer la mécanique de fabrication du maire comme potentat municipal inébranlable et séparé des citoyens, pour cela il faut organiser la direction des villes à partir du quartier. En France, le découpage actuel des bureaux de vote en ville peut fournir l’aire de ces comités de quartier souverains, élus par de un à quelques milliers d’électeurs, nouveau socle de la souveraineté démocratique. Les locaux scolaires fourniront leur premier abri. Le second point est le taux de représentation qui doit être le même sur l’ensemble du territoire national, un grand électeur pour deux cents citoyens. 200 personnes est l’effectif idéal défini par les sociologues pour un groupement où chacun connaît humainement l’autre et peut fonctionner de façon harmonieusement solidaire. C’est la réunion de ces comités locaux de la ville qui doit constituer le nouveau conseil municipal, plus nombreux que le précédent, avec un deuxième niveau de délégation pour les villes trop importantes. Chacun de ces « grands électeurs » peut être renouvelé à la demande la majorité de ses électeurs. Le maire est rotatif et change chaque année. Les élus permanents sont en nombre limité, leur salaire est celui de l’ouvrier spécialisé, avec des garanties de réembauche dans le privé en cas d’interruption du mandat et un contrôle du patrimoine avant et après le mandat. Des procédures définitives d’éviction en cas de faute grave peuvent être prononcées par le comité de base et ratifiées par le conseil. Le budget participatif est obligatoire. Deux avantages :

1/ transparence totale, création d’un échelon social entre la famille en crise et la mairie, trop distante, règlement sur place des questions qui peuvent l’être (école, aide sociale, sécurité, propreté, micro-urbanisme, discussion publique des permis de construire, solidarité de quartier, etc.).

2/ création à l’échelle nationale d’un corps vivant sans cesse renouvelé de grands électeurs de quartiers et d’usine, soumis au contrôle quotidien de leurs mandants, bénéficiant de formations spécifiques. Il exerce une pédagogie permanente auprès des citoyens, il aide à la remontée de l’information vers les niveaux supérieurs. Ses membres peuvent être délégués dans tous les rouages complexes de la machine d’Etat pour veiller à son dépérissement programmé, comme à son fonctionnement dynamique et rentable.

Le corps des fonctionnaires serait progressivement remplacé par des entités autogérées passant contrat avec les élus pour l’accomplissement des tâches municipales. Le doublon entre les cabinets du maire et les hauts fonctionnaires serait supprimé. Cette proposition a une justification historique : L’expérimentation en vraie grandeur et combien destructrice du socialisme étatique a été assimilée par les masses populaires, ce qui exclut la voie de l’étatisation, à quelque degré que ce soit, pour en finir avec le capitalisme.

Bien entendu des difficultés surgiront dans la mise en place de ce gigantesque dispositif des comités de base. Certains quartiers auront du mal à trouver leurs représentants. Des apprentis mandarins s’efforceront de s’approprier l’institution comme courroie de transmission pour leur réélection, des préoccupations clochermerlesques pourront surgir. La délégation de pouvoir n’a pas que des inconvénients, si le choix citoyen est correct, les élus peuvent se hisser à un niveau supérieur d’éthique. Les formations révolutionnaires et les médias libérés de la publicité devront animer un débat permanent.

Unité d’action

La capitulation théorique devant l’hyper-libéralisme a couvert la social démocratie européenne de honte : elle n’a strictement rien proposé face à la première manifestation de la crise finale du capitalisme ! Par exemple, l’insistance du PS sur la politique du care, de la solidarité de base à encourager, peut être considérée comme un hommage à la nécessité de l’autogestion mais qui, faute d’aller au bout de sa logique, en fait lui tourne le dos. L’aide sociale pour les victimes de l’exploitation est, après des années de pouvoir de la droite la plus cynique, une ardente nécessité. Le souci de Martine Aubry de ne pas alourdir encore les dispositifs d’Etat est légitime. Mais ses propositions ressortent plus de l’activité charitable de dames patronnesses. Le seul moyen de diminuer durablement le poids des inégalités et de l’exclusion est bien de procéder aux premières mesures de l’autogestion où les pauvres eux-mêmes obtiendraient dans les entreprises le pouvoir de décision pour assurer les moyens d’une survie décente. Cette cécité accablante leur a valu de reculer dans tous les pays européens. La bonne tenue du PS dans les sondages ne provient que du rejet violent du cynisme sarkozyen et de son fragile et relatif engagement à gauche.

La conclusion la plus facile est évidemment l’antisocialisme primaire : les socialistes porteraient la trahison comme la nuée porte l’orage ! Le seul résultat de ce dogme est de geler définitivement toute perspective de changement. Les mêmes socialistes qui ont capitulé devant la bourgeoisie dans les guerres impérialistes ou coloniales ou dans la « gestion loyale » du capitalisme, ont cependant, poussés par le mouvement des masses et les marxistes, participé aux offensives unitaire et sociale de 1936 qui a généré des avancées remarquables (40 heures, congés payés, etc.). Puis de 1944, (vote des femmes, comités d’entreprise, sécurité sociale, de 1981, nationalisations certes vouées à l’échec, lois Auroux, de 1997 avec la RTT. Leur opportunisme foncier se surajoute à un réalisme de gestion gouvernementale immédiate qu’il est parfois un peu facile aux éléments tribunicistes de la gauche radicale, déresponsabilisés par leur éloignement du pouvoir, de vouer aux gémonies. Sécurité, équilibre des comptes, balance des paiements, réalisme énergétique, exportations, etc., autant d’éléments qu’une gauche radicale et autogestionnaire ne pourrait négliger comme secondaires sous peine de ne durer que quelques mois. Mitterrand en 1983, après les nationalisations a vu l’inflation s’envoler, ce qui lui a permis de justifier son coup de barre à droite vers l’austérité.

Le haut niveau social atteint par les réformismes Scandinaves est à prendre en compte quand bien même ils ne sont pas parvenus à quitter définitivement les rivages capitalistes et que, soixante plus tard la droite revenue au pouvoir rogne les formidables avantages sociaux du salariat suédois : preuve s’il en est qu’il faut aller jusqu’au bout de la transformation sociale et toucher à la sacro-sainte propriété privée des moyens de production. Sans vouloir en faire un paradis social, remarquable est le fait que ce relatif équilibre égalitaire rejoint l’aide forte aux nations en développement, la gestion douce des problèmes de migration, l’écologie, l’éthique internationale, la démocratie avancée, l’égalité des femmes, un début de dépérissement de l’Etat, une culture de bon niveau, une industrie exportatrice malgré la modicité des chiffres de la population.

L’effort de dépérissement de l’Etat devrait se poursuivre aux échelons supérieurs. L’élection présidentielle au suffrage universel, piège pour l’expression démocratique réelle des citoyens et manipulation par instituts de sondages et grands médias soumis au CAC 40, devrait être annulée. Le gouvernement responsable devant l’assemblée désigne le premier ministre, chef de l’exécutif. Le Président, élu par une assemblée nationale unique, serait le garant de la Constitution comme l’initiateur de son adaptation, à chaque fois que les progrès de l’autogestion le nécessiterait, votée par l’assemblée nationale souveraine. Le Sénat serait transformé en chambre économique émanant des entreprises autogérées et traitant de la spécificité des questions économiques et de production afin d’en garantir l’efficience. L’assemblée nationale restant souveraine en dernier ressort. Trotski : Il n’est pas question de construire le socialisme avec les mains de la bourgeoisie mais d’utiliser les situations qui se présentent dans le capitalisme d’Etat et de faire avancer le mouvement révolutionnaire des ouvriers.

L’immense difficulté placée devant les autogestionnaires est de convaincre la gauche anticapitaliste de bannir ses divisions archéologiques et de s’unir sans tarder, d’extirper ses dogmes étatistes et fonctionnarisés, de convaincre la masse des salariés que l’autogestion politique et économique est la solution, qu’elle est possible et qu’elle peut être tout aussi techniquement efficace que le despotisme d’usine, qu’elle peut, par le maintien de la concurrence également laisser le champ libre à la rigueur productive comme à l’innovation scientifique et industrielle, conditions du développement, qu’elle ne signifie en aucun cas le laxisme et la pénurie du socialisme étatiste stalino-maoïste. La gauche radicale devrait donc engager un processus d’unité d’action à la base avec les sympathisants et adhérents socialistes, suivant la bonne vieille tactique du mouvement ouvrier, action commune sur des objectifs précis et plus si affinités, et naturellement maintien du droit de critique des errements de la collaboration de classe dès qu’ils se manifesteraient.

L’Etat politique autogestionnaire dégraissé devra se doter d’une politique économique rigoureuse qui, parallèlement aux profondes réformes sociales et démocratiques, rétablisse les équilibres financiers nationaux : sécurité sociale, retraites, budget de l’Etat et des collectivités locales, échanges commerciaux, balance des paiements. Le Sénat économique veillera à l’équilibre des banques, à leur garantie de financement propre, aux finances saines des entreprises, à l’élimination des gaspillages, aux secteurs d’activité nationale à développer prioritairement, etc. Il devra impulser la recherche fondamentale et appliquée et investir dans les créneaux porteurs ou dans ceux qui créent trop de déficit par une importation excessive. L’exportation dynamique devra permettre, comme en Allemagne, de financer l’achat d’une énergie de plus en plus coûteuse, parallèlement aux mesures d’économie énergétique, etc.

A gauche de la gauche : Parti ou mouvement, horizontalité ou verticalité ?

Les principes d’organisation du futur mouvement, rassemblement, parti, etc. de la gauche radicale semblent obséder certains esprits. Faux débat : Il faudra toujours une organisation des militants autogestionnaires, elle sera forcément partagée entre deux pôles : démocratisme maximum d’un côté et efficacité disciplinée de l’autre, le nom importe peu. Les relations horizontales seront toujours largement portées par Internet. Les turpitudes humaines habituelles liées à l’arrivisme, au mensonge démagogique ou à l’ambition excessive ne seraient pas miraculeusement supprimées quelle que soit la forme de l’organisation. Sans doute toute une batterie de mesures pourrait en limiter les effets calamiteux. Le principal objectif serait de libérer les partis de la tutelle du mandarinat municipal qui conduit à la soumission du parti aux élus potentats et à l’enlisement spectaculaire dans la gestion loyale du capital. L’organisation de lutte qui rejetterait naturellement un léninisme anachronique et son centralisme bureaucratique, devrait avoir les mêmes caractéristiques que le futur Etat en voie de dépérissement, c’est-à-dire qu’il devrait combiner dialectiquement les deux extrêmes : la plus large autonomie de pensée, d’information et de décision accordée aux adhérents, la plus forte cohérence unitaire de ceux-ci autour des objectifs essentiels, la fermeté dans la mise en œuvre des tactiques et stratégies, si on se fixe réellement le but de gagner le combat de classe contre une bourgeoisie, adversaire acharné prêt à tout pour défendre ses privilèges. Cela suppose une délégation de pouvoir où on puisse mesurer à chaque instant la distance entre citoyens et élus pour la réduire au plus bas étiage historiquement crédible dans le respect scrupuleux de la transparence, de l’honnêteté du fonctionnement démocratique.

Comme toujours, la politique primera sur l’organisation : un solide projet unitaire d’autogestion et de dépérissement de l’Etat, ambitieux et réaliste, pourrait seul concrétiser une unité du salariat efficiente et durable. C’est une des conditions pour que l’humanité en finisse avec le capitalisme et reprenne ses avancées démocratique et rationnelle et les porte au-delà.

Ce texte s’est abondamment nourri de L’autogestion, aujourd’hui et demain, ouvrage collectif paru chez Syllepse, il a été révisé après les remarques pertinentes de Gilbert Dalgalian, du collectif Collonges.


Commentaires

Brèves

1er mars 2012 - BREF HOMMAGE A MENDES FRANCE, par François LEDRU

Chez les Ledru, bourgeois catho (comment puis-je être si différent d’eux ?), les gosses (...)

17 août 2009 - SIGNEZ LA PETITION ANTI-BONUS !

Les grands dirigeants du monde prétendent ne rien pouvoir faire dans leur pays contre le retour (...)

25 mai 2008 - NOUS SOMMES ELUS DU PEUPLE, PAS DE SARKOZY : POUR LA DEFENSE DU DROIT DE GREVE : DESOBEISSANCE CIVILE DES ELUS !

Le 15 mai 2008, le président de la République en titre a osé remettre en cause le droit de (...)
https://www.traditionrolex.com/18 https://www.traditionrolex.com/18