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HARO SUR LA FONCTION PUBLIQUE

jeudi 3 février 2011
par  Gérard Bélorgey
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Ancien ministre de la fonction publique et président du groupe des députés UMP, Christian Jacob vient de s’interroger sur la "pertinence d’un emploi à vie " dans la fonction publique. La machine de guerre est relancée : il faut en finir avec le statut des fonctionnaires. Déjà une loi d’août 2009 complétée par un décret de novembre 2010 permet d’écarter le recours qui existait traditionnellement aux lois de "radiation des cadres" si l’on voulait ouvrir des "plans sociaux" dans la fonction publique : selon ce dispositif, les licenciements n’y étaient possibles qu’en vertu de la loi, accompagnés d’indemnisation ou de propositions de reclassement effectif. Désormais par le biais de la création d’un nouveau cas obligé de "disponibilité d’office" après refus de trois postes de reclassement public, tout fonctionnaire peut être licencié en cas de « restructuration ». Mais la notion de restructuration n’est nulle part définie de telle sorte que celle-ci ouvre, pour de vastes ou de ponctuelles opérations de ménage budgétaire ou partisan, la possibilité au pouvoir exécutif de procéder à des harcèlements et épurations au fil de l’eau sans même les garanties de droit commun que sont des plans sociaux débattus avec les personnels dans le secteur marchand.

Cela ne suffit pas aux libéraux fanatiques qui veulent en finir avec l’existence d’un vaste secteur d’emplois protégés et ils ont bien le sentiment de bénéficier de la complicité d’une part de l’opinion hostile aux "privilèges" des fonctionnaires comme plus généralement à ce qui est organisme public. Ajoutez y des propos séduisants sur la mobilité et les échanges d’expériences, les bons (?) exemples anglo allemands, etc. Et le tour est presque joué.

Or aujourd’hui la mobilité est parfaitement possible : tout fonctionnaire qui le souhaite et veut faire son expérience dans une entreprise, voire quitter le statut public, le peut sans difficulté. Dans le sens inverse des dispositions déjà très souples ont été introduites qui permettent - par des contrats ad hoc (que C. Jacob a effectivement bien aidé à devenir CDI plutôt que CDD) ou par des sous-traitances de plus en plus abusives (comme par exemple pour bien des services de sécurité souvent mal remplis, mais parce que la police privée coûte deux à trois fois moins cher que la police publique) de relayer des fonctionnaires sous garantie par des personnels en situation précaire.

Aller plus loin signifie qu’on va ouvrir un nouveau grand secteur de précarité pour l’emploi national ; de surcroît ceci va permettre d’instituer en sourdine et progressivement en France un véritable système des dépouilles pour les emplois publics d’influence. D’ailleurs on réduit en même temps le nombre et les spécificités des "corps", ce qui favorise toutes les pénétrations et nominations de commodité. Le cas extrême est celui du corps préfectoral (qui en vérité n’est pas un corps, mais une institution prévue par la Constitution) : celui-ci avait bien besoin de sang frais, mais non de pouvoir être recruté et piloté de telle manière qu’on évolue en fonction des critères de loyalisme à toute épreuve (même de conscience) vis-à-vis d’une équipe au pouvoir. On revient du préfet médiateur administratif de la République au préfet gouverneur des Empires.

De manière générale, aller à la précarisation de la situation de fonctionnaires d’abord ne peut résoudre les problèmes de l’État (d’ailleurs ce ne sont pas les dépenses de fonctionnement, personnels inclus, qui expliquent la montée de la dette publique, qui est imputable à d’autres causes majeures comme les besoins sociaux puis le soutien de l’économie), tandis que les coupes dans les personnels expliquent l’essentiel des problèmes de la police, de l’éducation, de la santé, de la justice ; lorsqu’on fait des réformes fondées de rationalisation des structures (et en ce sens celles des cartes des implantations militaires hospitalière et judiciaire dont se félicitaient à juste titre il y a quelques jours les ministres responsables ne sont pas contestables, sauf cas particulier) la condition formelle de leur succès est que des services resserrés, moins coûteux dans leurs frais fixes soient dotés des effectifs qualifiés indispensables à leur mission élargies.

Ensuite cette précarisation de la fonction publique va conduire à la fabrique de cohortes supplémentaires de seniors en chômage : quand tel ou tel aura des années durant servi la collectivité publique et que celle-ci, pour un motif ou pour un autre (et d’abord parce qu’il vaudra plus cher qu’un plus jeune embauché à sa place et aussi parce qu’il y aura des amis politiques à caser) ne voudra plus renouveler le contrat de cet homme ou de cette femme qui auront atteint la cinquantaine, ils deviendront quasi inéligibles à un recrutement dans le secteur privé : un nouveau facteur de chômage structurel des seniors.

Ce n’est pas pour autant qu’il faut protéger une fonction publique telle qu’il existe et dont on connaît bien les défauts autant que les qualités, les faiblesses comme les vertus. Mais ce ne sont pas les politiques qui ont été engagées qui sont vraiment de nature à la transformer comme il convient. La réforme générale des politiques publiques a été conçue et conduite plutôt par pétitions de principes que par analyses de situations et de cas ; elle s’est trop souvent traduite par des abattements forfaitaires sur les moyens, par de profitables marchés ouverts à bien des cabinets consultant du secteur privé ; elle aurait pu être bien appuyée sur les dispositifs issus de la LOLF ; mais celle-ci, avec les nombreuses vertus technocratiques des budgets de programmes permettant une rafale d’"analyses de performances", conduites assez abstraitement par l’IGF, a aussi la conséquence pratique de rendre quasiment inintelligible la lecture de bien des budgets publics. Ce serait pour organiser une évaluation objective des politiques publiques. Or cette évaluation, sous tous gouvernements, s’est toujours plutôt faite, comme la construction de la part hypothétique, marginale modulable des lois de finances elles-mêmes, et quelles que soit les indications statistiques produites par les organismes spécialisés, à l’aune des préférences et des présentations politico-idéologiques.

Pour modérer ces risques, de vraies techniques qui auraient dû être mobilisées s’enracinent d’une part dans la "rationalisation des choix budgétaires" obligeant à avouer les objectifs pour y comparer les moyens et, d’autre part, dans la participation comme le permet l’instrument des "cercles de qualité", ce qu’on avait compris en 1986-88 : ces méthode aboutissent à faire jouer au maximum les avis des salariés, le dialogue avec la hiérarchie et la recherche du consensus. Effectivement pratiquées de manière souvent très efficace dans l’industrie qui a réalisé par là de nombreux gains de productivités elles ne sont pas transposables sans adaptation dans les services publics (la recherche de ces adaptations avait également été conduite alors à bien ; cf. Berger Levrault 1988 Cabinet Delta, "La qualité dans les services publics"). Au pouvoir politique ensuite de concilier dans la clarté les transparences comptables qu’assure la RCB et les managements que préconise la recherche de qualité. Mais l’enchaînement de ces trois démarches (coût de chaque option, gestion de chaque option, décision de synthèse pour chaque option) ne semble guère avoir été les fils conducteurs des conseillers.

L’esprit d’adaptation dont il faut faire preuve consiste essentiellement à comprendre qu’on ne peut réformer utilement la fonction publique qu’en commençant par la respecter au lieu de la livrer à la vindicte du populisme. Bien des progrès peuvent être faits mais ils ne passent pas par les liquidations de ses garanties fondamentales. Or, il est vrai que cette liquidation s’inscrit dans l’idéologie et dans les méthodes du double libéralisme politique et économique sans frontières. Celui-ci confond les fonctions privées et les missions publiques, hait les fonctionnaires parce que rejette les impôts, confond les intérêts particuliers et l’intérêt général et demande seulement à l’appareil d’État d’être au service de la concurrence mondiale. Ce libéralisme là, c’est de ne pas régler ce qui devrait l’être (par exemple le commerce international), c’est de dérégler ce qui l’est (par exemple la fonction publique), c’est de changer les règles lorsqu’elles ne lui conviennent pas (par exemple sur la décentralisation et les élections territoriales). Bien des chantiers de la mandature sont justifiés, mais ils méritent mieux que l’esprit qu’on y a appliqué et si cet esprit venait à régner encore quelques années, c’en serait bien fini de la France (cf. ce que vient de sortir Chevènement).

Le blog de Gérard Bélorgey : http://www.ecritures-et-societe.com


Commentaires

mardi 15 février 2011 à 07h24

De 1933 à 1982 : constitution et création du Bien Public avec notamment : Air France, SNCF, Renault, Crédit Lyonnais, Société Générale, AFP, Alsthom, Saint Gobain, Usinor Sacilor, Rhône-Poulenc, Crédit commercial de France, et la création d’EDF-GDF, soit un total d’une cinquantaine de groupes. Plus des groupes où les participations publiques sont majoritaires comme Matra, la Société d’étude Marcel Dassault, la Banque Rothschild ou la Banque Worms. Tout cela constituait le patrimoine que nous devions léguer à nos enfants !

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