JOURNALISME : SERVILE OU OPPRIME ?

jeudi 3 mars 2011
par  Olivier Cabanel
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Une récente révélation de Wikileaks fait apparaître sur la presse française une vérité dérangeante, confirmée par un mélange des genres peu souhaitable : ces télescopages entre le monde du pouvoir, et celui de l’information, comme par exemple lors des « dîners du siècle ». Grâce à Wikileaks on apprend que l’ambassade américaine a Paris, en date du 25 janvier 2007 écrivait déjà ceci : « Les médias français sont partiellement aux mains de l’état, ou dans les mains d’entreprises privées. Les téléspectateurs français sont en majorité accro aux 6 canaux traditionnels (…) Les grands journalistes sont souvent issus des mêmes écoles élitistes que de nombreux chefs de gouvernement. Ces journalistes considèrent que leur premier devoir n’est pas nécessairement de surveiller le pouvoir en place. Nombre d’entre eux se considèrent plutôt comme des intellectuels préférant analyser les évènements et influencer les lecteurs plutôt que de s’en tenir aux faits ». Elle ajoute dans le paragraphe suivant « le secteur privé des médias en France - journaux, TV et radios - continue d’être dominé par un petit groupe de conglomérats, et les médias français sont plus régulés et soumis à des pressions politiques et économiques que leurs homologues américains (…) Les blogs sont fortement utilisés par les minorités comme un moyen de communication pour exprimer leurs opinions car elles estiment que ces positions ne sont pas retranscrites dans les médias traditionnels ».

On ne peut que constater la lucidité de l’ambassade américaine qui décrit, déjà en 2007, la situation des journalistes en France, (elle s’est encore plus dégradée aujourd’hui) et on comprend mieux pourquoi la presse traditionnelle française s’en est prise comme un seul homme à Julian Assange, l’homme qui dérange. Tous les médias ou presque insistent lourdement sur « les procédures de la justice suédoise pour viol et agression » sachant parfaitement de quoi il en revient : en réalité, la plainte de la « violée » avait été retirée quelques heures après son dépôt, et le viol en question concernait le fait d’avoir fait l’amour avec un préservatif qui n’avait pas tenu ses promesses. Or en Suède, faire l’amour sans préservatif est considéré comme un viol. De plus l’accusation dont il avait fait l’objet était « sexe par surprise »et non pas viol. Or de l’Express, au Point, en passant par le Figaro, et d’autres, tous ne font qu’évoquer ce « viol présumé ».

Ce n’est quasiment que dans la presse étrangère que les journalistes précisent un peu mieux ce qui s’est réellement passé. On peut légitimement s’inquiéter de cette subjective approche de la vérité de la part des médias français. Faut-il y voir un rapport avec les déclarations d’Éric Besson qui veut expulser Wikileaks du territoire français ? La situation est difficile pour les médias traditionnels français, dépendants qu’ils sont, soit de l’état qui les contrôle, soit des lobbys qui les financent. On sait en quelle « estime » Sarkozy tient le service public, comme on a pu le constater lors d’un son « off » avant une interview sur FR3. On sait aussi que le chef de l’état s’est donné les moyens de nommer le patron de France télévision, lequel contrôle France2 et France3, ainsi que France Inter, France Culture, France Info, FIP, France Musique, et France bleu, un réseau de 42 locales de Radio France. Mais il contrôle aussi indirectement les chaînes privées.

On se souvient de l’éviction brutale de PPDA coupable d’avoir comparé le président à un petit garçon jouant dans la cour des grands ou à celle de Genestar de Paris Match (cher à Bolloré), coupable d’avoir montré Cécilia au bras de son amant. Le contrôle des médias que le pouvoir exerce est facilité par les liens qu’il a tissés avec eux. « Le Point » l’a évoqué dans un article. Europe 1 dépend du groupe d’Arnaud Lagardère, (LVMH, Hachette, Filipacchi Médias, et France Télécom) lequel considère Sarkozy comme son « frère ». Serge Dassault, dont dépend « le Figaro » est aussi un des amis du Président. Il faisait partie de la liste des privilégiés du « célèbre » repas du Fouquet’s, qui célébrait la victoire de Sarkozy. Il n’est d’ailleurs pas inutile de se remettre en mémoire cette liste car on voit ainsi les liens étroits que les puissants patrons des médias ont avec le chef de l’état.

Ce qui relie ces journalistes « de l’élite » c’est leur tendance à ne pas poser les « questions qui dérangent », ou alors qu’ils effleurent, version soft, sans trop insister, si par malheur l’interlocuteur sort sa plus belle langue de bois. On se souvient de l’interview de Sarkozy qu’a faite Pujadas en juillet 2010, qualifié de « honteuse » par Jean François Téaldi, secrétaire général du SNJ-CGT : « Une heure de communication sans opposition avec un journaliste KO debout face au président, un journaliste complaisant, incompétent sur les dossiers traités, notamment sur les retraites, et laissant Nicolas Sarkozy avancer des contrevérités ». Ne parlons pas de Jean-Pierre Pernaut, le journaliste de « la France profonde », celle du terroir régional, évitant d’évoquer la misère ou le chômage, mais prolixe sur la qualité d’un fromage, ou la beauté d’une danse folklorique. Sa prestation anesthésiante face au chef de l’état frôlait le degré zéro. Avec Arlette Chabot, ce n’est guère mieux : elle a subi sans broncher une colère noire du chef de l’état qui l’a humiliée publiquement pendant ¼ d’heure à la suite de l’interview. Sarkozy a regretté ce jour là qu’il n’y ait plus de « vraies émissions politiques », regrettant l’heure de vérité, chère à Henri de Virieu.

Et pourtant, malgré toutes ces humiliations, Chabot et Pujadas, avec beaucoup d’autres se pressent servilement aux « dîners du siècle » pour y rencontrer les puissants patrons du pays, et le chef de l’état, puisque tous ceux-ci sont membre du même club. Rappelons que le prochain « dîner du siècle » devait avoir lieu le mercredi 22 décembre, à l’Hôtel Crillon, place de la Concorde, et que devant la pression populaire, il a été annulé. Sur le net, de nombreux blogs avaient appelé a participer à un apéro citoyen devant les portes du Crillon, et il est probable qu’ils auraient été nombreux, ceux qui seraient venu protester contre cet étrange et discutable mélange des genres.

Mais revenons à nos journalistes. Certains acceptent de préparer les questions avec l’interviewé, afin d’éviter les « impairs ». D’autres vont encore plus loin en bidonnant des reportages. Comme Alexandre Delpérier, lorsqu’il a fait croire avoir réalisé une interview de Domenech ou PPDA pris la main dans le sac pour son interview bidon le 16 octobre 1990 avec Fidel Castro. D’autres, plus subtils, bidonnent les interviews en ne gardant que la partie caricaturale des propos, faisant dire aux interrogés ce que le journaliste veut entendre. « Arrêt sur Image » relate un épisode révélateur lors d’un documentaire réalisé en banlieue par Cathy Sanchez. (la cité du mâle) Et pourtant, ils sont nombreux à ne pas se sentir concernés, tel Alain Duhamel qui clame « je ne suis pas manipulable ». Lorsqu’on l’interroge sur le désamour des français par rapport aux journalistes, il propose une réponse candide : « C’est une des dimension de la crise de la démocratie, ou de la crise de la représentation. Nous avons un rôle, une fonction dans la société politique. Quand celle-ci est en crise, tous ceux qui en font partie sont mis en cause. C’est le cas des journalistes, qui la co-symbolisent. On est furieux contre le monde politique, on est donc également furieux contre ceux qui l’interrogent, et le commentent. C’est inévitable ». Joli tour de passe-passe ! Ce n’est pas la faute du journaliste, c’est la faute de la crise. Décidemment, elle a bon dos.

Proposons-lui de s’interroger sur le respect que les français portent de plus en plus aux journalistes courageux : ceux de Médiapart, de Rue 89, du Canard Enchaîné, et de quelques autres, malheureusement peu nombreux. Proposons-lui d’expliquer pourquoi les sites internet de presse libre ont de plus en plus de succès. Les tribunes qu’ont les journalistes vedettes de s’exprimer ne manquent pas : d’Apathie à Bourdin en passant par Fogiel, Parizot, Demorand, Poincarré, Pernaut et Ferrari, il est difficile d’y échapper, à moins de se priver de journaux, de Radio et de TV. Et pourtant, ils sont mal aimés, et chacun y va de son explication, sans évoquer un seul instant la raison essentielle du désamour dont ils sont l’objet. Ils songent rarement à remettre en cause leur servilité, leur manque d’insolence, ni leur difficulté à poser les questions gênantes. Alors comme dit souvent mon vieil ami africain : « La gaîté du chien est dans sa queue ».

Cet article est également paru sur : http://www.centpapiers.com


Commentaires

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dimanche 10 janvier 2021 à 10h44 - par  Livia Clement

Parfois, j’ai remarqué qu’il existe de nombreux journalistes qui se prennent comme superman. Peut-être, ça fait partie de leur formation. Ils ont oublié qu’il existe un fait qui change aussi la donne dans le théâtre d’opérations.

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