POUR UNE LITTERATURE A BASE DE LITTERATURE

samedi 16 avril 2011
par  Georges Michel
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Georges Michel est le célèbre Professeur Zigounoff : un savant mélange du sérieux du fond et de la fantaisie de la forme. Il disserte dans ce texte sur les hiérodules modernes. A ce propos, nous avons effectué un sondage express sur un échantillon limité, mais représentatif bien sur, de lecteurs de la Banquise : s’il est notoire que nos lecteurs ont un niveau culturel très au dessus de la moyenne, il apparaît clairement que « hiérodule » ne fait pas partie du vocabulaire d’un nombre significatif d’entre eux. Précisons donc que les hiérodules étaient, dans l’antiquité, les serviteurs zélés, limite esclaves, affectés aux temples (ndlr).

Les hiérodules nous encerclent. C’est bien ce qu’avait voulu dire le distingué dialoguiste, j’en suis persuadé. D’ailleurs, les rappels à l’ordre – insidieux - les exhortations – prémonitoires - foisonnent, que dis-je, elles prolifèrent : Prière de ne pas marcher sur la hiérodule ; Défense d’entrée, hiérodule méchant ; Terrain militaire, attention au hiérodule ; La hiérodule est dans l’escalier ; Pour votre santé cinq hiérofruidules et hiérolégumdules par jour, etc.

Nous sommes filtrés, de partout, et après tout de suite l’animation, la dérive autoritaire, le catéchisme, la réalité qui cède devant la fiction, trop facilement. Oyez ! Une espèce protégée de plus vient d’être privée de son habitat ; et pensez donc à l’environnement avant d’imprimer votre document. Une centurie de candidats à la candidature nous assaille. Et tous font dans l’affect, le flou, le byzantin, le gothique parfois, l’ésotérique toujours. Heureusement qu’on ne s’occupe pas de politique sinon on pourrait leur reprocher leur manque de programme.

Mais tout ça ne concourt-il pas à jeter la confusion chez le consommateur ? Ne redoutait-on pas par-dessus tout qu’il cède à la pulsion de s’exprimer et que ce ne fût point dans le littérairement correct qu’il s’exprime, voire le purement qualitatif. Rien ne transparaît plus du gut feeling, tout est cadeaux gratuits et approbation préalable. Comme dans cette station de radio avec ses gourous auto proclamés les meilleurs du pays et partant de la galaxie. Compatissons au peu de loisirs que leur laisse leur mission (auto plébiscitée également) de refaire le monde, tous les soirs avant l’apéro ? À quand une révolte d’épigones qui détruiraient leurs idoles au lieu de s’indigner ? Mais est-ce vraiment préférable, ce que font un peu partout les illusionnistes de variétés et imitateurs politiques aux affaires : placer d’invraisemblables outrances dans la bouche de l’évêque de Rome, de sa femme Ulla et dans celle de pipoles trop complaisants ? Réagir démesurément au nom de la firme (1) pour ancrer plus fermement les zélotes dans leur conviction qu’ils ont reçu mission de Hiérodule-le-père de parler aux païens encore si nombreux que l’espoir, même faible, de jours meilleurs sur terre persiste. Nous pouvons donc payer nos cotisations au Parti d’en rire, et reprendre notre pro domo pour la littérature à base de littérature.

Que les illusionnistes et imitateurs de toutes les obédiences pratiquent un mélange des genres abusif passe encore, nous sommes dans le spectacle de la vie en tant que pseudo-tragédie marseillaise (moins la chute). Lis que tout ce qu’une rentrée littéraire après l’autre trouve à nous offrir soit une livraison encore de guimauve nombriliste (2), bouffre et merdre. Ceux – nombreux - qui résistent fermement à la dérive bigote sénile valent mieux que ça ; pour les moins jeunes, c’est leur vie même qui est en jeu. La littérature à base de littérature, c’est sur elle que nous nous sommes fait les dents à coups de dissert’. S’il ne reste rien pour exercer l’esprit critique, cette faculté même risque de s’émousser, et nous de passer de la gauche plurielle à la gauche plus rien, comme le craint Alain Soral. Pas étonnants du tout, ces programmes en peau de chagrin qu’on nous distille pour le français, l’histoire, la philo. Sans entraînement, pas un sportif ne conserve la forme. Même les footballeurs le savent. Alors réagir : ce n’est pas de sondages bidon dont il s’agit, ou de nouvelles lois qui se veulent protectrices et ne sont que répressives mais auront du mal à péter plus haut que leur fait divers d’annonce, ni de choristes sortant de Fouquet’s en entonnant la Chanson du décervelage. C’est notre écrit lisable qu’on nous menace. Heureusement que tous ces rampants sur lesquels Jourde & Naulleau écrivent bien des gentillesses encore sont du genre grégaire, qu’ils se prêtent donc au batch processing. Essayons.

Ya ceux qui espèrent refaire en mieux, par écrit, pour la publication, la vie de leurs ancêtres, de leurs géniteurs, de leurs partenaires, de leurs enfants, surtout quand c’est limite glauque/invraisemblable mais sans panache opératique, sans trop mouliner, faut qu’il reste des morceaux. Leurs mérites sont suffisamment diffus pour te faire hésiter la digestion. Rien ou presque côté soleil, mais par contre côté confessionnal ça foisonne, sur plusieurs générations, ça dégouline de sentiments humanistes, d’admirables repentirs.

Ya ceux qui laisseront leur nom à la postérité par une de ces coïncidences sur l’appréciation de laquelle les scientifiques et les littéraires seront à jamais partagés. Exemple : le Millet-partouze, une unité dérivée plus spécifique que Shore, Vickers, Rockwell, Brinell et quelques autres qui font dans la dureté. Le Millet-partouze est à la bonne tenue et à la performance en groupe ce que le Siffredi-inox (autre unité dérivée) est à la définition instrumentale qualitative en termes qui eussent pu échapper aux physiciens (trop normatifs). Quoique on second thought, on évoque bien dans des circonstances assez vagues mais que l’on peut supposer comparables, le fait que Sémiramis (la reine de Babylone) ait confié à Archimède en personne qu’elle fit appeler dans ce but précis, une mission d’une originalité dont les détails sont passés à la postérité estudiantine.

Ya ceux qui comme Nina Bouraoui et plusieurs autres que la vue de la fée Grévisse (13e édition, 1762 pages) au-dessus de leur berceau inquiéta si considérablement qu’ils décidèrent que dès qu’ils seraient grands ils réinventeraient la langue française. Avoir son moyen d’expression à soi c’est un bon début. Ne reste plus qu’à trouver quelque chose valant la peine d’être exprimé. Les lecteurs sont des gens si conventionnels. Jamais satisfaits. Ya ceux qui font dans l’invective, comme J-L Mélenchon qui veut que tout le monde s’en aille, mais attention, maldonne : déjà vu ; avait-il vraiment besoin de nous dire de partir alors que nous sommes plusieurs, militants associatifs proto-spontanéistes libertaires, à avoir pris le large dès qu’il fut parfaitement clair que sous couvert de faire nouveau et différent on ne quittait guère la démarche moi pour président. Avec Jean-Pierre C., le troué de Belfort, c’est exactement la conclusion à laquelle on est plus que jamais encouragé à parvenir tout seul après lecture, dans diverses gazettes, (dont une, au nom symbolique pour ne pas dire prédestiné) lui donne hélas carte blanche), de longues et chiantes lapalissades largement recyclées, bien amorties, désormais en oscillation auto entretenue entre Jeanne d’Arc, Napoléon et Vercingétorix. Il te vous prône tout simplement la candidature (mais faut deviner, c’est dans l’espace entre les lignes) du seul Président d’honneur du (auquel nous souhaitons vivement de le rester), capable d’occuper l’espace allant des Pieds nickelés aux Marx Brothers. Dans une perspective crédible de refondation.

Dans leur irremplaçable chrestomathie Jourde & Naulleau proposent des sujets de devoirs et des corrigés, ils sont profs, c’est normal. Mais dégagés de ces contingences, gageons qu’ils se rallieraient sans trop de réticence à la suggestion constructive du génial Pr Zigounoff : pour encourager le retour à l’imaginaire originel, organiser hors de l’espace-temps des rencontres impromptues across the board entre ceux qui ont déjà dépassé le second souffle et surfent dans l’anaérobie et ceux qui ont du mal à dépasser l’échauffement (3). Par exemple, on pourrait présenter les mânes de Ponson du Terrail à Catherine Millet ; confronter Alexandre Jardin à Louis-Ferdinand Céline ; décrisper François Mauriac et lui faire re-écrire Nina Bouraoui ; livrer Jack Lang à Rachid Boudjedra. Actes publiés en feuilleton dans « Le Monde des livres » bien entendu. Et en attendant, qu’on nous rende donc juste en cas le professeur Choron et Bernard Frank. Les hiérodules osent tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît.

(1) DPFSE – cf. Jacques Prévert

(2) Tout ce que recouvre l’anglais romance

(3)Une des plus belles trouvailles n’est-elle pas celle de Ray Bradbury dans Fahrenheit 451 du livre homme-mémoire. La culture et les livres papiers détruits par le feu par le nabot à talonnettes de l’époque, c’est désormais un homme par livre pour préserver la patrimoine de l’humanité, mais avec de sidérantes répliques en perspective : on peut aisément supputer plus difficile à porter que : « Je suis la Chartreuse de Parme »…


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