L’EUROPE NE SERAIT PAS POLITIQUE ?
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L’EUROPE NE SERAIT PAS POLITIQUE ?
Par Danielle Bleitrach
Dimanche 6 mars, lors d’une conférence nationale de l’UMP, Sarkozy, Raffarin ont exprimé le sens de leur vote en faveur du traité Constitutionnel. Leur démonstration mérite analyse :
La droite est logique, le PS ne l’est pas
Il y a bien sûr leur adhésion au projet néo-libéral, la mise en coupe réglée des acquis sociaux séculaires du mouvement ouvrier, le sacrifice des dépenses publiques, la santé, l’éducation, la mise en concurrence impitoyable des salariés pour toujours plus de pression, de chômage, le tout venant de la politique de leur gouvernement. Quand cette pratique politique sera "légalisée" dans le cadre d’un traité constitutionnel, qui ne pourra être remis en cause qu’à l’unanimité, la puissance des grèves, des manifestations comme celle du 10 mars s’en trouvera affaiblie. Donc il y a une certaine logique à ce que Sarkozy, à ce qu’un premier ministre qui met en oeuvre cette politique, la défendent par le Oui au traité constitutionnel. Mais Raffarin a dit encore autre chose : "Nous pourrons conserver le pouvoir, parce que grâce à ce référendum la gauche est désunie..." Y avait-il une autre raison à ce référendum ? Chirac, cet animal politique, l’a parfaitement compris. Il pose les jalons pour un deuxième tour des présidentielles de 2007 entre droite et droite, le ralliement de la gauche au moins pire... S’il y a dans la position de la droite une logique de fond et politicienne, on peut s’interroger sur la logique de la direction du PS. Ils suivent la social-démocratie européenne déjà au pouvoir et pratiquant une politique néo-libérale, en oubliant simplement qu’eux sont dans l’opposition et risquent d’y rester longtemps... Leur choix du Oui présente le double inconvénient de renforcer la droite et d’éclairer ce que l’on peut attendre d’eux en matière d’Europe "sociale", rien de plus que leurs homologues anglais ou allemands, il y a même le risque que dans le domaine international ils soient plus atlantistes que Chirac et autant que Sarkozy...
L’Europe ne serait pas politique ?
Face à la montée du Non, Raffarin, Sarkozy, hier ont répété cette phrase étonnante : "l’Europe n’est pas politique, l’Europe c’est notre avenir !". Et plus extraordinaire, la direction du PS dit la même chose... La vie politique consiste pour le citoyen à opérer des choix fondamentaux, qui conditionnent son présent et son avenir et la vie démocratique d’une nation repose sur cette possibilité de confrontation. La Nation est un espace politique. Même un certain nombre de gens de droite attachés à la Nation ont compris le danger d’une telle vision, sans cette confrontation démocratique, il n’existe plus qu’une monarchie absolue pour fonder l’appartenance... Donc la victoire du traité constitutionnel serait une victoire à la Pyrrhus parce qu’elle fragilise le consensus démocratique plus ou moins élaboré dans le cadre national et dont la classe dominante a bénéficié. La réalité est que déjà aujourd’hui l’Europe néo-libérale, représente l’exclusion des citoyens de la décision : les choix en faveur des grands intérêts leur sont présentés comme obéissant à des impératifs techniques sur lesquels on ne peut revenir : délocalisations, directive Bolkestein, destruction des retraites et des droits sociaux, etc... Les profits d’aujourd’hui font les emplois de demain, en violation des faits et de l’expérience depuis plus de vingt ans de telles recettes. L’abstention massive, le désintérêt citoyen sanctionne l’absence de choix, de débat. On peut continuer comme ça, mais c’est y compris un danger d’explosion sociale, de division y compris sur des bases communautaristes, une partie de la droite l’a compris.
Le torpillage d’une alternative de gauche
Mais là où on peut voir une logique à court terme de la droite avec ses orientations fondamentales autant qu’avec son maintien au pouvoir, la direction du PS dérive jusqu’à l’absurde. Les dirigeants du PS, Hollande, le premier secrétaire, en tête, portent une lourde responsabilité dans l’affaiblissement de la gauche, dans cette division dont ils sont les maîtres d’oeuvre. Approuver le traité constitutionnel néo-libéral, même au nom d’une hypothétique "Europe sociale" dont ce traité éloigne la réalisation, était non seulement un mauvais coup contre tous les salariés de notre pays, mais aussi contre la possibilité de voir surgir un gouvernement vraiment à gauche, susceptible de mener une autre politique. Certains socialistes l’ont compris et le disent haut et fort... Mais il y a une logique dans un choix politique erroné et le choix du Oui entraîne la direction du PS de plus en plus loin. La montée du Non, y compris dans son propre parti, le maintien désespéré d’un leadership qui lui échappe à gauche, la pousse à un plaidoyer inconditionnel en faveur du traité, à ne plus exprimer la moindre réserve, à accepter cette idée d’une Europe apolitique. Avec cette idée que l’Europe ne serait pas "politique", nous sommes là au coeur du consensus entre une partie de la gauche et la droite avec cette entente néo-libérale. Traduisons : l’Europe qu’ils veulent nous construire sera plus que jamais politique, la politique d’une classe sociale, mais elle exclura le débat citoyen, comme ce consensus contre nature autour du OUI. Et les Français qui sont politiques mesurent bien les enjeux réels... Ou l’Europe est politique et elle leur permet d’exprimer leurs choix ou elle ne l’est pas alors c’est un mauvais coup contre eux. Pourquoi la direction du PS se range-t-elle sur une telle définition de l’Europe apolitique au profit du maintien de la droite française au pouvoir ? Ce faisant, non seulement la direction du PS nous montre ce que l’on peut attendre d’une alternance avec elle, rien de bon, mais elle saborde ses propres chances politiciennes. Il ne lui reste plus qu’à exclure ceux qui renâclent. Pourtant la direction du PCF a fait ce qu’elle a pu pour maintenir l’hypothèse d’une "union de la gauche", jusqu’à se lancer dans un grand écart que reflète son slogan "Dire Non pour donner une nouvelle chance à l’Europe", mais plus la direction du PS dérive vers l’unanimité avec la droite, plus il devient difficile à la direction du PCF de limiter au seul traité la critique de l’Europe telle qu’elle est, comme d’ailleurs à un certain nombre de dirigeants et militants socialistes. Le vote de la base de la CGT contre le traité européen, comme d’ailleurs la montée des revendications populaires, a bousculé la donne initiale d’une désunion temporaire, limitée au seul référendum. Au lieu d’en prendre acte, la direction du PS bascule de plus en plus vers l’union sacrée avec la droite, au nom de l’Europe devenue dieu sait pourquoi une caricature de "la patrie en danger" ! La seule chose qui soit actuellement en danger est la présence d’un candidat de gauche au deuxième tour des présidentielles d’un point de vue politicien et plus fondamentalement un triomphe sans partage du néo-libéralisme avec ce traité. La seule chance d’une autre issue est un Non massif et franc au référendum. Car dans cette campagne référendaire, quelle qu’en soit l’issue, un espoir est né. Ceci grâce à la lucidité, au courage, de tous ceux qui venus d’horizons divers ont refusé le piège d’un avenir supra-national, anti-social, a-politique... Il y a là non seulement l’espoir d’une victoire du Non, mais également une amorce de recomposition de la vie politique française, l’espoir d’une alternative. L’enjeu est de vaincre l’abstention, la démission du débat politique. Pour cela, il faut dépasser le débat institutionnel autour de telle ou telle disposition du traité et montrer les enjeux réellement politiques, concrets du vote le 29 mai. Nous défendons une conception politique, démocratique, sociale de notre avenir.
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