QUAND LA PRESSE LUSOPHONE DE FRANCE PARLE DU FADO …

samedi 15 octobre 2011
par  Jean-Luc Gonneau
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Récemment, les deux périodiques les plus diffusés de la presse lusophone à destination de la communauté portugaise en France, LusoJornal et Portugal Sempre, ont consacré, le premier un dossier, le second deux articles concernant le fado en France. D’ordinaire, ces périodiques rendent régulièrement compte de soirées fadistes, publient de temps à autre des entretiens avec tel ou tel artiste, mais n’ont guère l’occasion d’aborder le fado tel qu’il existe en France de manière plus générale. Ils le font cette fois, de façons très différentes, ce qui d’une certaine manière correspond aussi à l’identité de chacun de ces medias. LusoJornal, hebdomadaire appuyé par la Chambre de Commerce franco-portugaise, tente, outre des informations sur les manifestations économiques, culturelles, sportives, institutionnelles concernant la communauté, d’être aussi un lieu, à peu près équilibré, d’expressions de nature politique. Les représentants, tant au Portugal qu’en France des principales formations politiques portugaises s’y expriment régulièrement, et l’équipe de chroniqueurs qui entoure le directeur de la publication, Carlos Pereira, reflète assez bien cette diversité. Portugal Sempre, bimensuel, est le résultat de la volonté de son fondateur et directeur, Antonio Alves de Oliveira, de sensibilité plutôt marquée à gauche dans ses éditoriaux, et qui ne redoute pas de faire dans la polémique là où Lusojornal a tendance à être plus consensuel. Portugal Sempre donne des informations sur la communauté portugaise de France, mais aussi, via un accord avec une agence de presse portugaise, des informations plus générales.

Mais revenons aux articles sur le fado. Dans son numéro 30 du 6 avril 2011 (consultable sur le site internet de LusoJornal), LusoJornal consacre un dossier de quatre pages au fado en France. On y trouve une liste assez complète des fadistes, vocalistes ou musiciens, amateurs ou professionnels œuvrant dans le monde du fado, plus quelques informations, dont certaines glanées dans notre « Coin du fado » (avec bien sur notre accord). Chaque artiste bénéficie de quelques lignes de présentation, ce qui fait parfois transparaître des préférences qu’il est loisible de ne pas toujours partager. Léger reproche : les musiciens sont moins bien traités : si la liste est très complète, ils ne bénéficient pas, eux, de petite notice. Il demeure que cette liste est précieuse. De même, le dossier comprend une présentation des principaux lieux où on peut entendre le fado de façon régulière.

Dans son article de première page du dossier, Carlos Pereira pose une question qui nous paraît intéressante, que nous évoquions plus brièvement dans la contribution à une histoire du fado à Paris sur ce site : alors que les concerts donnés par les vedettes du fado venues de Lisbonne attirent un public nombreux et composé, presque en parts égales, de personnes d’origine portugaise et de personnes n’ayant pas de lien originel avec le Portugal, les fadistes établis en France (à l’exception de Misia, qui vit à Paris, mais ne fréquente pas le milieu fadiste francilien) demeurent cantonnés au circuit restreint des restaurants portugais et des fêtes associatives. Une des rares exceptions à cette dure réalité est la programmation à deux reprises de fado au Petit Journal Montparnasse, lieu usuellement consacré au jazz, la première fois avec Diogo Rocha (qui resta peu de temps en France) et Claudia Costa, la seconde avec Claudia Costa. On peut aussi citer, dans un autre registre, les quelques concerts de fado donnés par Conceição Guadalupe dans des églises non liées à des communautés portugaises, à l’initiative, non des églises, mais de municipalités. Ajoutons aussi, datant de quelques années, le spectacle donné à l’Espace Kiron à Paris par Zeni d’0var et Julia Silva. Il y eut sans doute quelques autres exemples dans le passé, mais bien peu nombreux ces dernières années. Carlos Pereira note, sans qu’on puisse lui donner tort, le fait que les restaurateurs « insistent à répéter des formules déjà usées*(1) ». Le reproche est peut être excessif, mais pas injustifié, à quelques exceptions près. Telles les soirées de Sur un R’ de Flora (il coûte à notre modestie de les citer puisque Le Coin du Fado y participe), qui tentent d’y échapper avec une présentation de chaque fado en français, des thématiques de soirée, des métissages avec d’autres musiques voisines, et une présentation des fados en sets, à l’instar des clubs de jazz. Pour les fêtes associatives portugaises, le chanteur Carlos Neto anime depuis plusieurs années un groupe (Tudo isto é fado) proposant une prestation « clés en main ». Et Joaquim Campos avait conçu un spectacle utilisant l’audiovisuel, avant son retour au Portugal. Ceci est loin d’être suffisant pour expliquer l’absence des artistes de fado établis en France des circuits musicaux non communautaires, surtout à une époque où les musiques du monde connaissent un engouement du public français. Carlos Pereira évoque à juste titre la précarité que connaissent les fadistes franciliens « qui se bousculent pour réussir à obtenir quelques (peu nombreux) spectacles* ». Plus prosaïquement, l’offre artistique de fado est aujourd’hui supérieure à la demande. Hors les fins de semaine, les opportunités de se produire sont effectivement rares. Le temps paraît bien lointain où des maisons de fado proposaient de la musique tous les jours, hors fermeture, ce qui permettait à quelques artistes de vivre de leur art. Ce n’est plus, à de rares exceptions près, le cas aujourd’hui. Cela participe à deux conséquences.

La première est que la rareté des cachets entraîne entre artistes des compétitions parfois vives, où les « coups tordus » ne sont pas rares, sans parler des jalousies et rumeurs de tous ordres La « grande famille » (même finalement assez réduite) du fado ne fait pas exception à ce que l’on constate dans tous les milieux artistiques, et, persifleront certains, dans les familles en général : on s’embrasse en public et, comme l’exprime un vieux fado écrit par Joaquim de Sousa Caperta, « dès que tu tournes le dos, ils disent du mal de toi ». Gardons-nous cela dit de généraliser : il y a aussi, et majoritairement, de belles amitiés fadistes. La seconde est que la précarité contribue à rendre difficile un travail avant un spectacle. Comment financer des répétitions sans argent pour payer les artistes, ne serait-ce qu’un minimum, pour payer un studio, même fruste ? Pour trouver parfois le temps, compte tenu du fait que la plupart des fadistes ont un autre métier, sans même parler de la vie familiale ? Pour financer une « démo » audiovisuelle de plus en plus demandée par les producteurs et les tourneurs ? Un spectacle dans le circuit professionnel « normal » suppose tout un travail préalable, incluant non seulement celui des voix et des arrangements musicaux, mais aussi la présence en scène, un minimum de scénographie. Il n’est d’ailleurs pas certain que beaucoup d’artistes soient conscients de ces nécessités pour sortir de l’espèce de « ghetto » du fado traditionnel. Voilà, en première analyse et sans prétendre épuiser le sujet, certaines des raisons pour lesquels les artistes de fado installés en France ont du mal à toucher d’autres publics que celui de la communauté portugaise. Les deux articles publiés par Antonio Alves de Oliveira dans Portugal Sempre (numéros 174 du 16 juin 2011 et 175 du 1er juillet 2011) sont d’une autre nature. Précisons, pour qui ne le saurait pas, qu’Alves de Oliveira est, outre sa fonction journalistique, un estimé chanteur de fado spécialisé dans le fado de Coimbra, très différent de celui de Lisbonne chanté par la grande majorité de ses collègues. Mais, comme eux, il se produit dans les lieux traditionnels de fado, restaurants et fêtes associatives. Chantant depuis trois décades, il a donc une connaissance certaine du milieu du fado.

Le premier article commence par une sorte de « tableau d’honneur » des fadistes, au Portugal mais surtout ici, en France, que l’auteur préfère. C’est évidemment son droit. Et le droit de ses lecteurs ne n’être pas toujours d’accord avec cette sorte de classement, par exemple, mais ce n’est qu’un exemple, lorsque l’auteur affirme : « La vérité, est que, entre les voix que le fado de la communauté propose et qui chantent le plus fréquemment, il y a plus de qualités chez eux (les hommes) que chez elles » (les femmes) »*. Ces dames apprécieront. Mais, nous l’avons dit, Antonio Alves de Oliveira se plait dans la polémique. C’est un genre littéraire qui a ses lettres de noblesse, mais aussi ses travers. Ce qui ressort et peut donner un sentiment de malaise à la lecture de l’article, c’est que qui ne partage pas les sentiments de l’auteur, et qui de plus a eu le malheur de l’écrire, est dans l’erreur. Plus même, de telles opinions ne devraient pas être écrites, ou alors avec bien des précautions : « si chacun a le droit de donner ses opinions, à tous revient le devoir de ne parler que de ce qu’ils comprennent raisonnablement* ». Et si cette opinion est contraire ou simplement différente de celle d’Antonio Alves de Oliveira, est-ce « raisonnable » ? Par ailleurs, c’est un travers fréquent dans les polémiques, l’auteur se garde bien de citer les références des personnes ou des écrits qu’il cite, ce que nous essayons de ne jamais faire.

Nous nous gardons, dans le Coin du fado de jouer au jeu du « tableau d’honneur ». D’abord parce que les critères pour classer telle ou tel sont toujours discutables, et que chacun peut en privilégier l’un plutôt que l’autre. Dans les concours de fado qui furent organisés en France dans les années 1980/1990, les jurys devaient prendre en compte, m’a-t-on dit, quatre critères : la qualité vocale, l’expression, la diction et la présentation. Antonio Alves de Oliveira note, à notre sens à juste titre (et il en donne des exemples convaincants), que la voix n’est pas obligatoirement un critère essentiel. Il privilégie, ce qui est son droit, « avoir les tripes d’être fadiste* ». Critère plus subjectif : comment, à cette aune, expliquer le succès rencontré, par exemple, par une Cristina Branco ou un Antonio Zambujo (qu’on est évidemment libre d’apprécier ou pas), dont la qualité principale n’est apparemment pas la « tripe fadiste » ? A d’autres endroits du texte, il parle des qualités « techniques* ». C’est sans aucun doute important, mais en quoi se manifestent-elles ? Le sens du rythme, le « compasso » ? La diction ? Rien de précis n’est dit sur cette « technicité » dont il pare telle ou tel.

Et nous nous garderions de critiquer sans les nommer telle ou telle publication. A propos de de celles-ci, non citées bien sûr, l’auteur explique : « S’ils veulent vraiment aider le fado à évoluer positivement, qu’ils parlent de qui le mérite artistiquement et non pas de qui est plus sympathique ou plus hypocrite. Et pourquoi ne parlent–ils que des filles, quand même le moins informé sait que les meilleures voix de la communauté se rencontrent parmi les hommes ?* ». Décidément… Bien entendu, tout n’est pas à rejeter dans ce que propose l’article. Ainsi, lorsque l’auteur signale, pour les condamner, des propos (là encore non attribués) d’une fadiste déclarant que le fado ne devrait être chanté que par des portugais. A un moment où le fado devrait rejoindre le patrimoine mondial de l’humanité, il est heureux que cette expression artistique soit reprise par des amateurs de divers pays, musiciens ou chanteurs (France, Japon, Espagne, Italie, Pays-Bas, les pays lusophones…). Si on suivait cette fadiste (Antonio Alves de Oliveira parle de « prétendue fadiste »* mais nous garderons de tout jugement de valeur), seuls les noirs américains pourraient jouer ou chanter du jazz, les argentins de Buenos Aires jouer ou chanter le tango. C’est évidemment un non-sens, quoi qu’on pense par ailleurs de la qualité des fadistes non portugais.

Une dernière remarque à propos de cet article, avant de passer au suivant. Elle concerne une assertion qui touche directement, bien qu’il ne soit pas cité, le Coin du fado. « Traiter de sublime une fille que ne chante le fado que raisonnablement me paraît très préjudiciable au fado* », écrit l’auteur, qui ajoute « qui courrait après la sublime et s’apercevrait qu’il a été trompé dirait quoi ?* ». Et plus loin, tant qu’à faire : « malheureusement, il n’y a pas de sublime dans le fado en France* ». Ces phrases se réfèrent clairement, pour qui le sait, au texte de présentation d’une soirée, en mars dernier, soutenue par le Coin du fado, où chaque artiste bénéficie d’un adjectif, ou plusieurs, laudateur. Si nous reprenons l’affiche de cette soirée, aurions-nous dû écrire, au lieu de la « sublime Guadalupe », Guadalupe, une fille qui chante raisonnablement le fado, au lieu de « talentueux Philippe de Sousa », Philippe de Sousa, qui joue correctement de la guitare portugaise, au lieu de « guitare inventive de Pompeu », Pompeu, qui est très appliqué à la guitare, au lieu de « Mané, une grande dame du fado », Mané, qui a une très bonne technique et enfin, au lieu de « Nella G, une jeune batteuse venue du rock », Nella G, une débutante qui se débrouille ? Cela aurait peut-être plu davantage à Antonio Alves de Oliveira, mais avec pareille promotion, il eut été difficile d’attirer un public. Or, la salle fut comble, les spectateurs heureux (personne ne s’est senti trompé), parmi lesquels, c’est l’objectif du Coin du fado, au moins la moitié de français, les interprètes félicités. Et nous maintenons que nous pensons sincèrement ce que nous avons écrit pour présenter cette soirée. Dernier mot sur le sublime : chacun peut ressentir des émotions différentes. Quand notre amie, elle aussi fadiste française amateur, Karine Bucher dit que Mané lui arrache souvent les larmes aux yeux, n’est-ce pas une certaine forme de sublime ? Quand l’auteur de ces lignes entend Guadalupe chanter Rosa enjeitada et en ressent une profonde émotion, n’est-ce pas une certaine forme de sublime ? Ce ne sont que deux exemples, on pourrait en citer d’autres. Concevons bien entendu que tous ne ressentent pas ces émotions, mais que ceux-ci conçoivent que d’autres peuvent les ressentir. Et ajoutons que le sublime ne passe pas seulement par la voix mais aussi par la capacité de l’artiste à provoquer une empathie avec son public, par l’accord entre la gestuelle, le regard, l’élégance et la sincérité de l’interprétation, liste non exhaustive.

Dans son second article, Antonio Alves de Oliveira fait référence aux réactions suscitées par le premier. Il déplore que beaucoup de ces réactions concerne les hypothèses sur la naissance du fado, et brocarde notamment celles et ceux qui évoquent les influences venues du Brésil ou de « marins venus du Brésil* ». Pour clore ce débat, il évoque « plus de 60 livres sur les origines du fado* » (en réalité, si en effet beaucoup de livres - mais peut-être pas 60 - consacrent un ou deux chapitres aux origines du fado, et, effectivement, comme le dit à juste titre Antonio Alves de Oliveira, ont tendance à n’être que des compilations de livres ou articles précédents, les ouvrages exclusivement consacrés à ce sujet sont très peu nombreux). Il en tire la conclusion que, puisque personne n’est d’accord, il vaut mieux « envoyer tout cela promener* ». Il est loisible d’estimer qu’une recherche sur les origines d’un art est vaine. Il est aussi possible de s’y intéresser, pour essayer de mieux le comprendre, voire par pure curiosité historique. Tout en demeurant humble : personne ne détient la « vérité vraie ». Mais on peut en rechercher des fragments. Ainsi, concernant le fado, il apparaît quelques faits incontestables : la guitare portugaise a des origines anglaises ou irlandaises, elles-mêmes dérivées des luths moyenâgeux ; on trouve dans les modinhas des salons de Lisbonne de la fin du 18e siècle des structures mélodiques très proches du fado (une récente conférence à Paris de la professeure Ana Paixão a permis, extraits musicaux à l’appui, de le démontrer). Et il ne fait aucun doute que l’influence des musiques issues des afro-brésiliens, notamment le lundum, arrivés au Portugal à la suite du retour de la cour du roi João VI, même si elle est probablement beaucoup moins déterminante que ne l’assure le chercheur et journaliste brésilien José Ramos Tinhorão dans un ouvrage paru en 1992 (2) qui fit quelque tapage dans le milieu des historiens (amateurs ou professionnels) du fado. On ne voit guère en effet que cette influence pour expliquer la syncope qui marque le fado de Lisbonne (elle n’existe pas dans celui de Coimbra). Considérations à notre avis utiles, y compris pour une évolution du fado, et qui ne retirent rien à l’originalité profondément lisboète du fado. Né dans les tavernes populaires, c’est bien le peuple (et notamment ses classes le plus pauvres) qui ont su faire la synthèse de ces différentes influences, dont nous n’avons cité que les principales. Un travail historique du même ordre a été conduit, avec davantage de moyens et de contributions sur les origines du jazz (syncopes et gamme pentatonique venues d’Afrique, quadrilles venus d’Europe, musiques de marche ou religieuses venues d’Europe…), ce qui ne restreint en rien le rôle originel de la population noire et métisse de la Nouvelle-Orléans à l’aube du 20e siècle. « O fado é nosso e so nosso », écrit l’auteur. S’il veut dire que le fado vient du peuple de Lisbonne dans sa diversité, nous pouvons que concorder (mais nous insistons sur la diversité, déjà mise en valeur dans le premier livre sur l’histoire du fado, paru en 1902(3) ). S’il veut dire que le fado n’appartient qu’au seul peuple portugais, ce serait une vision réductrice. La candidature du fado à son inscription au patrimoine culturel mondial de l’humanité est à ce sujet symbolique : le fado appartient à l’humanité. Dire cela n’est évidemment pas dire que l’humanité confisque le fado au Portugal. Bien au contraire, c’est dire que l’humanité lui rend hommage.

Antonio Alves de Oliveira termine son article en faisant référence à « un monsieur qui me donne l’impression qu’il considère que les portugais sont des attardés mentaux, que le fait que nous soyons un peuple paisible ne veut pas dire que nous soyons attardés* ». Si ce monsieur a dit cela, je comprends l’émoi de l’auteur. Propos idiots, en effet. L’auteur, dans la foulée, cite les soirées de fado qu’il a pu organiser, et qui proposaient « toujours ce qu’il y avait de meilleur à sa disposition* », et ajoute que dans une soirée récente à laquelle il avait participé, « si le plateau artistique avait dépendu de moi, vous pouvez être certain que je ne me serais fait entourer que de lions et de lionnes* », ce qui n’est pas franchement gracieux pour les artistes ayant participé à cette soirée. Dans sa conclusion, l’auteur invite tout le monde à respecter et défendre le fado avec abnégation. Nous y souscrivons. Il ajoute : « mais cela, seuls les portugais pourront le faire cœurs et âmes* ». Tant pis, mais nous espérons que tous, en effet, portugais ou non portugais, continueront à défendre cet art, avec cœur, âme, et raison.

En conclusion, il convient de se féliciter, au-delà des critiques que nous avons pu formuler (mais après tout, des textes critiques ne peuvent que susciter d’autres critiques), que la presse lusophone de France ait donné une place convenable à des réflexions sur le fado. LusoJornal a proposé une sorte de panorama du fado aujourd’hui en France, qui manquait jusque là. Portugal Sempre s’est centré sur « ce qu’il y a de meilleur » dans le fado en France, avec tous les risques d’une telle démarche : le meilleur des uns n’est pas toujours (mais l’est parfois) le meilleur des autres. Et juste un petit mot pour Antonio Alves de Oliveira, dont j’apprécie le talent de fadiste de Coimbra, que connais de longue date, qui avait eu la gentillesse (gentileza) de me proposer un long entretien (publié dans Portugal Sempre n° 45, décembre 2003) : confronter des idées ou des opinions est souvent fécond, ce qui suppose un respect mutuel des uns et des autres, dont je ne doute pas qu’il existe.

(1) Les astérisques indiquent les phrases des auteurs originaux, traduites par João Silveirinho

(2) Fado, dança do Brasil, cantar de Lisboa, Editora Caminho, Lisbonne (édition de 1994)

(3) Historia do fado, par José Pinto de Carvalho (Tinop), Publicaçoes D. Quixote, Lisbonne (édition de 1984)

L’article ci-dessus n’eut pas l’heur de plaire au directeur de Portugal Sempre, qui y répondit dans le n° 177, en date du 1er septembre, de façon, disons, acide. J’ai en conséquence rédigé, à mon tour, une réponse à sa réponse, en lui demandant, étant quelque peu mis en cause, de la publier, ce qui ne fut, sans que cela me surprenne, pas fait. On trouvera ci-dessous cette réponse à la réponse. Quant aux textes d’Antonio Alves de Oliveira, je ne doute pas que Portugal Sempre, dans la mesure ou ils ne sont pas disponibles sur le site du journal, ne manquera pas de les faire parvenir à toute personne intéressée (portugal.sempre@wanadoo.fr, publicité gratuite)

Cher Antonio Alves de Oliveira,

Dans le numéro 177, en date du 1er septembre dernier, de Portugal Sempre, vous avez, abondamment, fait référence à un article que j’ai écrit, et en avez livré une interprétation qui pourrait être susceptible d’induire vos lecteurs en erreur, ou du moins se méprendre sur le contenu de l’article en question. Il convient tout d’abord d’indiquer la référence de cet article, paru sur un site internet (c’est une manie au Cactus, l’association qui publie cet article, d’indiquer toujours les références des écrits que nous commentons. Par exemple, l’article en question cite certains de vos écrits en signalant les dates et numéros des articles de Portugal Sempre que nous commentions) : http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP.... Vos lecteurs, s’ils le souhaitent, pourront ainsi juger sur pièce de ce que contient l’article, au-delà de vos commentaires, même si ceux-ci sont intéressants.

Je vous précise aussi que cette brève réponse à votre article clôturera, pour ma part, l’espèce de polémique qui s’est engagée. Ou, cher Antonio (vous permettez que je vous interpelle par votre prénom, nous nous connaissons depuis si longtemps), êtes-vous allé chercher que je m’ « autoproclame » le spécialiste du fado dans notre Landerneau ? Je ne m’autoproclame rien du tout, me contentant de réfléchir sur ce que j’apprécie, ou pas. Si je sais certaines choses sur le fado, je les transmets. Je ne sais évidemment pas tout, et même bien peu. Disons, un peu plus que certains, beaucoup moins que d’autres. Si, cher Antonio, vous vous imaginez que je veux faire la leçon aux « pauvres portugais », comme vous l’écrivez, je vous rassure sur ce point, n’ayant aucune leçon à donner à qui que ce soit, mais demeurant libre d’exprimer des points de vue que je ne demande à personne de partager. Je ne souhaite pas entrer dans un douteux concours de « celui qui en sait le plus », ni avec vous, ni avec qui que ce soit. J’essaie de ne parler que de ce que je connais et de ce que je ressens. Encore une fois, je ne connais pas tout, d’une part, et ce que je ressens, comme pour tout un chacun, m’est personnel. Que j’essaie de faire partager, comme tout un chacun aussi. Je ne souhaite pas non plus entrer dans un débat qui me paraît spécieux entre ce qui est portugais et ce qui est étranger. Notre ancêtre à tous qui écrivons sur le fado, José Pinto de Carvalho (Tinop) n’hésitait pas, dans son Histoire du fado (dès 1902), à citer des observations de visiteurs étrangers sur le fado. Vous revenez, cher Antonio, sur un aspect de mon article qui a peut-être été mal compris, (ou, peut-être dans le peut-être, ne me suis-je pas exprimé avec suffisamment de clarté) : je ne confonds pas « sympathie » et qualité artistique, et vous avez raison de dire que si les deux réunies, tout est pour le mieux. Que nous appréciions, vous et moi, différemment tel ou telle est une chose, que nous trouvions, vous et moi, tel ou telle sympathique ou pas, en est une autre. Et, à nos âges, nous avons, vous et moi, rencontré bien des fadistes « sympas » mais médiocres, et d’autres plus ou moins odieux mais excellents. Là n’est pas le sujet, et rien dans ce que j’ai écrit ne permet de suggérer que je l’ai fait surtout par sympathie. Autre point sur lequel, je l’espère, nous pourrions être d’accord : pour moi, tout interprète de fado, amateur ou professionnel (la frontière entre ces deux états est bien ténue), mérite le respect, quelle que soit sa qualité, dès lors qu’il le fait avec la volonté de servir (et non de s’en servir) le fado. Ce qui est très généralement le cas (mais nous avons sans doute connu, vous et moi, quelques exceptions).

Pour le reste, je constate, et je m’en réjouis, que nos points de vue se rapprochent sur certains aspects (les influences musicales croisées, par exemple). Et que nos approches divergentes demeurent. Vous souhaitiez, dans un article précédent, que nous continuions à nous croiser dans des soirées de fado. Ce fut chose faite il y a peu, nous a permis de confronter amicalement nos positions, et j’espère, se reproduira bientôt.

Et pour conclure, ce qui, Cher Antonio, ne vous surprendra pas, je maintiens chaque mot de l’article paru sur le site du Cactus


Commentaires

Logo de Mélanie Perrot
vendredi 2 juillet 2021 à 18h09 - par  Mélanie Perrot

Je vois très peu de publication sur le fado en ce moment. Pourtant, il fut un temps où ça a été tout, surtout pour les acteurs dans le domaine culturel. Quoi qu’il en soit, ça a été un réel plaisir de vous lire.

Logo de Antonio
mercredi 21 décembre 2011 à 20h11 - par  Antonio

Cher Jean-Luc,
Né à Lisbonne et même conçu en plein Bairro Alto (rua dos Mouros) où habitaient mes parents avant ma naissance il t aura bientôt a 60 ans, je suis loin d’être un expert question Fado, d’ailleurs personne me l’a jamais demandé.
Je me situe parmi ceux qui partagent, plus par provocation que par conviction (quoi que...), la blague, vous la connaissez certainement, des 3 catastrophes majeures abattues sur le Portugal au XXième siècle et dont les noms commencent par la lettre F : Fatima, Football et...Fado.
Cela dit, j’ai toujours autant de mal à contrôler un nœud dans la gorge ou même contenir une larme, dès que j’écoute certains Fados. C’est vous dire combien j’y suis encore sensible malgré mon coté plutôt bouffe-curé et iconoclaste par dévotion.
Par rapport au sujet traité je me réveille certainement un peu tard, mais tout de même… Cette attitude presque sectaire de certains experts fadistiques me laisse pantois. Malgré que j’adore le Fado tel que je l’ai connu depuis toujours, que ce soit celui de Lisbonne dans ces différents genres, castiço, corrido, etc, que ce soit celui plus romantique voire intellectuel de Coimbra, je ne peux pas comprendre certaines manifestations possessives. Le Fado fait partie de la vie des hommes ce qui sous-entend une évolution permanente vers de formes autres que celles existantes à un instant donné. On ne peut pas empêcher cela. Au nom de quoi le ferait-on ?
Tout le monde a le droit de jouer et chanter le Fado, puis qu’il est devenu universel, quelle chance pour lui ! Ces nouvelles formes du Fado sont un plus et en plus de, certainement pas en remplacement de.
Sans tomber dans des extrapolations hasardeuses j’ai peur que cette attitude, dénoncée dans l’article ci-dessus, ne fasse que révéler un regard plutôt nuisible de certains portugais qui laissent entrevoir l’aspect contreproductif du sentiment saudade et toute une liturgie qui va avec, contre laquelle je me bats depuis toujours et qui m’a, depuis longtemps, quelque peu éloigné si non du Fado mais plutôt d’une tradition trop proche de ce qui transpire encore d’un monde autoritaire, encore aujourd’hui profondément encré dans le mental portugais d’une classe d’âge plutôt vieillissante.
Je suis gré du ton ferme mais bienveillant de votre réponse à Antonio Alves de Oliveira.

Antonio Pereira Nunes

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