DEMOCRATIE, SOUVERAINETE ET MONNAIE : QUEL STATUT POUR LA BANQUE CENTRALE EUROPEENNE ?
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DEMOCRATIE, SOUVERAINETE ET MONNAIE : QUEL STATUT POUR LA BANQUE CENTRALE EUROPEENNE ?
Par Fabrice Aubert
Le 29 Mai prochain, les citoyens français sont appelés à exercer leur souveraineté en participant au référendum sur le projet de constitution européen. Dans le cadre du « non débat actuel », remarquablement relayé par les médias, personne ne prend la peine, de prendre le recul historique nécessaire, afin de se poser les questions essentielles qui tournent autour de l’idée de Constitution. Pourtant nous sommes le Pays d’où sont partis les idées de Révolution, de République, de Démocratie, et de Souveraineté, mots clefs dans une constitution, dont l’objectif est justement d’organiser les pouvoirs de la société. Mais observons d’abord ce qu’il nous est demandé de ratifier .
Le 4e pouvoir
Sans que personne n’y fasse vraiment attention, le projet de constitution crée et reconnaît un quatrième pouvoir . « La banque centrale européenne est une institution. Elle a la personnalité juridique. Elle est seule habilitée à autoriser l’émission de l’euro. Elle est indépendante dans l’exercice de ses pouvoirs et dans la gestion de ses finances. Les institutions, organes et organismes de l’Union ainsi que les gouvernements des Etats membres respectent cette indépendance » Art I-33 Cette création d’un quatrième pouvoir indépendant modifie fondamentalement la nature du système politique dans lequel nous allons entrer si le projet de constitution est adopté. Pour bien comprendre cet aspect caché, il nous faut regarder dans le rétroviseur de l’histoire et remonter au siècle des lumières.
De l’esprit des Lois
C’est en 1748, que Montesquieu écrit ceci : « Il y a dans chaque Etat trois sortes de pouvoirs : la puissance législative, la puissance exécutrice et la puissance de juger. Lorsque dans la même personne la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté. Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. Chez les Turcs, où ces trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan, il règne un affreux despotisme." La Révolution Française s’inspirera de cette pensée et de cette analyse pour faire émerger un nouveau régime politique : « La République » fondée sur la séparation de ces trois pouvoirs. La démocratie confortera cette nouvelle organisation en l’appuyant sur la souveraineté des citoyens qui élisent librement leurs représentants, dont la mission est de faire et voter les lois de la République. Mais nulle part ne parait l’idée, la suggestion, le principe de mettre la monnaie à l’abri de la souveraineté. Pourtant au moment de la Révolution française, la monnaie existe (ex le Louis d’or de 1640) et le commerce international se développe déjà depuis longtemps (l’Amérique est découverte en 1492).
De l’esprit de la monnaie...
Le projet de constitution européen qui nous est proposé donne une importance considérable au rôle de la monnaie, jusqu à créer une institution spécifique autonome et indépendante en charge de sa gestion. D’où l’importance de la monnaie. Mais qu’est ce qu’une monnaie ? Elle se définit par ses trois fonctions : • Unité de compte (on peut compter sa monnaie), • Moyen d’échange (la monnaie est un moyen qui permet d’acheter des biens ou des services), • Réserve de valeur (la monnaie c’est du pouvoir d’achat dans ma poche). On le voit, dans cette approche, la monnaie n’est qu’un outil au service d’une politique. Elle est aussi l’expression la plus forte de la souveraineté car, la souveraineté est le pouvoir de battre monnaie. On comprends mieux, dans ce cadre l’articulation très forte entre pouvoir et monnaie. Car le pouvoir de battre monnaie signifie la possibilité de définir une politique monétaire, qui elle même va financer la politique économique. A contrario on ne peut financer une politique économique (ex plein emploi), si on ne maîtrise pas la monnaie (voir ce qu’en dit Jean-Paul FITOUSSI au verso).
... à la marchandisation de la monnaie
Aux trois fonctions classiques, que l’on vient de voir, les économistes anglo-saxons (libéraux) y ont rajouté celle d’être une marchandise comme les autres qui de fait s’échange sur un marché (le marché des changes) . C’est cette création accompagnée par les politiques de libéralisation (Reagan / Thatcher) qui ont largement contribué aux différents krachs boursiers successifs de par le monde (Asiatique, Russe et enfin Américain), au développement de l’endettement d’entreprises publiques saines (France Télécom) débouchant sur des restructurations d’entreprises ou des destructions (Enron, World-com), suite à des montages financiers frauduleux . Observons que dans ce cadre, la monnaie perd sa souveraineté politique, pour devenir un bien privé, manipulé comme un yoyo, en vue d’obtenir la rentabilité la plus élevé dans le temps le plus court .
Constitution, mondialisation et nouveau rapport social
Depuis des années, le politique nous demande de nous adapter à La compétitivité, La concurrence, Les nouvelles technologies, Le marché du travail, L’insécurité sociale, La précarité.... Derrière ces demandes d’adaptations qui pèsent toujours sur les mêmes (les salariés) , se cache en fait l’objectif politique de dessiner de nouveaux rapports sociaux (thèse de la refondation sociale chère au Baron Seillière), qui se mettent en place au nom de la mondialisation et de l’obligation de s’adapter, car disent-ils nous sommes « dans un monde ouvert ». De fait, la Constitution ne vient que formaliser sur un plan politique cette organisation, avec au centre la question de la monnaie (politique monétaire). Car qui tient la monnaie est souverain. Dans ce cadre, on ne peut laisser la monnaie être sous contrôle politique, il s’agit derrière le principe d’indépendance de la banque centrale (quatrième pouvoir), d’empêcher le peuple d’accéder à sa souveraineté (définition d’une politique monétaire). Car l’indépendance vis-à-vis du politique (des citoyens) veut dire en fait dépendance vis-à-vis des marchés financiers, d’où pas de hausse de salaires, emplois précarisés, chômage de masse etc...
En toute connaissance de cause
Mais tout ceci se sait en haut lieu depuis longtemps : « M. Jean-Paul Fitoussi a estimé que l’on était confronté à une incertitude quant au comportement des autorités monétaires et quant au comportement des autorités politiques, dans la mesure où l’on ne sait pas encore quel sera le contrepoids politique à la Banque centrale européenne. Si la politique monétaire européenne était trop restrictive, les efforts pour respecter le pacte de stabilité pourraient être d’autant plus déstabilisateurs pour l’activité et l’emploi que les Etats arriveront, lors de l’adoption de la monnaie unique, à la limite des critères. La question fondamentale, a poursuivi M. Jean-Paul Fitoussi, est de savoir comment un Gouvernement peut agir pour régler les problèmes quotidiens des populations dont il a la charge lorsqu’il n’a plus la maîtrise ni de la politique monétaire, ni de la politique budgétaire » . Dès 1996, le politique sait que la création d’une banque centrale européenne indépendante signifie qu’il se prive de politique monétaire et que de ce fait, il ne pourra pas régler les « problèmes quotidiens des populations »... Pourtant, il continue jusqu’à proposer la constitutionnalisation de sa démission. Et il voudrait notre aval ... par ratification.
Constitution ou coup d’état ?
C’est la vraie question, car la démocratie n’est qu’un mot, qui peut cacher une violence politique de privation de liberté et de colonisation des esprits. Si la République est le partage de trois pouvoirs (Montesquieu), la création institutionnelle d’un 4ème pouvoir nous fait changer de Régime. Si la démocratie est la construction de la souveraineté du peuple, dont l’expression la plus haute, est le pouvoir de battre monnaie alors, la constitutionnalisation de l’indépendance de la banque centrale , est un acte politique qui détruit les fondements de cette souveraineté, pour ne conserver que le caractère formel de l’élection de représentants (aspect qui nourrit la crise de la politique). Observons que par ce seul article I-33 étudié attentivement, à l’aune de notre histoire, on a la démonstration que ce que l’on nous demande de ratifier le 29 Mai prochain, est tout simplement l’abandon de la République, de la Démocratie et de notre Souveraineté. Ce texte est un coup d’état.
1 « Confirmer ce qui a été décidé » (Larousse édition 2003), ce qui est déjà une sacrée limitation de notre souveraineté, car, n’oublions pas que les chefs d’Etat ont déjà signé le projet de constitution, en notre nom. DE GAULLE lui a attendu les résultats du référendum pour signer la constitution de 1958. 2 Ceci est unique au monde. Même la constitution des Etats-Unis n’intègre pas ce genre d’article. 3 « Régime politique dans lequel le pouvoir est partagé » / Dictionnaire Larousse édition 2003. 4 La mondialisation ne date pas d’aujourd’hui. 5 A l’origine le souverain est une monnaie anglaise (pas un roi). La souveraineté est le pouvoir de battre (frapper) le souverain (monnaie de l’époque). Or seul le roi avait ce pouvoir de battre monnaie, d’où la signification souverain = roi. 6 Réservé aux spéculateurs qui sont à la Bourse ce qu’étaient les nobles à la coure du Roi. 7 « la falsification et la fraude détruisent le capitalisme et la liberté de marché, et , plus largement, les fondements de notre société. » Alan Greenspan Président de la F.E.D (Banque centrale Américaine). Cité par Le Monde du 19/07/02. 8 Spéculation. Phénomène qui engendre les krachs, qui ne sont que des mécanismes de réajustement par rapport au réel. 9 Car à contrario, les groupes industriels n’ont jamais fait autant de profit. 10 Economiste pro-européen, Directeur de l’O.F.C.E (Observatoire des conjonctures économiques). 11 Réunion sénatoriale du 29 Octobre 1996 (vérifiable sur Internet).12 Cette indépendance est un peu comme si aujourd’hui, on nous demandait de reconstruire la Bastille des privilèges 13 Cette indépendance est un peu comme si aujourd’hui, on nous demandait de reconstruire la Bastille des privilèges
Fabrice Aubert est économiste
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