LES EXPERTS DE LA PRIMAIRE
par
popularité : 1%
Au foot, c’est simple, il y a ceux qui jouent le match, ceux qui arbitrent le match, ceux qui soutiennent (les « supporters ») ceux qui jouent le match, ceux qui commentent le match ceux qui parient sur le match. Pour la primaire socialiste, c’est pareil, mais presque seulement. Il y a bien ceux qui jouent le match (les candidats), ceux qui arbitrent (une commission ad hoc qui n’a pas l’air pour le moment de crouler sous le boulot), ceux qui soutiennent les joueurs, pardon, les candidats (en général, leurs potos du parti), ceux qui commentent le match (les journalistes, encore plus prolixes que pour le foot ; les cafés du commerce, nettement moins prolixes que pour le foot) et ceux qui parient sur le match (les sondeurs).
Avouons que nous n’avons pas une passion excessive pour les joueurs, pas du tout pour les arbitres, rien pour les supporters et moins encore, il faut le faire, pour les commentateurs (les journaleux surtout, qui nous gonflent un peu beaucoup). Quant aux sondeurs-parieurs, la question est réglée : on devrait interdire la publication des sondages électoraux. Mais il y a une autre catégorie qui n’apparait que rarement pour le foot : les analystes (le mot est peut-être un peu fort) du « sens » du match. Bref, la primaire a-t-elle un sens ?
Ce débat a notamment été illustré par deux articles parus dans Le Monde, l’un et l’autre écrits par d’éminents universitaires. Pour l’un, Rémi Lefebvre, la primaire est une régression politique, pour l’autre, Gérard Grunberg, il s’agit d’une avancée démocratique. Et tant qu’à faire, le débat a aussi une sorte d’arbitre, le chroniqueur-journaliste du Monde Gérard Courtois, qui donne plutôt raison à Grunberg.
On revient la dessus ? Pour Rémi Lefebvre, le remplacement du vote militant, réservé aux adhérents d’un parti par le vote « citoyen », où chacun peut voter moyennant une contribution symbolique et une signature qui n’engage pas à grand-chose sur les « valeurs de la gauche ». Si le vote militant n’a pas toutes les vertus (les tripatouillages, les allégeances y ont leur part), il en a au moins une : le militant d’un parti a fait un choix politique, il a participé, au moins par son vote, à l’élaboration d’un programme, il peut en conséquence, en principe, fonder son choix d’un candidat sur sa cohérence par rapport au programme qu’il a approuvé. Le vote « citoyen », lui, rend certes plus diffusent les allégeances, mais n’exclut pas les tripatouillages (les primaires made in USA n’en sont pas exemptes), et surtout privilégie l’aspect « concours de beauté » de l’exercice, déconnectant plus nettement la singularité personnelle du candidat des idées-programme qu’il défend, et où le citoyen non militant n’a pris aucune part, qui plus est influencé par les effets auto-prédicteurs bien connus de sondages dont les méthodes prêtent particulièrement, dans le cas qui nous occupe, le flanc à la critique méthodologique On résume, là, mais le résumé est assez fidèle, on trouve.
Grunberg attaque Lefebvre sabre au clair. On résume encore. Lefebvre ne serait qu’un nostalgique de la conception de parti d’avant- garde, ayant le monopole de la raison politique (ce qu’évidemment Lefebvre ne dit pas). En réalité, écrit Grunberg, ce n’est pas après la primaire qu’en a Lefebvre, mais après le Parti Socialiste. Façon commode, selon nous, de ne pas répondre aux critiques sur la primaire elle-même émises par Lefebvre. Et Grunberg de conclure, ce qui est inattendu : le PS ayant échoué à être un parti de classe, n’est-il pas plus honnête d’en tirer les conséquences et d’oser « paraître ce qu’il est… transmet aux citoyens eux-mêmes une souveraineté et un monopole politique qu’il n’est pas en mesure d’exercer de manière satisfaisante ».
Le bon Gérard Courtois, qui en l’occurrence porte bien son nom, ne méconnait pas les défauts de la primaire, comme le fait Grunberg. Mais quand même, dit-il, le succès des débats télévisés entre les candidats (plusieurs millions de téléspectateurs apparemment assidus, ne décrochant pas) montre que l’exercice ne saurait être réduit à un concours de beauté. Admettons, disons une concours de beauté en robe du soir ou smoking, sans les maillots de bain.
Car la procédure de la primaire a, tous comptes faits, trois défauts majeurs. Elle s’adapte au système présidentiel, dont Sarkozy a dévoilé davantage encore que ses prédécesseurs, qui n’avaient pourtant pas toujours fait dans la dentelle les tares, et ne remet nullement en cause. Elle se présente comme la primaire de la gauche, alors que le Parti Socialiste, même en y ajoutant les scores du PRG, ne représente, électoralement, qu’une moitié, ou à peine plus, des voix de gauche. Elle instille, et Lefebvre a raison sur ce point, la transformation d’un parti de militants (même si plus ou moins vaillants) en un parti de supporters, à l’image des partis américains. Et cela, est-ce vraiment une "avancée démocratique" ?
Un autre point qui nous fait râler : Lefebvre et Grunberg signes leurs articles en se parant de leurs statuts académiques. C’est fréquent dans les tribunes de presse. Ce ne serait pas choquant si les articles en question étaient les vecteurs des recherches universitaires des auteurs. Dans le cas présent (encore une fois, cas fréquent par ailleurs), si on peut admettre que les travaux de Rémi Lefebvre ont à voir avec son article, c’est beaucoup moins le cas pour Gérard Grunberg, dont les liens avec le Parti socialiste sont connus. Son article est bien davantage motivé par ces liens que par son activité universitaire, fort respectable par ailleurs. D’une matière générale, mettre en avant des distinctions, académiques ou autres, pour signer des articles de commentaires d’actualité ou d’opinion, n’est-ce pas un abus de position dominante ?
Commentaires