BLASPHEMATOR : LE RETOUR

lundi 26 septembre 2011
par  Marc Silberstein
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En ces temps troublés où une xénophobie d’État s’épanouit sous les auspices de l’UMP, où l’islamophobie est confondue avec le racisme – ce qui est une erreur de catégorie : le racisme est la croyance en une hiérarchie entre « races » inscrite dans la nature même des individus ; adhérer à une doctrine religieuse est un choix, et non, comme la couleur de la peau notamment, une caractéristique irréductible à une délibération personnelle – par des zélotes prohibant la critique des religions au nom de la tolérance, où les religieux de toute chapelle construisent la fiction médiatique des vexations qui les affecteraient, où les moutons du troupeau pastoral ne veulent pas laisser dire qu’ils sont les occupants d’une porcherie mentale, il est sans doute utile de revenir sur l’opposition fondamentale entre croyants et athées. Les seconds regardent avec affliction les désastres causés par l’inepte notion de divin. Peu importe les différences de surface entre les trois monothéismes ; c’est leur substance commune, criminelle et falsificatrice, qu’il faut dénoncer. Il y va d’une anthropologie qui se donne pour but de comprendre l’intense grégarisme d’une humanité crédule dont les membres s’agenouillent, se prosternent, se flagellent, accompagnent au tombeau l’enfant déchiqueté avec ces paroles épouvantables : « Telle est Sa volonté. »

Le savoir et la morale

Chez tous les croyants, la même matrice argumentative agit sans cesse. Tout d’abord, ce qui est reproché au sceptique rationnel, à l’athée, au mécréant, c’est son outrecuidance : se mesurer à Dieu, quelle audace, quelle impiété coupable ! Dans Réfutation du déisme (1814) du poète Percy Shelley, Eusèbe, l’un des protagonistes de la dispute sur les mérites du christianisme, s’exprime ainsi : « Voilà donc à quel excès en est arrivée, dans son orgueil, l’intelligence humaine ! À se mesurer avec l’Omniscience ! À sonder les intentions de l’Impénétrable ! » Heureusement pour les audacieux que les religions voudraient faire taire, quelques pays ont rendu impossibles les bonnes vieilles méthodes affectionnées par les Églises : prison, torture, bûcher… En revanche, sont d’usage courant l’intimidation, la calomnie, les accusations inversées de dogmatisme, d’intolérance, de racisme. Le constat que les croyants sont la masse et les incroyants l’infime minorité nous intime l’ordre implicite de nous taire. Les officiers du culte, ragaillardis par l’argument du nombre, reprennent ce refrain éculé : « Par quelle série de sophismes un être raisonnable peut-il se persuader de rejeter une religion dont la propagation fut dès l’origine un événement sans aucun parallèle dans la sphère de l’expérience humaine ? » (Shelley, ibid.) En s’adressant aux critiques de la religion, nos cerbères de l’ordre moral singent le personnage du pamphlet de Shelley : « Permettez-moi de vous montrer la laideur des erreurs qui vous attirent vers votre perte. Exposez-moi avec sincérité l’enchaînement de sophismes par lesquels le mauvais esprit a trompé votre intelligence. Confessez les secrets motifs de votre incroyance, et souffrez que j’administre un remède à votre maladie intellectuelle. »

« Ne croyez pas en Dieu si vous voulez mais en silence, et surtout respecter notre foi », pleurnichent ou admonestent les suppôts. Cette injonction implique que nous, athées, respections tout le fatras dément du théisme, où se mêlent les phénomènes et entités du capharnaüm théologique : la création du monde en six jours, le Déluge, l’ouverture de la mer Rouge, l’Immaculée Conception, les anges, les miracles, les apparitions mariales, la résurrection du Christ, la transsubstantiation, l’âme séparée du corps et son immortalité, les vierges du paradis, la mort physique comme simple étape vers l’au-delà et l’éternité, la félicité infinie du paradis et les souffrances absolues de l’enfer. Etc.

« Mais la morale issue du message divin, toute cette magnifique bonté de Dieu, comment pouvez-vous les nier ? », s’inquiètent les fidèles. Répondons encore une fois avec Shelley : « Je consens à reconnaître que deux ou trois axiomes de morale, empruntés par le christianisme aux philosophes de la Grèce et de l’Inde, enseignent, sous une forme décousue, des règles de conduite dignes d’éloges mais les leçons les plus pures, les plus élevées de la morale doivent rester des bagatelles, les plus éloquentes exhortations à la vertu doivent manquer leur but, tant qu’on attache la moindre importance à ce dogme qui est l’essence vitale de la religion révélée. » Dans Pourquoi je ne suis pas chrétien (1927), Bertrand Russell allait plus loin que bien des penseurs actuels : « L’idée de Dieu, avec tous les concepts qui en découlent, nous vient des antiques despotismes orientaux. C’est une idée absolument indigne d’hommes libres. La vue de gens qui, dans une église, s’avilissent en déclarant qu’ils sont de misérables pêcheurs et en tenant d’autres propos analogues, ce spectacle est tout à fait méprisable. Leur attitude n’est pas digne d’êtres qui se respectent. […] Un monde humain nécessite le savoir, la bonté et le courage ; il ne nécessite nullement le culte et le regret des temps abolis, ni l’enchaînement de la libre intelligence à des paroles proférées il y a des siècles par des ignorants. »

L’éthique complaisante dans laquelle pataugent la droite catho qui se sent revivre grâce aux déclarations du président Sarkozy en terres papistes, les représentants du Conseil français du culte musulman mis en place par le ministre de l’Intérieur Sarkozy, les franges égarées des extrêmes gauches et de certains libertaires (liste non exhaustive) veut imposer le respect envers ceux qui élaborent les plus absurdes affirmations sur le monde et les plus indignes considérations sur les humains. Or, croire en Dieu est une erreur de la raison, croire que Dieu est bon est une faute morale de la pire sorte. Défendre les adorateurs de ce Dieu fatidique est une faute politique.

Face à cet état de fait, le blasphème et l’irréligion sont nos seules armes. Dès qu’un croyant justifie la mort d’un enfant éviscéré par un assassin en recourant à « l’argument » des desseins impénétrables de Dieu ou en arguant que Dieu, par sa connaissance illimitée de l’advenue des événements, a sauvé d’autres enfants, qui, sans le meurtre du premier, auraient été aussi sauvagement massacrés, il insulte au plus haut point l’humanité tout entière et il faut lui faire savoir, sans ménagement : il n’est plus temps pour les atermoiements. Dès qu’un religieux justifie les guerres au nom de Dieu, il insulte l’humanité. Dès qu’il argue du libre arbitre offert aux humains par le divin ordonnateur, et qu’ainsi les maux qu’ils s’infligent sont de leur seule responsabilité – malgré la possibilité qu’aurait une entité toute-puissante et omnisciente de contrer leurs agissements funestes –, il insulte l’humanité. Que dire aussi des effets dévastateurs de la nature sur nos semblables ? Dès qu’un religieux justifie l’existence des maladies, de la mort, des catastrophes naturelles (là où le libre arbitre ne peut rien) par une volonté divine dont les desseins dépassent notre entendement, il insulte l’humanité. C’est le travail obscurantiste des théologiens, maîtres dans l’art de confiner les dévots dans la croyance en un créateur sublime et subtil. Dans nos contrées, ce genre de criminels de la pensée se rassemble le dimanche. Parfois, ils manifestent contre l’IVG, parfois ils siègent à l’Assemblée nationale. Ailleurs, ils bénissent les canons destinés à hacher le « bougnoul irakien » – lui aussi indécrottable crédule… – ou encore les lance-flammes des troupes russes à l’assaut des fantômes de Tchétchénie, vous savez, ces musulmans qui, jusqu’à ce que ces hordes orthodoxes les massacrent et que l’Occident les abandonne aux mains de Poutine, se foutaient pas mal des plus asservissants oukases de leur religion. Ailleurs encore, ils érigent de murs de séparation et leurs colons s’emparent de terres au nom de Dieu. Les exemples sont légions. Cette foi se devrait alors d’être silencieuse, intime, discrète, mais ces chantres absurdes d’une métaphysique de la terreur ne se taisent jamais. Il leur faut clamer leur foi, vociférer en chaire ou au minaret, prêcher, convertir, entrer en croisade, évangéliser, coloniser.

Morale, religion et univers

Au sujet des attributs moraux de Dieu, les questions pertinentes sont : 1) celle de la validité empirique de la prière – l’orant doit implorer Dieu de lui accorder sa bienveillance – ; 2) celle de l’impossibilité de la prière rétrospective. Il est patent que la prière est un acte infructueux, pourtant pratiquée sans réserve par la multitude, toujours assujettie à un énigmatique mécanisme psychologique qui la lie à cette illusion. Quant au point 2, dans les trois monothéismes, on quémande la réalisation d’une action à venir et non la modification d’une action passée. Une telle prière est d’ailleurs considérée comme blasphématoire dans le judaïsme (1) ! On n’a jamais vu un juif croyant supplier son Dieu d’effacer la « Shoah » (2) et de faire revenir à la vie 6 millions de personnes, ce qui serait à proprement parler un miracle ! Ici, pour on ne sait quelle raison, Dieu impose une flèche du temps qu’il lui serait impossible de rendre réversible. Il s’impose à lui-même une contrainte cosmologique absolue, ce qui est surprenant eu égard à sa propriété essentielle : la surnaturalité et l’incréation de lui-même, c’est-à-dire ce qui lui permet de ne pas être redevable de la structure causale et temporelle du monde et des relations physiques qui s’instaurent entre les entités le composant. Ainsi, il est imposé à Dieu (par un Dieu plus divin que Dieu, sans doute…) que sa propre capacité de création soit limitée, ce qui contrevient à la propriété d’omnipotence que les trois monothéismes admettent, et qui est un absolu : dieu est ou n’est pas omnipotent, il ne saurait être plus ou moins omnipotent. Autre option, qui n’impose pas de paradoxes métaphysiques mais uniquement des contradictions éthiques : Dieu peut éviter le génocide, ou le supprimer, mais Dieu ne le veut pas, ce qui s’appréciera comme l’indice d’une perversité incompatible avec ses autres prétendues propriétés fondamentales : la miséricorde et la bonté. Je n’ignore pas que les théologiens ont inventé le Diable pour tenter de répondre à ce genre d’objections, mais cette « solution » est évidemment dérisoire.

Le judaïsme a su se préserver de la critique athée en convainquant l’opinion publique que l’antijudaïsme est un antisémitisme. Pourtant, après le génocide, les Juifs déliés de l’empire coercitif et infamant de leur ancienne allégeance théologique seraient amplement fondés à récuser les propagateurs de la loi persécutrice de Dieu. Il est honteux que les rabbins puissent encore bénéficier du respect que leur fonction sacerdotale leur confère encore et toujours. En France, toutes les cérémonies officielles en souvenir des victimes du génocide sont entre leurs mains…

La liberté, pas le libre arbitre !

Vous, les prosternés, de quel destin nous parlez-vous, avec vos dieux et vos prophètes grandiloquents ? Un destin de piétaille, claquant des dents en entrant dans vos temples, misérables dans la trépidation de la vie et cependant encore rapetissés par la traque d’airain dont vous êtes les victimes, quand vos dieux vous ordonnent de vivre dans la crainte de leurs colères. Un destin où règnent la peur et l’encasernement de l’esprit, soumis aux psaumes, aux prières, aux prêches, aux commandements. Destin des corps affamés de désir et que les dévots enlaidissent, les incarcérant dans des morales obtuses et frauduleuses. Destin des soldats carnassiers prononçant des vœux d’obéissance à des dieux psychotiques. Destin de la masse humaine ravagée par la dévotion, humiliée par son sort servile, et masse néanmoins consentante au nom de Dieu, pour la plus grande gloire de Dieu. Alors oui, face à cette fatale omniprésence de la foi, il faut se rebeller, il faut oser l’athéisme, il faut blasphémer, refuser de se soumettre à la volonté des croyants et de leurs auxiliaires qui réclament que la foi fasse l’objet d’un respect indiscutable. La grandeur de l’homme tendanciellement libre, c’est de croire que la liberté n’est pas de lutter en faveur de sa propre servitude.

(1) J’emprunte cette idée à Michael Dummett, Truth and Other Enigmas, Harvard University Press, 1978.

(2) Il faut bannir le vocable « Shoah » (« catastrophe »), car ce terme hébreu possède une évidente connotation religieuse. L’hébreu étant la langue de la religion juive et sûrement pas de l’ensemble des Juifs victimes du génocide nazi, l’opération d’universalisation linguistique du terme par un seul et unique mot pose un véritable problème de légitimité : ce n’est pas par cette langue que se constitue l’unité du peuple juif que les nazis ont voulu éradiquer ; cette langue n’était pas celle des Juifs non-croyants et souvent attachés soit au yiddish, soit aux langues des pays dans lesquels ils étaient installés parfois depuis très longtemps. Il est choquant d’exprimer par un mot issu de la langue servant au dialogue entre Dieu et ses créatures une abomination d’une telle ampleur, où fut atteinte le summum de la déréliction. Ce mot est donc foncièrement inadéquat et le fait qu’il soit entériné par l’usage n’y change rien.

Marc Silberstein est écrivain et journaliste au Monde Libertaire.


Commentaires

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mercredi 26 octobre 2011 à 07h30 - par  SIMON

"Un monde humain nécessite le savoir, la bonté et le courage" : je suis parfaitement en accord avec cette proposition. En lisant le texte j’ai repensé à cette citation : "Rejetté-je vos vertus ? Je rejette vos vertueux !"

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samedi 8 octobre 2011 à 06h17 - par  Linda Weil-Curiel

Merci et bravo ! Ceci s’adresse à Marc Silberstein pour Blasphémator:le retour.
Dans le cadre de la Ligue du droit international des femmes j’oeuvre pour l’élimination des manifestations d’appartenance religieuse dans le sport et notamment aux JO.
Linda Weil-Curiel

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