MISIA AU BATACLAN : le fado à sa façon

jeudi 2 février 2012
par  Jean-Luc Gonneau
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Misia ne fait rien comme tout le monde, ce qui ne lui a pas valu que des amis. Déjà toute petite : née à Porto et pas à Lisbonne, mais, ça, passe encore : il y a bien des fadistes nés à Porto. Puis, après quelques apparitions dans les maisons de fado de Porto, en fado vadio amateur, la voilà partie en Espagne (la mère et la grand’mère sont catalanes, et ont toutes deux été danseuses de cabaret et de revue) faire comme maman et grand’maman, suivre la movida, à Barcelone et Madrid et même faire du strip-tease, ciel ! De retour au Portugal, elle retrouve le fado et y fera dorénavant carrière, mais un peu en solitaire, sans passer par les maisons de fado et les côteries lisboètes, mais en sollicitant poètes et musiciens. Elle s’installera à Paris durant cinq ans, sans se mêler, là aussi, au milieu du fado parisien. Pourquoi Paris ? « J’ai été élevée dans un milieu très francophile. Et Paris, c’était pour nous la capitale culturelle du monde. C’est aussi l’un des endroits où mon travail artistique a été le plus tôt reconnu ». Par ailleurs, elle interprète Kurt Weill, Astor Piazzola le maître du tango moderne, se produit avec un orchestre symphonique. Pour beaucoup de traditionalistes, Misia, « ce n’est pas du fado ». Quand nous la rencontrons au Bataclan, quelques heures avant son concert intitulé, comme son dernier CD, Senhora da noite, elle nous en explique la gestation : la volonté de mettre en lumière l’apport des femmes, trop souvent considérées, dans le fado, comme uniquement des interprètes, à la poésie du fado. Tous les textes du concert sont écrits par des femmes, certains par de grandes écrivaines telles Agustina Bessa Luis, Florbela Espanca ou Natalia Correia, des fadistes telles Amalia Rodrigues ou Aldina Duarte, la compositrice et chanteuse Amelia Muge, et Misia elle-même. Comme le fit voici quelques années Carlos do Carmo avec de jeunes poètes, ces textes, dont une majorité a été écrite spécialement pour Misia, sont interprétés sur des musiques traditionnelles du fado, où ne manquent ni le corrido, ni le menor, ni le mouraria. Mais, on l’a dit, Misia ne fait rien comme tout le monde. Ce soir-là, en plus de l’excellent Luis Guerreiro à la guitare portugaise et du solide Daniel Pinto à la guitare classique (il est aussi un très bon spécialiste de la guitare basse), joueront Pedro Santos à l’accordéon et Luis Cunha au violon, à la manière de ces musiciens des rues qui se produisaient, sur des musiques de fado, dans le Lisbonne d’il y a quelques décennies. Le résultat est, pour nous, très réussi. On entendra aussi dans le concert des moments de bolero (sur la belle musique du fado varela) ou quelques touches du Brésil. Le tout sans trahir un seul instant l’esprit du fado. Dans l’histoire du fado contemporain, Misia fait partie de la génération post-25 avril, moment difficile pour le fado, un temps identifié, injustement, à la période de la dictature de Salazar, qui fait le lien entre la génération d’Amalia Rodrigues et la nouvelle génération. Amalia est une référence incontournable pour Misia, qui admire aussi, parmi les fadistes d’avant 1974 Fernanda Maria et Beatriz da Conceição, cette dernière toujours en activité, et apprécie particulièrement Ana Moura, Carminho et Ricardo Rodrigues chez les jeunes du fado. « Mon chemin est personnel, dit Misia, très très personnel, donc un peu solitaire. Dans ce que je fais, l’essence est le plus important, et, à ce niveau, c’est le fado qui est le plus profond ». Une chose, en tout cas, est sure : si Misia s’est parfois écartée du fado (« chacun de nous est plusieurs », dit-elle), quand elle y revient, comme lors de cette soirée au Bataclan, une évidence apparaît clairement : ceux qui prétendent que « Misia, ce n’est pas du fado » devraient se décrasser les oreilles et se nettoyer la tête.

Cet article paraît également dans Lusojornal daté du 8 février (www.lusojornal.com)


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