LE TSCG, UN OUTIL MAJEUR DE LA DOMINATION ECONOMIQUE LIBERALE

mardi 16 octobre 2012
par  Gérard Bélorgey
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En préalable, à mon sens, l’effet majeur n’est pas de porter à une austérité “sans limite”, ce qu’a l’envi soulignent trop exclusivement les critiques du TSCG. Ce n’est là qu’une portée conjoncturelle, alors que le Traité poursuit de fait un but structurel.

La situation d’endettement, mise en exergue, dès 2010 comme un moyen de manœuvre partisane à l’encontre d’Obama, a été instrumentalisée par les libéraux du monde entier sous le thème de “crise des dettes souveraines” pour contrer les actions des États ; il en est résulté une véritable paranoïa (alors que des avances à bas coût d’une banque centrale régleraient assez bien une part de la question) qui est utilisée comme levier pour obtenir des ruptures dans le modèle de société. L’un des outils majeurs permettant en Europe de conduire la suite de ces ruptures est le TSCG. Ce que veulent ou acceptent plus ou moins consciemment ceux qui vont le voter est de pousser à l’abandon des compromis sociaux encore opérants au bénéfice du but structurel d’imposer à tous les pays de l’Union un modèle économique et social très typé. Ce modèle est celui d’un capitalisme caractérisé, sous la règle dominante des pressions concurrentielles internationales installées dans le monde par le principe du libre échange, par l’obligation d’une adaptation permanente des coûts de revient, dès lors que la compétitivité par les prix se révèle chaque jour plus déterminante que la compétitivité hors prix.

Les conséquences en sont de vouloir le règne d’un système combinant de manière étroitement solidaire plusieurs éléments. Le premier est d’obtenir le moins de charges collectives et sociales possibles, notamment de manière directe sur les productions, alors que les solutions sont dans la recherche des meilleurs dosages (en combiné d’efficacité et d’équité) entre fiscalité de la consommation, fiscalité progressive identique pour tous les types de revenus ( et patrimoines) et taxation du travail, lequel ne peut évidemment être le support exclusif des prestations sociales, (ce qui pose la question du choix entre des ressources de remplacement, (TVA, CSG ou mix de diverses ressources ?) débat sur lequel nous reviendrons très bientôt, en tenant compte des besoins d’effet de protection aux frontières.

Le second élément du système du nouveau capitalisme est d’arriver à la totale appropriation privée des moyens de production (le maître mot des professeurs européens n’est-il "privatisation" ? c’est le sens même des mesures prises sans discontinuité de Balladur à Jospin et destinées à se poursuivre par la mise en cause des grands services publics qui subsistent et par l’exclusion des hypothèses de nationalisations comme solutions éventuelles à des impasses industrielles). C’est que réseaux et damiers d’appropriations privées sont plus souples qu’une économie mixte, pour générer toutes les flexibilités (de capital, de droit du travail, de localisations géographiques, de transferts d’actifs ou de bénéfices, etc.) et vont aussi de pair avec la jouissance et la garantie de tous les stimulants des entrepreneurs.

L’un des plus prisés, à un petit ou grand échelon de monopoly, est de faire profit, et parfois métier, d’acquérir et de revendre des unités (ou de plus vastes ensembles) de production de biens ou de services de toutes les espèces ; ou des titres qui les représentent distinctement ou au sein de fonds d’investissements. Voilà qui ouvre à des opérateurs individuels, parfois occasionnels, ou aux spécialistes de gestion de “private equity” la capacité juteuse d’achats, restructurations et cessions d’actifs autorisant, au delà des résultats d’exploitation, des gains majorés par les jeux de plus-values qui n’ont jamais été imposées comme elles auraient dû l’être, c’est à dire au même niveau que les revenus du travail : d’où la levée de bouclier de ces opérateurs qui se disent des “pigeons” (alors que quelques-uns d’entre eux ont pigeonné beaucoup de monde) au regard de l’alignement enfin envisagé sur le droit commun du régime fiscal des plus-values, comme si le fait de “valoriser” une entreprise pour la vendre méritait un traitement de faveur par rapport à celui qui s’applique à ceux qui la font tourner en produisant des activités et des emplois.

Le troisième volet du système est dans le financement d’une telle économie uniquement par des ressources privées, ce qui implique de s’appuyer sur une grande inégalité de revenus et de capacités d’épargne et d’investissement , avec exclusion des recours aux financements publics pour réaliser des investissements du secteur marchand (lequel doit lui-même de plus en plus remplacer des pans entiers des services publics dont, pour ce qu’il en reste, les méthodologies de financement et de gestion sont poussées à copier celles des entreprises). Le quatrième volet de ce modèle est dans une régulation monétaire et financière relevant d’autorités techniques indépendantes pour écarter toute autre motivation de politique économique que la préservation dans des conditions sécurisées des moyens de ces modes d’investissement et, donc, le moins possible d’inflation, le moins de création monétaire possible si c’est au bénéfice du secteur public, le moins de dette publique possible ; tandis que, par un crédit très ouvert à bien d’autres opérateurs et agents, les endettements privés des entreprises et des ménages peuvent gonfler sans beaucoup de contrôle. Ce schéma certes en moins explicite mais impliqué par les principes qui les gouvernent depuis l’origine selon la philosophie de J. Monnet et jusqu’à la doxa partagée de Barroso et de Merckel, est au cœur du dispositif des Traités. Leurs piliers sont en effet l’ouverture commerciale, la concurrence non faussée par la puissance publique), l’indépendance de l’autorité monétaire. Et dès lors, tout le reste s’enchaîne le plus logiquement du monde jusqu’au point où lorsque les “entrepreneurs” et les “investisseurs” estiment, en criant à la confiscation, qu’ils ne rencontrent pas ou plus de conditions pertinentes, ils peuvent impunément faire le chantage au départ , sans qu’aucun mécanisme ne soit conçu pour discipliner cette mobilité de la créativité et du capital ; elle est, tout au contraire, regardée comme le type même et très appréciable de la sanction libérale par excellence.

La seule manière de modérer cette logique serait, par une révision (allant à un équilibre mieux balancé) des principes fondateurs de l’Europe, de faire reconnaître les besoins de protection contre les excès du libre-échange, l’intérêt d’une part d’économie mixte et celui de certains contrôles des mobilités du capital, enfin la nécessité d’une politique monétaire pilotée par le pouvoir politique au bénéfice des intérêts collectifs dont l’emploi et le bien-être.

Ce sont là les éléments de la renégociation qui eut été nécessaire et qui, par un parfait angélisme européen traditionnel socialiste, a naturellement été passée à l’as au bénéfice de la simple adjonction d’une action en faveur de de la croissance, ce qui ne peut pas résoudre grand’chose si l’on reste dans les mêmes principes de fonctionnement : l’ouverture commerciale ; des financements exclusifs par des personnes privées et par les marchés ; une gestion monétaire ne voulant pas se résoudre à des ajustements de valeurs qui devraient, au demeurant, être différents selon les types de pays d’une zone trop hétérogène pour être, sauf déstabilisation chronique, placée sous une politique monétaire unique…

Or aucune renégociation fondamentale n‘a été même esquissée, alors qu’il eut été possible de faire sentir que si les principes de l’UE ne changeait pas, la France ne pourrait sans doute y rester. Que des opposants à cette Europe inchangée mettent l’accent sur le seul risque de l’austérité et tendent à faire croire que l’Union fonctionnerait bien si elle pratiquait une politique néo-keynésienne, et que ce serait possible sous un contrôle démocratique relève d’un autre registre du même angélisme : à côté du risque de l’austérité prolongée, il y a le risque de politiques de relance (modèle 2008 /2009) sans résultats et, du moins, sans bénéfice pour l’emploi et pour le plus grand nombre. Quant à réaliser un véritable contrôle démocratique, qui passe toujours par le rêve furtif de la tentation fédéraliste, c’est une hypothèse aujourd’hui inconstructible et pour longtemps !

Les tenants de l’Europe du nouveau capitalisme financier privé concurrentiel libre échangiste (mais le socialisme de Bad Godesberg ne s’y est-il rallié d’avance ?) se servent en fait d’un levier conjoncturel. Ce levier conjoncturel est qu’ils utilisent des difficultés économiques à tort imputées aux dettes souveraines ( alors qu’elles sont surtout imputables à l’absence de protection et d’impulsion en faveur de nos industries ) pour obtenir - à travers des disciplines budgétaires dont le défaut entraînera (c’est le jeu combiné des articles 4 et 5 évoqués dans notre précédent bille ) - des obligations de “réformes structurelles” satisfaisant pleinement les exigences de leur modèle capitaliste économique libéral. C’est ainsi que va se poursuivre la conduite les ruptures par lesquelles nous basculons dans les logiques exclusives d’un nouvel impitoyable monde : rien de que des unités de production privées fédérées par des intérêts transnationaux ; rien que du financement par l’épargne privée et par les marchés ; des services publics en peau de chagrin, des couvertures sociales contestées et très difficiles à sauvegarder. Le TSCG n’emporte pas seulement l’austérité ; en consolidant l’Europe du nouveau capitalisme, il est un outil au service d’un modèle libéral pouvant devenir dictatorial.

Le blog de Gérard Bélorgey : http://www.ecritures-et-societe.com


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