L’EUROPE BOUGE
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Dans Libération, « journal de gauche » (bah, il reste quand même Marcelle et Schneidermann) et « irrévérentieux » (bon, il y a encore les Garriberts, Willem, Launet et Lindon), daté du 15 novembre, il faut aller jusqu’à la page 16 pour trouver un petit tiers de page à propos des mobilisations syndicales européennes du 14. Contre trois pleines pages sur les problèmes du couple Hollande-Valls. Pourtant, davantage que la conférence de presse présidentielle du 13 devrait autrement retenir notre attention. Pour une fois, la Confédération européenne des syndicats, peu connue pour son gauchisme exacerbé, appelait à une mobilisation dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. Appel tout particulièrement entendu, comme c’était prévisible, dans les pays de l’Europe du Sud : pays quasi paralysé en Espagne, en Grèce, au Portugal, grosses manifestations en Italie. Moindre mobilisation en France, mais quand même, dans tout le pays, une centaine de milliers de personnes dans la rue. Au sud, la colère, ici, pour le moment, plutôt la morosité. Une partie de l’Europe, donc, bouge.
Une autre aussi, celle des cercles bruxellois, du gouvernement allemand avec quelques autres, des représentants des lobbies d’affaires, qui font pression pour davantage d’austérité, pour des réformes « structurelles », entendons par là avant tout le démantèlement des protections sociales et la continuation de la libéralisation des marchés en transférant ce qui reste de services publics au privé. Deux mouvements antagonistes
Plutôt que de choisir son camp, le gouvernement français se maintient dans un discours nébuleux sur une « réorientation » de la politique européenne à ce jour dépourvue de contenu. Mais attention, hein, ce gouvernement est attentif à ce qui s’est passé le 14 novembre. Pierre Moscovici : « Nous prenons cette mobilisation comme un point d’appui pour les politiques progressistes que nous menons ». Si ce n’est pas du foutage de gueule, on n’en est pas loin. Si nous voulons positiver, c’est moins pire, comme on dit au Québec, que le discours habituel de la droite comme quoi ce n’est pas la rue qui décide (sauf, selon Saint-Copé, mais pas jazzy, dans le cas du mariage pour tous). Moins pire, mais pas brillant.
Digressons, à propos de la rue : certes, elle ne décide pas dans un système démocratique parlementaire. Mais il y a rue et rue, une différence entre mouvements de foules, de supporters par exemple, plus ou moins avinés (plutôt bière, selon les spécialistes), et manifestations à l’appel d’organisations, syndicales ou politiques. C’est un moyen d’expression, qui, contrairement aux lobbyings de l’ombre, se produit en toute transparence. Et telle que l’Europe est partie, il est probable que cette expression devrait s’amplifier dans les mois à venir. L’hiver calmera peut-être les enthousiasmes, se cailler est un puissant anesthésique, mais le printemps refleurira sans doute.
N’oublions pas, de plus, que derrière les manifestations se dessine une autre orientation pour l’Europe, encore floue, on sait ce dont on ne veut plus, on peut avoir du mal à s’accorder sur ce qu’on veut. Là est le défi à relever par les forces progressistes : dessiner un « altereuropéanisme » mobilisateur. Ce ne sera pas de la tarte, entre confédéralistes, régionalistes et d’autres machins en isme. D’où notre conseil, qui vaut ce qu’il vaut, commençons par définir des objectifs concrets en termes de politique sociale, de services publics, de fiscalité, avant d’aller sur le terrain constitutionnel. Accompagner l’Europe qui bouge, celle du 14 novembre, c’est le lot d’une gauche de gauche.
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