La Recherche en France et son devenir dans le cadre de la construction de l’Europe ultralibérale
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La Recherche en France et son devenir dans le cadre de la construction de l’Europe ultralibérale
Par Jean-Marie Berniolle
Rappel historique
Si la France, petit pays au niveau mondial, tient un rang de premier ordre dans le monde ceci est pour une part majeure du à ses capacités dans les divers domaines de la pensée humaine et en particulier dans celui de la Recherche. Lors du grand essor des découvertes scientifiques, au XIX ème siècle et au début du XX ème siècle notre pays a su se placer grâce à ses savants, au tout premier plan de la maîtrise des grands domaines scientifiques : mathématiques, aérodynamique, thermodynamique, électronique, optique, mécanique des fluides et des solides... d’où notre capacité actuelle dans le domaine spatial, par exemple. Alors qu’il y a un siècle Einstein publiait ses articles révolutionnaires sur la relativité, un savant français était capable de comprendre ce tournant fondamental de la physique. Et d’autres savants, Becquerel, les Curie notamment... en assimilaient rapidement les conséquences à la suite de la découverte de la radioactivité naturelle, et plaçaient la France dans les premiers rangs de la recherche mondiale dans le domaine du nucléaire. Si l’on remarque qu’avec le projet de constitution, le système ultralibéral prend une tournure très dogmatique, il est certainement important de noter que l’essor des sciences et de la connaissance s’est réalisé dans des universités à l’écart des dogmes religieux. Ceci est une vraie spécificité européenne. C’est cet héritage glorieux de sciences et de culture, vital pour la survie de notre pays dans un contexte mondial de concurrence exacerbée, qu’il nous appartient de conserver et de développer.
Structure de la Recherche en France
A la différence de l’Allemagne où les moyennes entreprises contribuent à l’effort de recherche, dans notre pays les actions de recherche sont assurées par le secteur public et des grandes entreprises. En 2002 on notait que seulement 126 entreprise 5% assurent plus de 66% des efforts de recherche privés, mais recevaient également 87% de l’aide publique. Les grands secteurs sont l’automobile, la pharmacie, la construction aéronautique et spatiale, la fabrication d’équipement radio TV communication et composants qui est devenue la seconde branche de recherche... L’Etat à travers ses universités et ses organismes publics EPST, EPIC tels le CNRS, le CNES, le CEA, l’INRA, l’INRIA, l’INSERM...., contribue à 45% de l’effort total de recherche, pour environ 35 milliards d’€, ce qui représente à peu près 2,3 % du PIB. La situation n’est certes pas idéale puisque l’on estime à 3% du PIB un bon effort de recherche dans un pays. Ce qu’il faut noter cependant c’est l’efficacité de la recherche nationale. Celle-ci a amené la France dans les premiers rang mondiaux dans d’importants secteurs : le Nucléaire, le Spatial, les Transports, la Microélectronique.... la Biologie.
Le tissu fragile de la Recherche
En matière de Recherche l’argent n’est pas toujours le garant d’une réussite. Ainsi le CEA a pu dépensé un total de 1,7 milliards d’€ sur la séparation isotopique laser sans déboucher. Il faut prendre en compte et préserver les potentiels humains, les savoirs faire dans les techniques modernes, respecter le tissu de relations, de partenariats, de sous-traitances et d’incitations à la recherche et mettre le scientifique au cœur des projets. Un exemple notable d’incitation est fourni par le rôle de l’EDF qui a été à l’origine du développement de l’électronucléaire et a contribué, au financement d’études sur les concepts, sur la sûreté et l’environnement, notamment au CEA. Recherches qui se sont concrétisées, grâce aux capacités du CEA, en installant la France au premier plan mondial dans le domaine du nucléaire. Il est évident que sa privatisation va laisser un grand vide à ce niveau, se traduisant entre autres par des arrêts de programmes de recherche. Il est également à craindre que la mise, brutale, de la Recherche au service d’intérêts privés ayant des objectifs de rentabilité immédiate, la précarisation généralisée et la concurrence au niveau des chercheurs, va bouleverser le fragile équilibre actuel.
Le manque de moyens
Une situation budgétaire de financement à hauteur de 2 ,2% depuis plusieurs années se traduit par un manque de moyens, souvent criant dans certains secteurs. Ce problème de moyens dans la Recherche, mais aussi le type de choix effectué dans ce domaine au niveau national, peut être symbolisé par le problème de financement très insuffisant de l’ANRS - agence pour la recherche sur le Sida-, dotée 8 millions d’€ contre près de 100 fois plus aux USA, alors même qu’un projet de vaccin thérapeutique prometteur a été conçu par des chercheurs français.
Désengagement de l’Etat
Ce qui caractérise la situation générale actuelle de la Recherche en France c’est le désengagement de l’Etat. Ceci à deux niveaux. Il y a d’abord la volonté de faire participer lourdement les régions aux financements des programmes de recherche. Comme la région PACA pour le projet ITER, par exemple. Et il y a aussi le volonté de transférer les responsabilités de grands programmes de recherche au niveau européen : le programme de biologie Neurospin et le programme Prions à Fontenay aux roses, le programme génie logiciel Numatec à Saclay, le projet des sciences de la communication basé sur les nanotechnologies minatec, par exemple. Mais également au niveau mondial comme les études concernant les réacteurs nucléaires de 4ème génération qui se font carrément sous l’égide américaine. Ce qui prouve que la construction « européenne » actuelle se confond souvent avec la mondialisation pure et simple.
La Recherche communautaire actuelle
L’Europe actuelle dispose de quelques moyens et programmes en matière de Recherche. L’Euratom a été créé au tout premier moment des traités européens. Cet organisme possède quelques centres d’études en Italie, Belgique et Pays Bas, mais s’est surtout manifesté dans sa participation à quelques programmes de recherches d’envergure comme celui sur les « neutrons rapides » en France et sur les appareils de Fusion contrôlée de type Tokomak, JET, TORE SUPRA. Dans le domaine des sciences de la matière il y a l’Institut Laue Langevin à Grenoble, et le CERN pour la physique des particules, le synchrotron de Grenoble et l’ESRF. Le principal programme de recherche européen concerne le spatial, avec le projet de radionavigation type GPS dénommé GALILEO. Ce programme est cité dans la constitution avec la volonté de marquer la présence européenne dans la conquête de l’espace. La constitution comporte également une allusion à des Lois cadre pour des programmes pluriannuels de recherche et permet la création de moyens propres de recherche s’il y a lieu. Mais l’« espace européen » de recherche n’existe pas actuellement et semble se mettre difficilement en place. Tout laisse à penser que les programmes européens utiliseront les moyens existants et c’est dans cette optique que le gouvernement présente au CEA son actuelle mutation en centre d’études spécialisés, Biologie à Fontenay aux Roses par exemple, qui se traduit par un certain démembrement de l’organisme. Un cas typique d’engagement européen velléitaire et prématuré a été la volonté, en 2000, du ministre socialiste Claude Allègre, dans le domaine des faisceaux Synchrotron, de refuser dans un premier temps un investissement national et d’inviter les chercheurs français, biologistes et physiciens, à aller faire leurs expériences en Europe, en Angleterre notamment. La protestation générale et unanime des chercheurs a conduit le gouvernement à reculer et à lancer le Synchrotron Soleil dans la région parisienne. Donc, dans la situation actuelle et pour un moment encore, le cadre européen de recherche ne peut absolument pas se substituer aux efforts nationaux. C’est d’ailleurs un domaine où la constitution européenne laisse une grande liberté aux Etats de l’union. Evidemment cette « liberté » est largement grevée par la nature ultralibérale de l’économie. Avec notamment la précarisation généralisée du statut de chercheur et la mobilité des chercheurs gérée par la directive Bolkenstein chapitre/article III-249 d).
La constitution européenne et la Recherche
Le projet de Constitution européenne propose une définition restrictive et aliénante de la Recherche vue uniquement, à l’instar de l’éducation, comme un moyen d’accroître la compétitivité des entreprises Chapitre III Section 9 Article III-248. Cette notion s’oppose évidemment à celle d’une recherche qui se fixerait pour buts l’accroissement des connaissances et l’élévation des individus par le savoir et la culture et, aussi, que le bénéfice des découvertes scientifiques participe à l’amélioration de la condition humaine. Une vision humaniste de la Recherche dans la tradition de la civilisation européenne. Pour prendre un seul exemple, si l’on situe les recherches en Astrophysique dans cette lignée et alors qu’il est connu que 70% de l’énergie totale de l’univers est encore de nature inconnue, ce qui offre une grande perspective d’études et de découvertes, on constate une volonté de l’Etat de réduire les crédits consacrés à ces études fondamentales et même de remettre en cause les laboratoires, au CEA notamment.
La recherche militaire
En France le pourcentage des crédits de recherche affecté au secteur militaire est d’environ 23%, ce qui parait raisonnable vis-à-vis des 53% aux USA. Il faut remarquer que l’on est très loin d’une défense commune en Europe et que beaucoup de pays européen sont très liés aux USA par l’intermédiaire de l’Otan notamment Article I-41. La constitution européenne se propose de faire évoluer cette situation très lentement, avec pour condition l’unanimité du conseil européen. Projet de constitution Articles I-12 et I-16 et I-41. Il ne faut pas non plus oublier que ce secteur de la recherche génère toujours d‘importantes retombées civiles. Il en est ainsi de l’électronucléaire en France que l’EDF a d’abord bâtie sur les réacteurs plutonigènes. On peut citer également l’Internet, les téléphones cellulaires, la fibre optique...
Avenir de la Recherche en France dans le cadre d’une Europe ultralibérale
Ces dernières années la nature et les conditions de la Recherche en France ont été profondément modifiées sous l’action conjointe de la politique gouvernementale, de type libérale, et d’une construction européenne ultralibérale. Concrètement cela revient à asservir la Recherche aux besoins immédiats des entreprises dans le cadre de la conquête des marchés, conception que la constitution européenne intègre dans son texte. Ainsi l’argument gouvernemental pour développer la pile la combustible est qu’en 2010 va s’ouvrir un marché de plusieurs milliards d’€ pour cette source d’énergie. Mais dans le même temps s’exprime l’incapacité fondamentale d’un tel système à lancer des projets sur le moyen et long terme. En effet le combustible pour la pile à combustible est l’hydrogène qu’il faudra produire industriellement. Pour cela il est nécessaire de mettre au point un réacteur nucléaire « hautes températures » par exemple. Ce qui nécessite des études qui peuvent s’étendre sur plusieurs dizaines d’années. Force est de constater que ce projet est quasiment inexistant au niveau national, et que la France s’engage dans un groupement mondial, sous l’égide des USA, qui se propose d’étudier les réacteurs nucléaires de IV ème génération. Ainsi émerge une des données fondamentales de la situation et des conditions actuelles de la Recherche en France qui est le désengagement de l’Etat. Le premier élément de ce désengagement ce sont bien sûr les restrictions budgétaires importantes, surtout en 2003, 2004 et la stagnation, depuis plusieurs années, du pourcentage des budgets de recherche par rapport au PIB au niveau de 2,2/2,3%. Cela se combine avec la volonté de faire participer lourdement les régions aux financements, 800 millions d’€ pour la région PACA pour le projet de prototype européen Tokomak de fusion contrôlée ITER, par exemple. Le deuxième élément, non moins pénalisant, c’est l’absence de planification de projets de recherche à moyen et long terme, au niveau national. Cela créé un véritable vide puisqu’il n’y a pas au niveau européen de structure permanente susceptible de lancer ce type de programme de recherche, hors spatial. Il faut bien noter qu’il y a là la manifestation d’une certaine irresponsabilité de nos gouvernants. Enfin, la privatisation d’entreprise affectée au service public comme l’EDF, se révèlera certainement comme un point très néfaste pour l’avenir. Cela enlèvera non seulement des moyens à la Recherche, mais pèsera aussi comme un manque dans la définition de programmes de recherche d’intérêt national.
Pour conclure, le gouvernement passant outre aux conclusions des divers colloques, conventions et débats sur la Recherche, prépare une loi, LOPRI - loi d’orientation et de programmation pour la Recherche et l’innovation-, qui reprend la définition restrictive d’une recherche asservie à la compétitivité des entreprises.
Ainsi, la conclusion générale qui s’impose clairement c’est que, sous l’action gouvernementale et l’intégration européenne, la Recherche en France est en cours de dénaturation et de désorganisation, sans information et à fortiori sans consultation des citoyens. Elle est réorientée dans une voie restrictive et aliénante selon les termes très limitatifs de la constitution européenne, qui place la Recherche au service exclusif de la compétitivité des entreprises. La consultation sur la constitution européenne est donc l’occasion pour les chercheurs eux-mêmes et pour tous ceux qui veulent un autre type de Recherche, dans la tradition humaniste européenne notamment, de stopper cette dérive irresponsable en votant NON.
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