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C’ETAIT LA TROISIEME REPUBLIQUE

jeudi 2 mai 2013
par  Roland Maire
popularité : 91%

Internet véhicule actuellement un document d’anthologie, « Le règlement intérieur de la Vinaigrerie Dessaux de 1880 », lequel n’impressionne pas ma génération du Front Populaire. En effet dans ces entreprises moyennes pour leur époque, le règlement intérieur était celui de leur XIXème siècle qui a perduré jusqu’à la Libération, c’est-à-dire que le XXème siècle a réellement commencé chez nous en 1945, avec donc presque 50 ans de retard. Il comportait 14 articles traitant aussi bien des horaires de travail, des prières, de l’habillement, du charbon à fournir durant la saison froide, des appels de la nature (sic) que des interdictions, des travaux de nettoyage, avec en point d’orgue son article XIII fixant les salaires hebdomadaires : cadets, jusqu’à 11 ans : 0,50 F, juniors, jusqu’à 14 ans : 1,45 F, jeunes : 3,25 F, employés : 7,50 F, seniors, après 15 ans de maison : 14,50 F. Tout le monde bien entendu l’a oublié ! Nos historiens d’alors et nos économistes d’aujourd’hui n’ont guère analysé toute cette époque qui allait de la guerre de 70 à la fin de celle de 40, en passant par celle de 14. Notre économie n’avait pratiquement pas évolué dans ses mentalités et ses comportements, pour la raison bien simple que notre empire colonial accaparait en priorité tous les soins, les efforts et les moyens de notre 3ème République.

Prenons l’exemple de la paysannerie française entre les deux guerres. Il a fallu que l’armée américaine du Général Pershing y participât pour que leurs soldats se rendissent compte sur le front de la situation de notre ruralité à l’époque, dont les méthodes s’apparentaient encore à celles du XIXème siècle. C’est ainsi qu’à leur retour aux U.S.A., les fils ou petits-fils combattants des deux magnats de l’industrie agricole John Deeree et Mac Cormick suggérèrent à leur père ou grand-père respectif de mettre gratuitement à la disposition du gouvernement français leurs stocks de matériel en cours de remplacement par leurs nouveaux modèles alors en chaînes de fabrication. Ce qui fut fait, gratuitement d’ailleurs, sorte de Plan Marshall d’avant la lettre. Les Domaines français s’en saisirent, mais le firent payer à nos paysans qui s’en équipèrent notamment dans nos régions libérées, c’est-à-dire celles qui avaient subi de plein fouet les combats de la guerre de 14. Notre Loterie nationale proposait d’ailleurs une tranche qui porta cette appellation pendant de nombreuses années, la tranche des Régions Libérées. Cet épisode rural, s’il fut une parenthèse qui boosta notre agriculture de l’entre-deux guerres, ne changea pourtant pas d’un iota la politique d’atermoiements de notre 3ème République. Elle perdura par exemple avec notre Ligne Maginot, derrière laquelle nos états-majors purent concocter paisiblement leurs manœuvres défensives. Leurs homologues américains, sans doute moins prompts que leurs industriels anciens combattants, nous laissèrent faire, alors que l’axe Hitler-Mussolini réarmait à tout-va, et que l’Italie s’entraînait en Ethiopie puis plus tard les deux compères de conserve en Espagne.

Le règlement intérieur de la Vinaigrerie Dessaux est-il en passe d’être oublié ? Que non, gardons- le à notre esprit. Le grand-père paternel avait été un vétéran de la guerre du Tonkin, celle des Pavillons Noirs, au cours d’une embuscade hors des marécages de laquelle il avait eu la vie sauve parce qu’il savait nager, exploit rare pour un troufion en 1885. Le front de 1914 était tout proche de la maison, construite en 1740, date burinée sur la poutre maîtresse de la chambre à four où le pain se faisait lever puis cuire. Un détachement de Uhlans avait été refoulé du cimetière de Laneuvelotte, village lorrain à 2kms du nôtre. La bataille du Grand Couronné était en passe d’être victorieuse pour notre général de Curières de Castelnau. L’armée du Kronprinz allait rester bloquée devant Nancy jusqu’à l’Armistice, lui qui pouvait contempler la ville depuis les hauteurs du plateau d’Amance. La bataille de la Marne était sur le point de s’engager. Notre Chambre des députés s’apprêtait à désigner celui de nos deux généraux en lice pour prendre le commandement de nos troupes, Joffre ou de Castelnau, le vainqueur du Grand-Couronné. Les débats furent houleux, les échanges virils, les propos vifs, les mises en garde patriotiques à la hauteur de l’enjeu vital pour Paris inquiet. Puis les invectives modèle 1914 descendirent au niveau de la ceinture, l’empoignade devint générale, un député à bout d’argument en vint à rappeler les hauts faits de de Castelnau en Lorraine, concluant sa péroraison par ce mâle argument : « il a des couilles au cul ». Clémenceau saisit alors la balle au bond : « Oui ! Mais ça n’est pas toujours les siennes ! ». C’est ainsi que Joffre entra dans notre légende du vainqueur de la Marne…

Puis il y eut Verdun, le chemin des Dames, le plateau de Craonne. Le grand-père paternel était décédé, remplacé par un beau grand-père, lequel eut le triste privilège de ne pouvoir s’opposer au massacre de son neveu, assis sur ses genoux, le ventre ouvert d’un coup bavarois de baïonnette. Cette guerre fut féroce pour les soldats, féroce aussi pour les civils. Epouvantable bilan : une génération de conscrits fut tuée au combat. Une seconde génération de blessés disparut dès les années suivantes. Nos monuments aux Morts en témoignent, du moins les originaux. Car pourquoi vouloir amalgamer nos morts d’antan et leurs patronymes martyrs avec des victimes récentes, et substituer à leur granit un ciment moderne honorant anonymement « nos enfants victorieux », tel le triste exemple d’une de nos villes méridionales : son église seule veille sur le marbre commémoratif de leur sacrifice nominatif, celui du Souvenir Français.

La Vinaigrerie Dessaux, toujours elle, avait essaimé sur nos provinces, la main d’œuvre féminine y prenant sa place et sa part. La grand’mère maternelle y fit carrière à Saint-Max en banlieue de Nancy, y toucha ses sous pour faire vivre ses trois enfants, son quatrième étant mort en bas-âge. Ses sous restèrent en vigueur jusqu’à la veille de la guerre de 1939, les mêmes sous en bronze frappés sous Napoléon III avec on non un trou en leur milieu. 50 centimes faisaient 10 sous, la pièce d’1 franc comptait 20 sous et celle de 5 francs faisait 100 sous. Veuve encore jeune, elle et sa génération ne bénéficièrent jamais d’aucune sécurité ou soutien social, de quelconques Allocations Familiales, même pas d’une modeste retraite. De rien. Rien. Seules lui restèrent pour sa vieillesse sa fille aînée et la porte ouverte de la soupe populaire des Sœurs de la rue Mably à Nancy. Ainsi que le confiait l’autre été un pensionné de l’arsenal de Toulon sous le séquoia géant de la famille Canson (celle du papier) à Belgentier dans la vallée du Gapeau : la misère était telle qu’elle poussait les hommes à se pendre, et les femmes à se jeter dans les puits ! Le Var et l’Est étaient ainsi logés à la même enseigne. En 1939 telle aïeule née en 1859 nous racontait la guerre de 1870 comme si nous y étions, mieux que ne l’a connue Rimbaud à Charleville.

Dès 1940 sous l’occupation allemande les adolescents de nos campagnes apportèrent gratuitement leurs bras à nos fermiers moyennant leur nourriture, sous couvert ou non du Service Civique Rural de Vichy. En 1945, tel agriculteur payait encore son jeune berger qu’il nourrissait certes, mais qui dormait au milieu de ses moutons dans la Maison du berger chère à Vigny, une fois l’an la veille de Noël ! A telle enseigne que le fils ayant honte de son salaire, déléguait son père pour lui éviter l’humiliation d’aller le recevoir. Nos sous d’avant-guerre n’avaient plus cours. Nos enfants n’allaient plus pouvoir jouer avec les enfants riches que leurs parents pourvoyaient aujourd’hui d’argent de poche, ce qui ne se faisait pas auparavant. Le Débarquement avait eu lieu, le XIXème siècle venait enfin de mourir sur nos plages. Les commandos de l’armée Patton que nous avions hébergés chez nous pendant un bon mois, le temps d’investir Metz retranchée qui retardait leur avance, étaient équipés d’argent français prêt à se substituer au nôtre, comme d’ailleurs leur administration à la nôtre… Le Général de Gaulle se hâtait de blanchir par sa loi d’amnistie l’appareil d’Etat de Vichy ayant collaboré avec l’ennemi. Maurice Masset commandait le peloton d’exécution des collabos au fort de Montrouge. La 4ème République prenait douloureusement la place de notre défunte 3ème République. Certes nous étions aussi républicains qu’au temps du Front Populaire. Mais nous nous rendions compte de la fracture opérée par cette guerre totale qui nous avait broyés, affamés, humiliés. Nous ne pourrions jamais oublier cette époque où l’Humanité se vendait chaque dimanche à la sortie de nos églises, accompagnée de sa psalmodie : « Achetez, lisez l’Humanité, l’organe central du parti communiste français, qui vous donnera le pain, la paix et la liberté ». Où s’en sont allées toutes nos grand’mères maternelles et leurs sous gagnés chez Dessaux ou ailleurs ?! Y a-t-il une place au paradis pour elles, pour leur République qui fut aussi la nôtre, pour la nôtre enfin, celle d’aujourd’hui dont se réclament nos républicains les plus gras d’argent public ?


Commentaires

Logo de Antonio
vendredi 17 mai 2013 à 10h32 - par  Antonio

"C’était le bon vieux temps", on entend dire ici et là. On aimerait bien savoir où se trouvaient ceux qui parlent comme ça dans ces temps-là. Ils ne devaient pas être si mal que ça pour parler de la sorte, autrement ils ne tiendraient pas ce discours.

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