LA FRANCE N’EST PAS EN CRISE

vendredi 16 août 2013
par  Gérard Bélorgey
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Nous ne sommes pas en crise, mais sous handicaps structurels. C’est bien à tort que l’on parle de "crise" ce qui donne à penser que c’est provisoire et conduit donc à cette sous estimation chronique - en particulier par le pouvoir - de la gravité de la situation, alors que depuis des années ce ne sont pas des phénomènes conjoncturels (ayant toutefois joué un rôle de déclencheur dans la dépression de 2008/2009) qui expliquent nos difficultés et notre sous emploi dément. Notre situation , à la différence d’une situation de "crise", n’est pas momentanée, mais résulte de données permanentes pénalisantes (dont certaines portent d’ailleurs tout l’Occident à la dépression et à la décadence) qui sont notamment, pour ce qui nous concerne, une ouverture commerciale que son excès rend suicidaire, une monnaie surévaluée, la rémanence de positions contrastées d’une part de rentes de certains secteurs de l’économie (distribution, services financiers, négoce, offre immobilière), d’autre part de précarité de beaucoup d’autres (productions agricoles soumises aux variations des marchés, et industrielles délocalisables).

Ces fondamentaux économiques ont une traduction sociale qui frappe particulièrement un pays comme le nôtre dans lequel le "trend" démographique soutenu exigerait des services publics qui ne soient pas mis au pain sec et des couvertures sociales mieux assurées de leur avenir ; mais le désemploi, d’une part, réduit les recettes fiscales et sociales et , d’autre part, tout particulièrement, rend peu opérant le choix qui serait le seul logique d’un allongement de la durée de cotisations pour équilibrer les régimes de retraites : en effet dès lors qu’il n ‘y a pas de travail, les cotisations pour retraite en viennent à être payées par le régime chômage, ce qui ne réduit pas la dépense mais en transfère seulement l’imputation. De surcroît une part des syndicats de salariés ne représentant pas les retraités (qui ont eux intérêt à voir augmenter les durées de cotisations plutôt que voir baisser le pouvoir d’achat des prestations) , mais des actifs- dont beaucoup souhaitent échapper dès un âge pas trop avancé au stress du travail - se trompent de combat en se battant contre l’allongement des durées d’activité plutôt que pour une couverture maladie ( et dépendance) correcte de tous ; et ils se trompent lourdement tant il est vrai qu’il vaut mieux des retraités bien soignés que des retraités plus jeunes mais mal couverts contre les aléas de l’âge.

Parce que le diagnostic est faux – il n’y a pas une crise européenne, mais de mauvais fondamentaux européens et des handicaps structurels et spécifiquement français – il n’y a pas de solution européenne. D’ailleurs l’histoire des trente dernières années atteste que l’Union a su créer plus de problèmes qu’elle n’a jamais su apporter de solution à l’emploi dont la dégradation avance au pas de ses « progrès ». Comment d’ailleurs pourrait-il y a avoir autre chose que des déceptions lorsqu’au sein de l’Europe les situations de chacun sont différentes, les conceptions divergentes et les intérêts des uns et des autres, et particulièrement celles et ceux de la France et de l’Allemagne, souvent opposés puisque la seconde est le pays qui bénéficie particulièrement du libre-échange, en interne en s’approvisionnant à bas coût dans les pays de l’Est européen, en externe en vendant aux acheteurs des pays tiers émergents et le tout en valorisant au mieux ses profits commerciaux grâce à cet euro mark surévalué qui pénalise pas mal d’autres pays. Une démographie faible, une absence de responsabilité militaire internationale dispense aussi l’Allemagne de dépenses significatives et lui permet un marché du logement bien plus accessible qu’en France, ce qui aide les moins favorisés à supporter une politique de mauvaises rémunérations et de déflation salariale.

Ce n’est pas une bien aléatoire victoire du SPD qui pourrait sensiblement changer ces données de fond faisant que les équations allemande et française n‘ont guère de facteurs communs. Le seul aspect nouveau attendu d’une "réponse européenne" pourrait être du laxisme en matière de liquidités associé à des programmes de dépenses dont on voit mal d’ailleurs d’où viendraient les financements, c’est à dire, en fait, à une part de politique de l’offre ne pouvant rien donner (qu’aux pays structurellement exportateurs) en économie ouverte aux importations. Bien différemment, ce dont chaque pays a besoin c’est une stratégie certes explicitée à ses voisins, mais qui lui soit propre et dont les gouvernements respectifs pourraient porter paternité et responsabilité devant ces corps électoraux nationaux qui sont les seuls enceintes légitimes dans lesquelles est conféré le pouvoir et dans lesquelles peut s’exercer la sanction démocratique.

Ainsi dire que l’on est en crise européenne et que la solution est donc européenne nous semble un pseudo syllogisme à tous titres erroné. Parler de "crise" empêche d’être lucide sur la gravité de la situation structurelle, empêche de mesurer que les facteurs de dépression et d’inégalités sont durables et profonds ; afficher que la crise et ses solutions seraient européennes méconnaît qu’il n’y a pas une situation homogène en Europe et que les intérêts des uns et des autres n’y sont pas les mêmes. Ce choix du champ européen, d’une part est idéologique, d’autre part est, de longue date, coutumier de la part des dirigeants de toute majorité de gouvernement . C’est en fait un registre d’explications et de préconisations qui occulte causes et besoins de la situation, mais qui veut rassembler, en France et en Europe. C’est donc une poursuite de la magie politique cherchant à se dispenser de poser les vraies questions (qui sont évidemment plus conflictuelles) :

Est-il encore longtemps concevable que l’Allemagne ne retrouve pas sa propre monnaie forte sans embarquer les autres Européens dans sa stratégie, alors que, pour tous, le moins difficile pour passer d’une monnaie unique à une monnaie commune serait que ce soit l’Allemagne qui sorte du système actuel de l’euro et, dès lors, comment l’y inciter ?

Est-il encore longtemps concevable que l’Union ne convertisse pas dans un sens beaucoup plus protecteur ses relations commerciales avec les pays tiers et notamment avec les pays à bas coûts de revient et à monnaie sous évaluée ?

Et, si ce n’est pas l’Europe qui le fait ? par quels mécanismes nationaux peut-on obtenir une part de protection et de facultés d’avancées commerciales pour préserver et développer l’emploi de la part menacée de nos industries subsistantes et de nos services sur la brèche ?

Il faut sortir de l’idéologie européenne pour autant qu’elle est devenue un alibi stratégique.

Le blog de Gérard Belorgey : http://www.ecritures-et-societe.com


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