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SUR LA « CRISE » DE L’ECOLE

jeudi 10 octobre 2013
par  Jean-Luc Gonneau
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La constante remise en cause du fonctionnement du système éducatif français repose le plus souvent sur un reproche d’inefficacité. Dans ce cadre, le corps enseignant sert souvent de bouc émissaire. Il serait « coupé des réalités », organisé en groupe de pression inexpugnable et foncièrement « conservateur ». A droite, on entend encore qu’il s’agit d’un corps « politisé » (traduire : qui ne vote pas majoritairement à droite). Arrêtons cette litanie, qui pourrait être longue. Les enseignants, pris dans leur ensemble, ne sont pas plus, ni moins, exempts de reproches que d’autres corps de métier. Et la question centrale de la « crise » du système éducatif n’est sans doute pas là.

La fonction éducative

A quoi sert l’éducation, à quoi sert l’école ? La réponse à cette question révèle des clivages, dont la plupart sont déjà anciens, mais qui perdurent, et dans certains cas se renforcent. La tradition de l’enseignement « laïque et obligatoire » fournit une réponse à peu près claire. L’école est le lieu ou se forment des citoyens, c’est à dire des hommes et des femmes ayant acquis la capacité de juger et d’agir par eux-mêmes. C’est, en ce sens, une école émancipatrice, qui a pour ambition, le temps de l’enseignement, de transcender les classes sociales (« l’école est la même pour tous »), donc de donner les mêmes chances à chacun, de privilégier la raison par rapport aux croyances, ce qui allumera la « guerre scolaire », qui dure encore, par soubresauts, entre l’enseignement public et l’enseignement privé confessionnel (abusivement auto-qualifié de « libre »).

Acquérir la capacité de juger et d’agir par soi-même : la formule induit élégamment les objectifs concrets de l’institution scolaire. Il s’agit d’acquérir des savoirs et d’apprendre à les critiquer (jugement) et à s’en servir (agir). Cette conception, étonnamment, ne fait pas l’unanimité. Si personne ne critique le principe d’acquisition de méthodes et de savoirs, le contenu de ces savoirs a fait, et fait encore, l’objet de vifs débats : disciplines « inutiles » (éducation civique, philosophie, sociologie, latin et grec, histoire des religions etc...), ou inadaptées (certains enseignements à finalités professionnelles...). Il en est de même des méthodes d’acquisition (théorie des ensembles, méthode globale d’apprentissage de la lecture...), et du volume des savoirs à acquérir (confère les débats portant sur l’« allègement » des programmes).

Depuis longtemps, le patronat critique, parfois avec virulence, toujours avec ténacité, l’inadaptation de l’enseignement aux besoins des entreprises et tente de s’immiscer dans le système d’enseignement public, tout en développant le sien propre. Sa position, sur le fond, c’est que l’école n’a pas pour fonction principale de former un bon citoyen, mais de former un bon « professionnel ». Tout comme l’école confessionnelle a pour fonction de former un bon chrétien (ou autre). Certes, un bon professionnel, ou un bon chrétien peut aussi être un bon citoyen, mais ce n’est pas du même ordre.

Pour nous, il n’y a pas photo : nous restons attachés à la fonction de production citoyenne de l’école. Et nous ne rentrerons pas ici dans les querelles pédagogico-pédagogiques, sauf si elles recouvraient plus ou moins pernicieusement des dérives susceptibles de remettre en cause l’objectif citoyen du système : c’est probablement le cas des attaques passées des enseignements philosophiques ou de sciences humaines, soupçonnés de trop former à la critique, et on a pu voir, dans les réformes « allégeantes » que prisait tant Claude Allègre, une menace sur le volume de connaissances nécessaires pour la formation citoyenne, d’une part, et un danger d’apartheid social scolaire en faisant une part accrue aux enseignements « prenant en compte les réalités locales » : aux uns Camus et Stendhal, aux autres les BD ( et Marx pour personne : plus à la mode ! ).

Si crise il y a, et crise il y a, elle est pour nous moins à rechercher dans les finalités du système scolaire proprement dit que dans l’architecture des différentes composantes de l’éducation. On peut certes améliorer le fonctionnement du système scolaire en place (où, par exemple, les systèmes de sélection élitaires sociaux n’ont jamais disparu), mais sa fonction essentielle n’est pas en cause. Il n’empêche que la mutation formidable du dernier demi-siècle a été l’irruption de masse des élèves dans l’enseignement secondaire (et, à un degré moindre, supérieur), et que les structures en place ont été mal préparées à ce changement majeur. On peut en accuser les enseignants, on ferait mieux de critiquer les politiques.

Les mutations éducationnelles

Le système scolaire n’a jamais été le seul lieu de l’éducation. Le milieu familial et le milieu social sont d’autres vecteurs importants, qui transmettent des flux culturels puissants. Dire que la structure familiale a changé est d’une banale évidence. On peut s’en désoler, ou s’en féliciter : le système ancien avait ses avantages (solidarités, repères...) et ses inconvénients (haines, bornes...), le nouveau aussi (indépendances, souplesses, mais ruptures, isolements). Mais, de toute façon, on ne reviendra probablement pas en arrière. L’environnement social a lui aussi changé. On est passé d’un système rural, plus fortement solidaire et contraignant, à un système urbain, plus anonyme et permissif. Dont acte. Le « savoir social », et certains types de savoirs familiaux, se sont donc modifiés, et probablement dilués.

Mais d’autres sources de connaissances, puissantes, sont apparues : les médias audiovisuels. Les systèmes d’informations médiatiques, y inclus leurs capacités manipulatrices et « désinformantes », ne sont pas nouveaux. Mais le système éducatif, dans son volet scolaire, avait largement assimilé la civilisation de l’écrit. Nul n’est certes parfait, mais il entrait clairement dans la fonction éducative de savoir maîtriser, et par conséquent critiquer, l’écrit. Les rapports alarmants sur l’évolution du taux d’illettrisme ne manquent pas, et interpellent l’institution scolaire, qui devrait, sur ce point, être plus efficace. Il demeure que le taux d’alphabétisation est, tout de même, très élevé.

L’irruption du son (radio, disque) et de l’image (cinéma, télévision, internet) a radicalement changé la donne. Aujourd’hui, ni la structure scolaire, ni la structure familiale, et moins encore la structure sociale, ne sont en mesure, à quelques bribes près, de produire une éducation correspondant à une sorte de civilisation de l’image, ou encore, comme on commence à dire, non sans abus, naïf ou pas, une civilisation de l’information. Nous sommes, globalement, des analphabètes de l’image. Ajoutons aussi que le secteur de la communication audiovisuelle constitue un considérable enjeu financier, sans commune mesure avec celui de l’écrit, et que le secteur marchand y a une part très dominante : le souci éducatif n’y est donc pas vraiment premier.

Education, réalisme et progrès social

Ce qui ressort des points précédents n’appelle pas de bien grands développements, tant les évidences sautent aux yeux. La qualité de l’éducation est un facteur essentiel pour favoriser le progrès social. L’éducation joue même un rôle moteur : elle est à la fois condition et conséquence du progrès social (Condorcet n’est jamais bien loin, finalement). Un minimum de réalisme serait de prendre en compte les mutations en cours pour façonner le système éducatif. Il existe des moyens pour inciter les parents, même dispersés, à mieux jouer leur rôle : on pourrait les développer, de même que les modes émergents de solidarités urbaines peuvent être encouragés.

Quant au traitement de la civilisation de l’information, outre de nécessaires mesures de réglementations éthiques qui ne soient pas des censures, son insertion dans le système éducatif est en partie un problème technique (former des enseignants, mettre à disposition des matériels pédagogiques) et en partie un problème économique : le « marché » des jeunes est un enjeu primordial pour les médias audiovisuels, qui multiplient les tentatives pour entrer dans l’école, hors de tout souci éducatif, ou bien se dissimulant derrière des jeux ou des kits prétendus « pédagogiques », avec parfois des complicités à l’intérieur de l’institution, y compris aux plus hauts niveaux .

On peut certes se dire, par lassitude ou par cynisme, que les abus manipulatoires des médias éveilleront d’eux mêmes l’esprit analytique et critique des populations. Mais nous pensons que l’institution éducative a un rôle à jouer, et qu’elle ne le joue pas. Et qu’un principe de réalisme bien compris serait de lui en donner les moyens, ce qui ne doit pas être bien difficile. Les empêcheurs de tourner en rond estimeront que ce n’est pas suffisant, que l’un des noeuds du problème est de limiter la concentration médiatique, pour garantir une pluralité d’information, elle même féconde en alimentation citoyenne. Ils n’ont probablement pas tort.

Il demeure que le problème de l’efficacité du système éducatif reste posé. On peut certes mesurer des niveaux d’acquisition de connaissances (les diplômes sont faits pour ça), voire des acquis méthodologiques. Mais peut-on mesurer la « qualité citoyenne » obtenue grâce au système éducatif ? Pas à notre connaissance. Peut-être est-ce tant mieux ...


Commentaires

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mardi 30 mars 2021 à 10h10 - par  destinations-vacances.com

La plupart du temps, on n’écoute pas les enseignants concernant les changements qu’on pense faire évoluer notre système. Pourtant, ce sont elles les personnes les mieux placées pour trouver le meilleur moyen pour ce faire, ne l’oublions pas.

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