ABOLIR LA PROSTITUTION ?

jeudi 10 octobre 2013
par  Marcel Etienne
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Le18 septembre 2013, un magazine télévisé (“28 minutes”) est consacré au rapport préconisant au gouvernement de “pénaliser le client pour parvenir à l’abolition de la prostitution”. Bien que très satisfait que le gouvernement se saisisse de ce sujet brûlant, je reste avec le sentiment que le “débat” n’a pas touché à l’essentiel.

Un débat en forme de prise de bec

Les différents intervenants sont tellement restés ancrés dans leurs convictions (préjugés ?) qu’ils n’ont guère laissé place au débat ! Comme si ce sujet restait si délicat à manipuler que même un semblant d’objectivité était hors de portée… La députée PS Maud Olivier, rapporteuse du rapport, est investie de la vision du gouvernement : il faut faire changer les mentalités des clients en leur faisant comprendre (par des amendes et des stages de sensibilisation) qu’ils n’ont pas tous les droits sur le corps des autres. L’objectif est l’abolition par l’assèchement de la demande.

La commission a certes auditionné plein de gens pour parvenir à cette conclusion (à moins qu’elle n’ait été missionnée en ce sens dès le départ ?), mais le débat de société qui a conduit à ce choix m’a échappé… La “travailleuse du sexe” Morgane Merteuil, représentante d’une association de ses condisciples, est agressive et ne joue pas le jeu du débat (au lieu de s’adresser au public de l’émission, elle se tourne vers sa voisine la députée (qui semble bien mal à l’aise…) pour déverser une avalanche de reproches inaudibles). Si sa position est compréhensible (toute loi punitive repousse la prostitution hors du champ public, fragilisant les praticiennes (1)), on ne sait pas très bien ce qu’elle porte comme revendications. Le journaliste Guillaume Roquette s’en prend agressivement à la députée, lui assénant diverses “vérités” et citations (comme ce client qui revendique la prostitution comme “besoin naturel” !), attaquant sans fard le projet du gouvernement en l’accusant de vouloir “reformater” le psychisme des clients !

Abolition, domination, misère

Une question est abordée à la volée, sans explication : la différence entre abolition et prohibition (madame la députée se défendant de vouloir mettre en place une nouvelle prohibition). Après recherches, je ne perçois toujours pas clairement cette différence. Cette acrobatie sémantique permet pourtant d’éluder un sérieux problème : avant d’être aboli, l’esclavage était une pratique légale, encadrée et taxée par l’état. Or la prostitution reste en France une pratique sans statut (ni un métier, ni un délit), clandestine de fait, un commerce échappant totalement aux contrôles de l’état (mais alimentant le crime organisé). De ce fait, est-il techniquement possible de l’abolir ?

On a aussi parlé de mettre en question la domination masculine. J’applaudis ! J’aurai même aimé qu’on aborde la question de la soumission de façon plus radicale et en l’envisageant dans toute sa complexité de jeu de domination / soumission / dépendance. Quid d’une éducation nationale misant sur le développement du sens critique et de la capacité de collaboration (plutôt que sur l’obéissance et la compétition) ? Quid d’un droit du travail introduisant enfin la démocratie dans l’entreprise (alors qu’aujourd’hui toute situation de subordination vaut juridiquement contrat de travail, et vice-versa) ?

Par contre rien n’a été dit sur la misère sexuelle, qui est tout de même une source indéniable de clientèle (la souffrance engendrant la souffrance…). Que propose ce rapport pour résoudre ce problème de société chronique ? Des études épidémiologiques pour apprécier la situation à sa juste valeur ? Une éducation sexuelle renforcée, continue et sans tabou ? La multiplication des formations de sexologues ? La multiplication de lieux de parole ? La création de lieux de rencontre anonymes sécurisés accessibles à tout âge ? Le mariage à durée déterminée (pour à la fois briser la dépendance économique et nous habituer à nous remettre en question dans nos relations amoureuses) ? Non, rien de tout ça, le problème n’ayant même pas été identifié ! Il est tellement plus gratifiant d’être le chevalier blanc qui va “abolir” la prostitution !

Quel avenir pour le désir ?

Pourtant certains pays ont fait d’autres choix. Le plus intéressant me semble être (comme en Suisse) la création d’un statut permettant aux praticiennes de travailler “en cabinet”. Exit le trottoir, l’exposition dégradante, l’insécurité, les horaires subis. Identifiées par une plaque discrète et une page internet, seules ou à plusieurs (comme des paramédicaux), elles pratiquent en lien avec la police pour plus de sécurité. Sans idéaliser cette initiative, il me semble qu’elle est assez réaliste, à la fois comme solution aux problèmes sanitaires et sociaux liés à la prostitution et comme proposition pour répondre à la diversité du désir sexuel.

Mme Olivier postule que la prostitution est illégitime du seul fait qu’on achète le droit de se servir du corps de l’autre. Mais (sans parler de solutions financières type revenu de base pour “abolir” la pauvreté) ne pourrait-on imaginer une société qui, décidant que la misère sexuelle est tout aussi inacceptable que la traite humaine, organise les métiers du sexe, avec formation, diplômes, travail en équipe, supervision, colloques interprofessionnels et… remboursement par la sécu ?

(1) J’en profite pour mettre au féminin un pluriel constitué en majorité de femmes.


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