TRIBUNE : ENTRE RUPTURES ET RELIGIONS, QUE PROPOSENT LES BONS APOTRES ?

REFUSER LES RADICALISATIONS ET LES PAROLES DE SERPENT
dimanche 8 décembre 2013
par  Gérard Bélorgey
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Que ce soit par des observateurs, journalistes, politologues, etc.) ou par des exploiteurs de circonstances (intellectuels pipolisés surfant sur leurs vieux mythes, petits et très grands médias prospérant sur l’insatisfaction et, pire, sur la boue, sinon le fumier des opinions autrefois regardées comme fascistes et racistes ayant désormais partout, des feuilles obscènes au déclarations officielles , pignons sur rue), c’est de toute part que s’expriment des gerbes de constats partagés et d’intoxications très perversement diffusées, les unes et les autres se développant et se répétant dans le champ de la société et dans celui de l’économie. Au premier titre, le culte de l’allergie envers les "autres" - immigrés, porteurs d’autres croyances, catégories dangereuses - fait rentrer dans la banalité autant la programmation de la chasse aux profiteurs étrangers que les paroxysmes - apparaissant aujourd’hui tout relatifs - du sarkozysme d’hier et relègue les tenants des droits de l’homme parmi les "gauchistes ringards" comme des porteurs d’une "fausse morale de pacotille".

Voilà un climat très réceptif à la solution radicale, simpliste, déshonorante et, heureusement, impossible, que le FN propose (et demain exigera) pour trouver les moyens d’un redressement français : en supprimant tout ce dont bénéficieraient (car c’est indûment !) les étrangers, les immigrés, en bref, les profiteurs de notre hospitalité ; et comme, par ailleurs, les affirmations de ce mouvement - bien qu’elles répondent au bon sens - qu’il faille sortir de l’euro et du libre échange, ne paraissent étayées par aucune stratégie viable , il faut penser , à notre sens, que, dans l’axe de sa "normalisation", il pourrait désormais aller jusqu’à la coopération dans la gestion des affaires du pays avec une droite fut-elle européiste, dès lors que ces partenaires potentiels se satisferaient d’être d’accord sur la haine de l’immigration, de l’assistanat, du droit d’asile, etc., unis dans la volonté d’une "rupture" envers toute politique d’accueil et en satisfaisant ainsi leurs électorats xénophobes : le point commun d’un protectionnisme populiste partagé par d’autres grands partis européens, un protectionnisme qui, faute de s’exercer de manière intelligente à l’égard des importations de biens et services, serait rudement mis en place à l’encontre des hommes, des femmes et des enfants ne pouvant se prévaloir d’un long partage de l’ “identité nationale".

Dans le champ de la politique économique et sociale, c’est à une seconde autre rupture capitale, avec tout relief de l’État providence, qu’invite la droite libérale autoritaire. Celle-ci soutient d’un côté que pour concurrencer le FN il suffit de faire une politique de droite décomplexée (c’est à dire au plan sociétal celle là même que demandent deux électorats en osmose, de l’UMP et du FN, aussi extrémistes aujourd’hui l’un que l’autre), et, d’un autre côté, qu’il faut tout mettre en ordre conformément aux exigences de compétitivité exprimées par les entreprises, sans que se distinguent les thèmes et propositions de tel ou tel de ses personnages en compétition, sinon par des accumulations et surenchères pour diminuer le coût du travail, déprotéger les chômeurs (pour les obliger, comme en Allemagne, à retravailler à n’importe quel prix), et par des réduction des coûts collectifs sociaux, de services publics et de fonctionnaires. Ces simplismes méconnaissent évidemment que la compression des coûts peut bénéficier autant aux distributions de dividendes qu’à une compétitivité porteuse d’emplois. Mais il est vrai qu’il y a, du fait de la totale dérégulation financière, une compétition internationale qui favorise les groupes internationaux capables de satisfaire au mieux les appétits de leurs actionnaires et donc, que pour draguer des capitaux, la logique du système libre échangiste est qu’il faut maximiser le coût à payer au capital et restreindre celui accordé au travail.

C’est dire, jusqu’à inclure la compréhension mécanique de cet effet pervers, que l’alignement constaté des choix gouvernementaux sur bien des demandes patronales est une carte que le pouvoir est contraint de jouer et sera contraint de jouer aussi longtemps que des tempéraments n’auront pas été apportés au libre échange et à la politique monétaire. Or, la victoire de Merkel vient, comme se complaisent à en jouir les commentateurs orthodoxes libéraux (1) , contraindre de plus en plus la France à l’alignement sur la politique européenne d’austérité et la contraindre de plus en plus en ce sens pour autant que la surévaluation de l’euro - qui bénéficie essentiellement à l’Allemagne ( ce qui explique tout bêtement la victoire de la chancelière ayant satisfait les intérêts dominants, différents des nôtres, de la partie de l’électorat d’outre Rhin qui lui a exprimé sa confiance) n’est pas remise en cause au sein de l’Union.

Néanmoins beaucoup des "économistes atterrés" nous atterrent en ne cessant de préconiser une sortie keynésienne de l’austérité, alors qu’il est évident qu’une politique de la demande (par dépenses publiques et développement de la consommation) ne peut pas, au sein d’une économie mondiale ouverte, créer de croissance dans les pays défavorisés d’un côté par les coûts comparatifs et, d’un autre, par les taux de change. Un tel ciseau est , en effet, meurtrier pour notre emploi, en poussant aux importations (substituées aux produits localement obtenus) de biens terminaux pour la consommation et de composants intermédiaires pour les fabrications , en pénalisant les exportations de biens dont la chaîne de valeurs ajoutées se réalise de manière dominante sur notre territoire (tandis que les réexportations réalisées, comme par exemple pour une part de l’automobile allemande, après une simple phase terminale d’assemblage d’intrants lowcost sont stimulées).

Toute orientation vers un assouplissement de la rigueur budgétaire supposerait donc plusieurs conditions préalables : la faculté de protections commerciales et de réglementations financières, un ajustement de la devise dans le sens d’une bien moindre appréciation internationale, enfin, pour remettre les pendules à l’heure, l’utilisation d’une dose de création monétaire pour traiter une partie de l’endettement excessif auquel on est arrivé. Ce qui devrait donc en synthèse conduire à ce qu’interdit aujourd’hui la préférence pour l’euro mark : une dévaluation renchérissant les imports et dopant les exports, créant il est vrai, en conséquence de la monétarisation d’une part de dette, l’équivalent d’un prélèvement obligatoire diffus par certains impacts inflationnistes à surveiller et à cantonner, mais pouvant être très efficace à la double condition qu’elle reste assortie de rigueur budgétaire tout en permettant, transitoirement par des concours publics, de compenser aux industriels et aux consommateurs les plus exposés l’augmentation des coûts pétroliers qui en résulteront.

Or, on ne voit que fleurir des débats télévisés sur une chaîne ou une autre (dont Arte) où ne sont confrontés que les bons apôtres qui font les mauvais médecins : les apôtres du néo libéralisme et de la monnaie forte , qui nous ont conduit où nous sommes ; les apôtres alternatifs du néo keynésianisme qui ont été responsables d’une part de l’énorme endettement souverain occidental issu des réponses imprudentes apportées à la "crise " 2008/2009 et qui nous entretiennent d’illusion sur des possibilités de sortie de l’austérité qui ne devraient pas sérieusement remettre en cause et l’euro et le libre échange, (et c’est au fond toute la faiblesse d’une position comme celle bien équivoque sur ces points du Front de gauche) ; enfin sur la troisième roue de ce tricycle, pédalent les lobbyistes de la flex-sécurité ; ils soutiennent que faire sauter les rigidités du marché du travail et de l’emploi (c’est à dire certains excès, comme des réglementations sur les temps de travail qui ne parviendront jamais à saisir toute la diversité des besoins, mais aussi de réelles protections pour des salaires minimum, contre les licenciements abusifs et pour les chômeurs) aurait une vertu miraculeuse ; mais ils ne prennent guère en compte que des ajustements de l’offre et de la demande de postes de travail et un meilleur fonctionnement des formations professionnelles, ne peuvent être utiles et bienvenus que s’il y a de l’offre de travail à des conditions correctes et non pas pour en casser le prix et que ces recettes ne suffiront jamais à créer des marchés rentables (et donc des emplois !) si la stratégie économique n’y pourvoit pas mieux. Quant aux hétérodoxes : mais où sont Todd, Gréau, De Bodinat, Sapir, Vesperini, et tant d’autres ainsi que même les fantômes de Chevènement et de Montebourg ?

Pendant que bien des économistes divaguent ainsi - et c’est bien le mot car c’est en vain - trop de politiques s’empiffrent de populisme ; ce type d’orgie dispensant de bien des honnêtetés, ils n’ont effectivement "rien à redouter des affaires". Qu’ils passent au travers ou qu’ils soient accrochés, ces chefs de file qui, parfois, n’ont pas hésité sur les moyens... d’avoir des moyens d’aller au pouvoir peuvent s’en offrir le prix : ce que leur demande leur électorat ce n’est pas la probité, c’est l’efficacité. Ils sont d’autant plus populaires auprès des publics qu’ils draguent par leur allant qu’ils sont injustes, agressifs, voire polissons. Et plus ils sont pervers et bagarreurs, plus leur méchanceté, leur cynisme et leurs travers sont appréciés depuis le milieu populaire bon sens et bon vivant jusqu’à celui des stars éteintes en quête de regain de notoriété, ce qui permet à Madame Michu et à Alain Delon de se donner la main.

Qu’une figure ait plus d’attractivité qu’une réflexion est bien illustré - selon le sondage qui vient de sortir - par le mécompte de F. Fillon face à N. Sarkozy, puisque le premier est bien le préféré de toutes les droites pour un challenge présidentiel, alors que le second recueille manifestement, malgré son espèce d’ouverture au FN, des appréciations imprégnées semble-il d’une part d’estime de la part de divers électorats qui le ressentent manifestement comme un homme politique plus "central". Et, précisément, de ce fait, moins apte à gagner ? La règle du jeu (une élection se gagne au centre) serait-elle en train de changer ou du moins d’être mise en doute au profit des radicalisations ? C’est à l’évidence ce à quoi porte la continuation d’une situation de stagnation (terme que je préfère à celui bien impropre de "crise") dont les effets de déception des électorats de gauche comportent que nombre de leurs membres sont en train de devenir des abstentionnistes et, certains des transfuges, tandis que les sectarismes des opposants se nourrissent des exaspérations qu’ils attisent : moins la situation économique est faste, plus prospèrent les égoïsmes, les stigmatisations, voire des parts de haine à l’égard des migrants .

Ne leur attribue-t-on pas de vouloir coloniser cette Europe qui colonisa naguère leurs propres pays ? Mais s’il est bien vrai que "beaucoup sont venus parce que nous avons été chez eux", même l’Allemagne pour laquelle "une colonie ne valut jamais les os d’un grenadier de Poméranie " est devenue terre d’accueil d’une main d’œuvre dont elle a besoin. Mais non de solidarité : de la même manière qu’au sein de l’UE, l’Europe du Nord fonctionne plutôt au détriment de l’Europe du Sud, la première ne veut pas payer pour la charge des migrants infligée à la seconde. Elle ne voudrait même pas payer ce qu’il faudrait de coûteuses surveillances et de mortels barrages pour les tenir à l’écart ?

Cette situation odieuse et inqualifiable ne débouchant aujourd’hui sur aucune solution concevable est néanmoins comme une toile de fond : la question des migrations de la misère vers les pays riches ne manque pas d’inspirer telle ou telle sensibilité de candidats à des fonctions politiques. Que peut-il ressortir que, sans aucune capacité de visibilité et de conscience, nos concitoyens aient, comme nos voisins l’ont fait, à choisir, en fonction de cette sensibilité, pour tel ou tel ? Notre démocratie est d’autant plus fragile qu’elle est confrontée à des interpellations, comme celles de ces migrations mondiales, vis à vis desquelles personne actuellement ne sait vraiment répondre. Plus que jamais, le danger est aujourd’hui celui des apprentis sorciers.

La seule modeste conclusion à laquelle je peux arriver c’est qu’il faut donc se défier de ceux qui en prennent la posture (que ce soit en Europe, en France ou en Australie où le très libéral conservateur Tony Abbott qui vient d’être porté au pouvoir et, alors qu’il a eu la réputation de veiller sur les populations aborigènes, entend assurer le blocage des migrants qui arrivent de l’Asie par bateau pour demander l’asile). Avant toute politique, le devoir humain est de ne pas voir des agresseurs dans des migrants, victimes de la mondialisation, mais de chercher à contribuer à des réponses à leurs besoins sans croire les serpents - ils ont tous les visages dans la jungle du monde - qui nous expliquent qu’à ce compte on va attirer tous les autres.

(1) cf. in Le Monde du 25/9, François Heisbourg auteur de La Fin du rêve européen, Stock, " La victoire d’Angela Merkel oblige la France à un ajustement structurel fort."

Le blog de Gérard Belorgey : http://www.ecritures-et-societe.com


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