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LETTRE OUVERTE A MES AMI(E)S QUI S’APPRETENT A VOTER OUI

vendredi 13 mai 2005
par  Andr-Jacques Holbecq
popularité : 94%

Cher(e)s ami(e)s

D’abord, sachez bien que quel que soit votre choix notre amitié n’en souffrira pas. Ensuite, je voudrais que vous vous tranquillisiez en commençant à lire cette lettre ; je ne vous insulterai pas, je ne vous submergerai pas en recopiant ici les quelques articles que j’ai écrit ou appréciés et que vous pouvez, si vous le souhaitez, retrouver sur internet (vous trouverez les adresses en fin de cette lettre, au cas où vous les auriez perdues). Je vais en fait essayer de répondre à quelques uns des arguments que j’ai entendu de votre bouche.

Je vous ai entendu dire : " je voterai "oui" parce que je fais confiance à quelques grands noms tels l’Abbé Pierre ou Simone Veil, Chirac ou Johnny mais surtout que je ne veux pas qu’un éventuel "non"de ma part puisse être comptabilisé avec celui des extrêmes "

Ceux qui me connaissent bien savent que "mon non " n’est pas un " non " d’extrêmes, ni un " non " souverainiste, mais celui d’un citoyen qui espérait beaucoup mieux de ce projet de constitution, une vraie constitution et non pas une organisation (constitutionnalisé) ultra libérale du commerce Malheureusement on ne me donne pas le choix de mon " non ", on ne me propose pas de préciser celui qu’il est, pas plus qu’on ne vous donne le choix de préciser les nuances que vous pourriez mettre derrière votre " oui ". C’est seulement oui ou non ! Quelque soit le résultat du référendum on peut espérer que les différents gouvernements européens auront entendu nos inquiétudes.... Mais que pourront-ils faire ?

Je vous ai entendu dire :" bien sûr, cette constitution n’est pas parfaite, mais elle sera améliorée "

A ceci je vous réponds : cette Constitution, si elle est adoptée, est conclue pour une durée illimitée (IV-446) et ne peut être modifiée (même une virgule) que dans des conditions très draconiennes dont la principale est l’unanimité directe ou indirecte [Article IV-443 : en vue d’arrêter d’un commun accord les modifications à apporter au présent traité. / Les modifications entrent en vigueur après avoir été ratifiées par tous les Etats membres...),Article IV- 444 (Pour l’adoption des décisions européennes visées aux paragraphes 1 et 2, le Conseil européen statue à l’unanimité) et Article IV-445 (Le Conseil européen statue à l’unanimité, après consultation du Parlement européen et de la Commission ainsi que de la Banque centrale européenne dans le cas de modifications institutionnelles dans le domaine monétaire. Cette décision européenne n’entre en vigueur qu’après son approbation par (tous) les Etats membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.)] : Pourra t-elle, cette unanimité, être obtenue à 25 alors que certains pays qui auront tous le même "poids" comptent 400 000 habitants face à d’autres de plus de 60 millions et que la moyenne des Produit Nationaux Bruts (2003) est de 22000 euros par habitant pour les 15 "anciens" et seulement de 6000 pour les 10 nouveaux entrants ? (Tous ces articles de la Partie IV, font référence - comme y font référence 17 des articles de la partie I.- aux articles de la Partie III ... vous savez, cette "Partie III" à propos de laquelle on vous a dit "ce n’est pas important, vous pouvez vous passer de la lire ", à tel point qu’elle n’est même pas transcrite dans un petit livre diffusé et offert par le "Bureau pour la France du Parlement européen", titré " Une constitution pour l’Europe " de février 2005, éditions Dalloz ! ) Vous le comprenez donc aisément ; réviser la Constitution européenne relèvera du parcours du combattant ! Même l’initiateur de la Constitution, Valéry Giscard d’Estaing, nous l’a suffisamment répété

Je vous ai aussi entendu dire " seule une Europe plus forte peut s’opposer aux délocalisations et aux pertes d’emplois conséquentes "

Mais pour cela l’Europe n’a t-elle pas besoin de pratiquer une harmonisation fiscale, sociale, législative et réglementaire ?. Cela la constitution s’y oppose. Entre les pays , la règle c’est aussi la concurrence libre et non faussée. D’ailleurs, Danuta Hübner, Commissaire européenne à la Politique régionale, le dit le 8 février 2005 : " Ce que nous devons faire, au contraire, c’est faciliter les délocalisations au sein de l’Europe. Ainsi les sociétés européennes seront globalement plus fortes car elles pourront abaisser leurs coûts. Si nous ne le faisons pas, les délocalisations se dirigeront vers l’Inde ou la Chine. " Dit autrement le chantage à la délocalisation devraient permettre une harmonisation "libérale" des salaires et des revenus en diminuant les nôtres et en augmentant (un peu) les leurs . Car le budget communautaire, sur lequel le parlement n’a d’ailleurs aucun mot à dire, reste ridiculement faible surtout en intégrant d’un coup une poignée de pays « pauvres » et ne pourra suffire à dégager les fonds nécessaires. Six ou dix pays "riches" ont pu, grâce au système des fonds structurels, intégrer un ou deux pays "en retard " avec un certain succès. Avec 10 ou 12 , dont certains ont un PNB par habitant qui est quasiment le 1/10° des nôtres (Lituanie et Lettonie - ou qui seront bientôt intégrés tels la Bulgarie et la Roumanie - ce qui fera près de 100 millions d’habitants) c’est impossible sans changer de méthode (un plan Marshall européen, par exemple). Or il n’en est pas question !....

Il n’y a rien dans la constitution qui permet une Europe plus forte ! L’Article III-314 aggrave également la soumission de l’Europe à l’ultra libéralisme : " Par l’établissement d’une union douanière conformément à l’article III-151, l’Union contribue, dans l’intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres. " Que l’introduction dans le texte des investissements étrangers directs soit considérée par la droite comme un progrès est normal. Qu’il en soit de même pour la gauche est plus surprenant . Que ni les Verts, ni le PS ne s’inquiètent de l’ajout de "et autres" ne l’est pas moins : les normes sociales, environnementale, de santé publique, etc. pourraient-elles être considérées comme des obstacles au "développement harmonieux du commerce mondial " ? Les pères du libéralisme économique, et Adam Smith en particulier, moins dogmatiques et moins doctrinaires que nos technocrates d’aujourd’hui, recommandaient des protections douanières vis-à-vis des pays dont les règles du jeu n’étaient pas les mêmes que les nôtres. La force de l’ultra-libéralisme a été d’être propagé et même imposé par les nations dominantes les plus puissantes pour justifier et moraliser leur suprématie. Ce credo libre-échangiste repose d’ailleurs sur une base scientifique quasiment nulle. Il s’appuie sur :
- une contre-vérité : le règne d’une concurrence pure et parfaite,
- une erreur technique majeure : la monnaie n’est pas un simple voile
- une situation historique périmée : la théorie de Ricardo sur les "avantages comparatifs" supposait la non-circulation du capital entre les pays
- nombre de postulats infirmés par la réalité ("le libre échange permet de créer des emplois ! ").

Je vous ai entendu me dire, "Ce texte rend plus faciles les combats pour une Europe plus sociale" , quand ce n’est pas "Ce texte est le plus progressiste de tous les traités européens jamais conclus" .

Je voudrais que vous lisiez ce projet en faisant attention au fait que presque tous les objectifs et principes sociaux, en particulier dans la Charte des droits fondamentaux, n’ont aucune valeur contraignante, alors que presque tous les articles libéraux (surtout ceux de la partie III) sont contraignants. Pour légiférer sur les questions sociales et fiscales, un double blocage a été prévu, la codécision ne s’applique pas (donc il n’y a pas d’avancée démocratique), et par ailleurs il faut l’unanimité des 25 membres. Je rajoute que les droits sociaux ne sont pas « garantis « . Les droits des marchés et du capital le sont. Vous voulez deux exemple ? Le premier : Article III - 156 : "Dans le cadre de la présente section, les restrictions tant aux mouvements de capitaux qu’aux paiements entre les états membres et entre les états membres et les pays tiers sont interdites ". Les restrictions sont donc anticonstitutionnelles, passibles de sanctions et constituent un dispositif de verrouillage " anti-taxe Tobin "

Le second : Article IV - 440-6. "Le présent traité ne s’applique aux îles anglo-normandes et à l’île de Man que dans la mesure nécessaire pour assurer l’application du régime prévu pour ces îles à l’origine par le traité visé à l’article IV-437, paragraphe 2, point a et qui a été repris au titre II section 3 du protocole relatif au traité, etc " . Avez-vous compris ? Non, c’est normal, un grand nombre d’articles de ce texte ne sont pas faits pour être compris, et celui-là n’est pas le pire. Mais si on creuse en se référent aux articles cités on comprend que les paradis fiscaux que sont Jersey et l’île de Man seront épargnés. C’est, après tout, l’un des droits fondamentaux du capital que d’échapper aux tracasseries fiscales. Une autre partie du même article est plus limpide : "Le présent traité ne s’applique pas aux îles Féroé" . Vous ne connaissez pas forcément ces îles. C’est un archipel sous souveraineté danoise, et c’est un énorme paradis fiscal.

Je vous ai entendu me dire, "Nous allons gagner plus de démocratie, regardez le droit de pétition tel que le propose l’Article I-47 "

Que dit cet article ? " §4. Des citoyens de l’Union, au nombre d’un million au moins, ressortissants d’un nombre significatif d’États membres, peuvent prendre l’initiative d’inviter la Commission, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application de la Constitution. La loi européenne arrête les dispositions relatives aux procédures et conditions requises pour la présentation d’une telle initiative citoyenne, y compris le nombre minimum d’États membres dont les citoyens qui la présentent doivent provenir. " ...

Donc, si 1 000 000 de citoyens européens font la demande d’un acte législatif, la commission Européenne pourra y donner suite, dès lors que cette proposition entre dans le cadre de la constitution. Mais il y a deux verrous : Premier verrou : la commission pourra, elle ne doit pas. Si ça ne lui plaît pas, elle ne fait rien. C’est la commission, et elle seule, qui décide si elle donne suite ou pas ! Deuxième verrou : ça ne pourra se faire que dans le cadre de la constitution, les principes de la constitution. Par exemple, pour la taxe Tobin, la commission dira : "Désolé, il y a un article qui dit qu’on n’a pas le droit d’empêcher la totale liberté de circulation des capitaux, ou bien il faut l’unanimité " Donc votre pétition s’arrête là. Par contre, si vous voulez plus de libéralisme il n’y aura pas de problème ! Si on dit par exemple : "On va abolir la durée maximum de travail" , il n’y aura aucune difficulté, la commission donnera suite.

J’ai entendu de votre part "La Constitution va permettre l’harmonisation des droits sociaux en Europe."

Or les seules mentions de l’harmonisation des systèmes sociaux dans l’ensemble du texte constitutionnel est dans l’Article III - 209 où il est indiqué qu’elle sera favorisée non pas par l’action politique du Conseil ou de la Commission mais par "le fonctionnement du marché intérieur". L’interdiction de l’harmonisation sociale imposée par le traité, empêche de lutter contre la compétition entre les salariés d’Europe et les phénomènes de dumping social qui détruisent des emplois dans les pays en avance sans améliorer les conditions de travail dans les autres.

Et je vous ai aussi entendu me dire "Les pouvoirs du Parlement européen seront augmentés"

Par rapport à ceux d’un Parlement national, ils sont indignes d’une démocratie parlementaire. D’abord, son intervention en codécision avec le Conseil est exclue par tout ce qui concerne le fiscal, le social, la fiscalité environnementales, c’est-à-dire les domaines les plus importants pour une Europe plus sociale. Les Britanniques ont largement gagné ce combat. Ce Parlement européen est le seul au monde à qui une Constitution refuse le droit de "lever l’impôt" : il ne vote pas la partie recettes du budget de l’Union, dont le monopole appartient au Conseil après approbation à l’unanimité des États membres (Article I-54-3). Ceux qui croient à une Europe plus solidaire, augmentant nettement son budget pour accroître son effort de redistribution en direction des pays et régions les moins développées et favoriser une convergence par le haut peuvent toujours attendre ! Le Parlement reste écarté de la politique monétaire dont le monopole appartient à la Banque centrale européenne, hors d’atteinte de tout contrôle démocratique (Article III-188). L’Union européenne deviendrait ainsi le seul pays au monde et dans l’histoire où l’indépendance absolue d’une banque centrale aura été constitutionnalisée. Le Parlement n’est que consulté sur la politique étrangère et de sécurité qui reste du domaine exclusif du Conseil européen unanime (Article III-295 et 300), tout comme la sécurité et la protection sociales (Article III-210-3). Le Parlement est exclu de toute initiative législative, c’est-à-dire ne peut prendre l’initiative d’une loi, dont la Commission a le monopole (Article I-26-2), ce qui confère à celle-ci un pouvoir redoutable. Il peut seulement faire des propositions à la Commission qui est libre d’y donner suite ou non (Article III- 332), et doit motiver son refus. Le Parlement n’est donc guère mieux traité qu’un million de pétitionnaires... Le Parlement peut censurer et donc démettre la Commission, mais seulement à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés (Article III-340), ce qui signifie que la Commission peut gouverner tout en n’ayant le soutien que d’un tiers des députés élus.

Puisque vous connaissez mon goût pour l’économie, je me permet de vous faire remarquer trois choses : 1- Les gouvernements de la zone euro (les 15, sans les anglais, les suédois et les danois, pas fous ceux-là), et donc en définitive chacun des citoyens de nos pays, doivent payer un intérêt à un système bancaire privé pour l’usage de leur propre monnaie, qu’ils pourraient émettre eux-même, sans intérêt. C’est, hélas déjà le cas depuis le Traité de Maastricht .. mais est ce qu’une erreur doit être, pour autant, constitutionnalisée ? Article III-181 " Il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées « banques centrales nationales », d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres [...] " La masse monétaire qui nous permet de produire et de consommer a donc maintenant pour seule contrepartie les emprunts émis auprès des banques privées par les entreprises et les ménages, emprunts chargés d’intérêts conséquents... Thomas Edison écrivait déjà : " Il est absurde de dire que notre pays peut émettre des millions en obligations, et pas des millions en monnaie. Les deux sont des promesses de payer, mais l’un engraisse les usuriers, et l’autre aiderait le peuple. Si l’argent émis par le gouvernement n’était pas bon, alors, les obligations ne seraient pas bonnes non plus. C’est une situation terrible lorsque le gouvernement, pour augmenter la richesse nationale, doit s’endetter et se soumettre à payer des intérêts ruineux. " Mais pire, la BCE ne peut même pas prêter à l’Union Européenne elle-même : le budget européen doit être équilibré en recettes et en dépenses (Article I-53 §2), ce qui exclut tout emprunt européen.

2 : Vous trouvez, dans le projet de Constitution, la mention " Economie sociale de marché hautement compétitive". Ah, direz-vous, une économie de marché qui en plus est sociale, c’est bien cela qu’il nous fallait ! Hélas, je suis obligé de vous contredire...

Ce texte est l’écriture d’une véritable ligne politique. Il ne fait que reprendre, en les systématisant, les principes qui régissent la construction européenne depuis le milieu des années 1980. (une grande partie de ce qui suit est extraite d’un article de Serge le Queau) L’article I-1 est révélateur : il définit explicitement les missions de l’Union européenne. "un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée". et "œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive (...)". Concurrence libre, stabilité des prix, économie sociale de marché : ces trois thèmes sont devenus tellement courants dans les discours politiques des gouvernements européens qu’on risque d’oublier qu’ils viennent tout droit d’une école de pensée structurée autour de principes économiques qui sont devenus les dogmes pour l’action politique européenne. Cette école de pensée, c’est, justement, l’ "économie sociale de marché " (en allemand Soziale Marktwirtschaft) qui est un "faux ami". L’"économie sociale de marché" ne renvoie pas du tout à un mixte entre économie sociale et économie de marché. Il s’agit d’un courant de pensée né dans l’Allemagne fédérale d’après-guerre et rassemblant des économistes conservateurs autour de la revue Ordo (d’où l’autre nom de ce courant, l’"ordolibéralisme"). Ses fondateurs ont très largement influencé la politique économique des chanceliers allemands. Leurs théories ont été reprises et radicalisées par les traités européens qui se sont succédés depuis une vingtaine d’années. Ces idées constituent l’armature intellectuelle des décideurs de l’Europe d’aujourd’hui. Dans le personnel politique ou chez les hauts fonctionnaires de tous les pays européens, on retrouve des tenants intransigeants de ces dogmes, pas toujours perçus en tant que tels. L’économie sociale de marché est fondée sur deux piliers théoriques que l’on retrouve dans le projet de constitution :
- Le premier pilier est la politique monétaire qui doit être soustraite aux mains du pouvoir politique, donc des citoyens, pour être assumée par des experts indépendants, condition nécessaire pour éviter une souplesse monétaire, considérée comme "laxiste", qui aboutit à des risques inflationnistes.
- Le deuxième pilier est la politique de la concurrence qui devient le cœur de toute la politique économique. Les ordolibéraux estiment que les autorités doivent intervenir le moins possible dans la vie économique.

La politique d’unification du marché intérieur inspirée par l’économie sociale de marché s’appuie donc sur des postulats très clairs ; il n’est pas étonnant que la direction empruntée aille systématiquement vers le démantèlement de tous les services publics la position dominante sur le marché est insupportable aux tenants de la concurrence pure et parfaite. On peut comprendre aussi que la fameuse "directive services" de Frits Bolkestein n’était en aucune façon une erreur, sauf une erreur de timing risquant de faire capoter l’issue positive des référendums nationaux de ratification. L’ouverture à la libre concurrence intracommunautaire des services est cohérente avec la logique ordolibérale de la commission : c’est l’objectif profond. Le droit du travail, les systèmes de salaires socialisés, toutes ces conquêtes du salariat sont vues comme des obstacles à la constitution d’un marché unifié et dynamique des services. Ce secteur étant aujourd’hui considéré par les grandes entreprises et par la Commission européenne comme potentiellement riche de profits futurs, le dumping social est à l’ordre du jour. La France devra-t-elle se mettre au niveau des législations sociales lituaniennes ou chypriotes ? Rien dans le texte du traité ne laisse penser le contraire,

Comme le disait si bien l’ancien commissaire Bolkestein : "Si les libéraux considèrent la liberté comme une évidence, ils ne se prononcent pas quant à la manière dont chacun doit utiliser cette liberté. (...) La liberté, a dit un jour l’ancien président des États-Unis Ronald Reagan, c’est aussi la liberté d’être idiot. Ou, pourrions-nous ajouter, la liberté de se replier sur soi-même, de manquer d’ambition ou même, d’être malheureux". En plus de construire les conditions objectives d’une précarisation et d’une paupérisation d’une grande partie du salariat par ses dispositifs et ses politiques publiques, l’Europe ordolibérale développe et diffuse une théorie justifiant philosophiquement le développement de la pauvreté et de l’exclusion, dans laquelle les victimes du système ont fait le choix d’être minables, tant pis pour eux, c’est cela la liberté..."

3 : Je veux attirer votre attention concernant l’offensive contre les services publics. Car il ne faut pas confondre "services publics" à la française, qui n’existent simplement pas dans ce projet de constitution et les "Services d’Intérêt Economique Généraux" (les "SIEG")

Les SIEG ne sont jamais définis dans la constitution. Les textes antérieurs de la commission (note de 2000, livre vert de 2003 et livre blanc de 2004) prouvent que la notion n’est pas identique à ce que nous appelons services publics. Il s’agit de services de nature économique auxquels les Etats imposent des missions de service public (transports, poste, énergie, communication...). Les Etats ne peuvent créer un SIEG que si le marché ne peut fournir le service et qu’à condition que le SIEG respecte les règles de la concurrence (c’est-à-dire : se comporte comme une entreprise privée).

Par exemple, l’article III-122 précise que la mise en place des SIEG doit se faire "sans préjudice des articles I-5, III-166, 167, et 238 ... " .L’existence des SIEG est donc subordonnée au respect de tous ces articles qui sont simplement la base de l’offensive européenne contre les services publics existants. Une politique alternative aux libéralisations se heurterait aux stipulations de ces articles cités
- Article I - 5 : " les états membres s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union " , c’est à dire " le marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée ".
- Article III -166 : "les entreprises publiques et les SIEG sont soumises aux règles de la concurrence".
- Article III -167 : "les aides de l’état « sous quelque forme que ce soit" leur sont interdites (car elles " faussent la concurrence ").
- L’article III-238 (chapitre des transports), mentionne des "aides" publiques conçues comme des "remboursements" de "certaines servitudes inhérentes à la notion de service public". Les missions de service public peuvent être assumées par des entreprises privées ou privatisées, avec un cahier des charges assorti de "remboursement " (seule exception à l’interdiction des aides). Enfin l’article III - 209 manifeste la croyance que l’harmonisation sociale viendra autant " du fonctionnement du marché intérieur " que du rapprochement des dispositions législatives et réglementaires ! Or on sait qu’en l’absence des secondes, le modèle concurrentiel ne produit qu’un alignement par le bas des niveaux de salaire, des droits et protection. La concurrence pousse au moins-disant social, elle est le prétexte de toutes les régressions programmées

Enfin, la primauté du marché est appliquée jusqu’à l’absurde ! Article III-131 spécifie qu’en en cas de guerre, de menace de guerre, ou de troubles politiques graves, un Etat ne doit pas prendre de mesures affectant le marché intérieur !

Ma conclusion, cher(e)s ami(e)s, je l’emprunterais en partie à Jean Gadrey, Professeur émérite d’économie à l’Université Lille I, qui écrit " [...] ce texte est pratiquement illisible et incompréhensible et je suppose, en étant optimiste, que moins de 10 % des gens iront voter en l’ayant vraiment lu, en dépit des efforts de certains militants, dont ceux d’Attac, qui disent " vous devriez lire ce texte, c’est instructif ". Dans une réunion publique récente, j’ai eu confirmation que des députés avouaient ne pas avoir lu ce texte et ne pas avoir l’intention de le lire.. Et d’ailleurs, en ce qui me concerne, après y avoir passé des jours, j’hésite à dire aux gens " lisez ", parce que ce texte est un puits sans fond. [...] Aucune Constitution au monde n’est aussi abominable, elles font toutes entre une dizaine de pages et 20 ou 30 pages. [...] Pourquoi nos conventionnels, puis le Conseil européen, aidés par des bataillons d’experts, ont-ils abouti à ce pavé indigeste et que presque personne ne lira ? Principalement, à mon avis, parce qu’ils ont absolument voulu " constitutionnaliser " l’énorme partie III sur les politiques de l’Union, ce qu’aucune Constitution au monde ne prévoit, sauf les défuntes Constitutions de l’Union soviétique et de ses " démocraties populaires " ... Cette partie n’aurait jamais dû figurer dans une Constitution. C’est un texte d’orientation politique et économique qui vise à figer des règles libérales, avec un niveau de détail invraisemblable et qu’on ne trouve dans aucune Constitution au monde. C’est ainsi qu’on y apprend que l’article III-226 sur le commerce des produits agricoles concerne entre autres le café, les épices, à l’exclusion du maté ! (pas facile à trouver, c’est dans : "B. - annexes au traité établissant une constitution pour l’Europe - annexe 1 - liste prévue à l’article III-226 de la constitution") Des précisions de ce type il y en a des tas, or elles relèvent de politiques conjoncturelles, voire de décrets d’application, pas d’une Constitution, qui doit être un cadre général permettant des orientations politiques alternatives... même en ce qui concerne le maté !. L’insoutenable complexité de ce texte est étroitement liée au fait qu’il vise à définir en même temps un cadre de prise de décisions publiques (objet d’une Constitution) et un type particulier de politique : le libéralisme économique et financier. C’est à mes yeux un considérable défaut démocratique. En résumé, ce texte est quasiment illisible parce qu’il s’agit, pour le camp libéral dominant, de faire avaliser rétrospectivement, en une seule fois, en leur donnant un statut constitutionnel le plus irréversible possible, toutes les politiques libérales en vigueur, telles que reprises dans la partie III, tout en évitant soigneusement d’en parler, ou en expliquant, comme le fait VGE, que cette partie n’a aucun intérêt pour se déterminer. "

Si le OUI l’emporte, les dogmes économiques de l’ordolibéralisme deviendront des principes à valeur constitutionnelle . Refusons de nous laisser enfermer , dans ce piège dont il sera quasiment impossible de sortir sauf à faire exploser vraiment l’Union Européenne, ce que je ne souhaite évidemment pas ! Si le NON l’emporte le 29 mai, la France ne sera pas isolée en Europe, au contraire. Des dizaines de millions d’Européens estimeront que nous les aidons à renégocier ce texte libéral sur lequel ils n’ont pas été consultés, et nous pourrons enfin infléchir l’orientation ultra libérale et capitaliste qu’à pris l’Europe depuis plus de 20 ans en renégociant l’ensemble des Traités dont certains, comme celui de Nice, sont considérés comme calamiteux par ceux là même qui les ont signés.

Et enfin, DEMAIN je défendrai le OUI pour une bonne Constitution :
- une bonne Constitution pour réunir, à la base, les pays de la zone euro et n’y accepter que ceux qui en font partie.
- une bonne Constitution pour permettre aux autres Etats d’Europe qui le souhaitent de rejoindre l’Union, sous réserve d’une consultation référendaire européenne simultanée concernant chaque nouvelle demande d’adhésion.
- une bonne Constitution pour, sous contrôle des doubles majorités parlementaires et nationales, parler d’une seule voix majoritaire sur la scène internationale (ONU, OMC, FMI, BM, etc).
- une bonne Constitution pour laisser au Parlement élu la possibilité de présenter et de voter les lois dans tous les domaines.
- une bonne Constitution pour offrir aux citoyens la possibilité d’organiser de véritables référendum d’initiative populaire à chaque niveau de subsidiarité
- une bonne Constitution pour soumettre la Banque Centrale aux décisions conjointes prises à la majorité du Parlement et des Etats
- une bonne Constitution pour supprimer entre les pays membres toute forme de compétition, en imposant à tous les mêmes normes de mieux disant social et une fiscalité uniformisée
- une bonne Constitution ouverte à tous les Etats européens qui s’engagent à promouvoir en commun et à respecter :

a- les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de non-discrimination, de l’Etat de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs seront communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.

b - Les objectifs de paix, de liberté, de sécurité, de développement dans la recherche permanente de l’économie d’utilisation des biens communs et de l’énergie, de progrès social, de suppression de la pauvreté, de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement, de justice, et de bien-être de ses peuples.

Amicalement et sociétalement

André-Jacques Holbecq est l’auteur de " Un regard citoyen sur l’économie", éditions Yves Michel.

Ce document, dont l’adresse est http://www.societal.org/docs/lettre... et en "pdf" sur http://www.societal.org/docs/lettre... peut évidemment être librement diffusé et copié ....

VOIR AUSSI :
- Vous avez reçu dans le matériel de vote : "L’ exposé des motifs", très partial à mon sens... rétablissez donc l’équilibre en lisant le comparatif "L’exposé des manipulations" : http://www.societal.org/docs/manipu...
- http://tiki.societal.org/ sur lequel la page "NonAuReferendum " http://tiki.societal.org/tiki-index... présente plusieurs articles et plusieurs liens externes.
- Voir particulièrement : le "Non de Chouard" http://www.societal.org/docs/NON-Ch... et " Dix bonnes raisons, chacune suffisante, de voter NON au référendum sur la constitution européenne. Car si elle était approuvée... ." http://www.societal.org/docs/VoterN...
- "Reconnaitre n’est pas garantir", d’Alain Vidal http://www.societal.org/docs/reconn...
- Le site d’Etienne Chouard http://etienne.chouard.free.fr/Europe/ qui répertorie de nombreux sites d’explication : http://etienne.chouard.free.fr/Euro...
- Les argumentaires du site d’Attac http://www.france.attac.org/r623 et particulièrement l’article de Le Queau :" Economie sociale de marché : un faux ami " http://www.france.attac.org/a4578
- "Pour moi c’est non" : le site de Jean Luc Mélanchon : http://www.pourmoicestnon.com/
- Le Monde - Edition du 09.06.04 - "5 critères pour l’Europe sociale" , par Stéphane Hessel, Pierre Larrouturou et Michel Rocard (tiens, Monsieur Rocard a abandonné ses convictions ?) : http://www.europesociale.com/pdf/le...
- "Mais quel est donc ce ciel qui va nous tomber sur la tête si nous rejetons ce projet ?" (Club des moutons noirs) : http://www.societal.org/docs/ciel_s...


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