FRONT DE GAUCHE : ENCORE UN (GROS) EFFORT

jeudi 12 juin 2014
par  Jean-Luc Gonneau
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Nous avons, dans un édito précédent, brossé un rapide historique et une synoptique analyse des faiblesses structurelles et communicationnelles (vilain mot) du Front de Gauche. Depuis, maints médecins bienveillants (nous n’y incluons évidemment pas de docteur Duhamel, qui depuis l’origine a toujours diagnostiqué un coma dépassé) se sont penchés sur le cas Front de gauche et sa stagnation électorale. Ils n’ont pas écrit que des bêtises, se sont parfois étendus sur une comparaison, qui n’est pas forcément raison, avec l’essor électoral du Front National, et ont par exemple pointé la captation par les « marinistes » de concepts constitutifs de l’identité de la gauche en général, et du Front de Gauche en particulier : laïcité, interventionnisme public, politique sociale, refus de l’atlantisme aveugle. Que le Front de gauche doive se réapproprier ces thèmes est certes un impératif. Reste à savoir comment. Montrer par exemple que la laïcité ne conduit pas à la stigmatisation (dans le cas mariniste des musulmans, donc implicitement des maghrébins, donc implicitement des basanés de tous poils) mais à la tolérance (tolérance, hein, pas laxisme mollasson). Que l’interventionnisme public dans l’économie ne doit pas être confondu avec le repli sur soi, mais bien sur un soutien à la recherche et à l’innovation. Bruno Amiable, cette fois bien inspiré, a montré récemment que ce sont presque toujours des crédits publics qui ont permis les grandes innovations productrices d’activités (aéronautique, internet, biotechnologies…), le privé prenant le relais, profitable ô combien, une fois les gros investissements fondamentaux réalisés par l’argent public (celui des contribuables pour qui l’aurait oublié). Et de gausser le crédit d’impôt-recherche, distribué à tous vents, dont il apparaît qu’il ne va que marginalement à le recherche. Et gaussons le pacte de compétitivité, qui fait des cadeaux à tout va, y compris, et peut-être surtout, à des entreprises dont la compétitivité n’est pas le problème majeur. L’interventionnisme public ne doit pas seulement se référer aux historiques nationalisations, même si elles peuvent avoir du bon, mais surtout se fonder sur une vision de l’avenir à moyen et long terme et sur les attentes citoyennes relevant de l’intérêt général. S’il est clair que la vision à moyen et long terme est le cadet des soucis de ceux que Mélenchon nomme « solfériniens », celle du Front de Gauche, esquissée lors de l’élection présidentielle, mérite aujourd’hui d’être mise à jour, précisée, développée.

Nous avons signalé au passage les « attentes citoyennes relevant de l’intérêt général ». Bon, reconnaissons que cela fait un peu gribouille, présenté comme ça. Explicitons. Notre imparfaite république reconnait à ses citoyens un certain nombre de droits : droit au travail, droit à un logement décent (et accessible), droit à l’éducation, aux soins, à un revenu minimum… Ces droits correspondent à des attentes, ils ont été conquis souvent à l’issue de rudes luttes citoyennes, ils participent de l’intérêt général. Certains connaissent une application généralisée, pas toujours parfaite, toujours menacée, notamment depuis quelques années : santé publique, éducation nationale. D’autres sont demeurés largement virtuels (droit au travail, cela ferait sourire les millions de chômeurs s’ils avaient le cœur à sourire ; droit au logement, cela ferait se gondoler les millions de mal ou pas logés piétinant sur les listes d’attente, s’ils avaient le désespoir suffisant pour se gondoler). Dans tous ces domaines, l’intervention publique doit jouer un rôle majeur, relayer l’intervention citoyenne. A qui fera-t-on croire qu’un Etat capable, dit-il, de balancer 50 milliards de crédits aux entreprises sans contreparties sérieuses est incapable d’intervenir, sauf à la marge (loi Duflot, par exemple, concernant le logement) ? Sur ces sujets, estimons-nous, le Front de Gauche devrait reprendre le fil de la campagne présidentielle et remettre sur le tapis, en se fondant sur de larges débats citoyens, plus créatifs que les arrangements entre appareils et (plus ou moins) experts, des propositions concrètes.

Un projet de société ? En quelque sorte, mais nous partageons la méfiance de Franck Lepage (allez le voir, là où il donne ses « conférences gesticulées », c’est un bon moment à passer, et allez regarder sur youtube, si ce n’est déjà fait, sa désopilante leçons sur le maniement de la langue de bois) sur la notion de projet, enrobée de toute la gangue technocratique. Plutôt un chemin, ou une vision (quoique avoir des visions peut induire un soupçon que ça fume un peu sous le crâne).

Autre point sur lequel nous souhaiterions que le Front de Gauche réfléchisse plus conséquemment, et surtout plus collectivement. Nous l’avons écrit précédemment, l’un des moteurs du succès de la gauche de gauche lors de la campagne référendaire de 2005 (presque dix ans déjà) fut la capacité de réunir dans de multiples réunions, comités locaux, des citoyens « non encartés » et des militants d’organisations politiques, syndicales ou associatives diverses. Cette dynamique persista, avec relativement peu de désistements, lorsqu’il s’agit de préparer une plate forme pour une candidature à l’élection présidentielle de 2007. Elle se brisa lorsque les manœuvres d’appareils firent échouer une candidature unitaire. Depuis, les différentes élections où le Front de gauche a présenté des candidats (notamment présidentielle en 2012, législatives, régionales, municipales, européennes, les candidatures, hors peut-être les communes petites ou moyennes, ont été négociées par les appareils. Notre longue pratique des désignations électorales pourrait laisser penser qu’il s’agit d’un processus inévitable, auquel le fameux TINA (there is no alternative) de madame Thatcher pourrait s’appliquer. Ne désespérons pas. Reconnaissons aussi que l’intervention sage d’un appareil peut permettre d’assurer dans ces délicates phases de désignations de candidats la préservation d certains équilibres.

Laissons toutefois ces considérations trop électorales pour poser la question : quel est le rôle des citoyens dans le Front de Gauche ? Celui des militants des diverses organisations qui le constituent, on le voit bien : plus ou moins associés à la réflexion, préposés aux activités militantes classiques de collage, tractages etc, plus ou moins consultés sur la représentation de leur organisation au sein du Front de Gauche aux instances dirigeantes de celles-ci ou aux listes électorales. On objectera que des commissions transversales, plus ou moins ouvertes d’ailleurs (ce qui veut dire moins que plus) ont été créées, ce qui ne veut pas dire qu’elles soient d’une ardeur au travail éblouissante. Plusieurs des organisations du Front de Gauche (notamment Ensemble qui, comme son nom l’indique un peu, est déjà un rassemblement d’organisations qui gardent chacune leur identité, comme quoi rien n’est simple) ont proposé un système d’adhésion directe au Front de Gauche. Réaction pas vraiment défavorable mais un peu molle du genou du Parti de Gauche, sourcils assez froncés du PCF. On verra bien. Cela irait, comme il se dit, dans le bon sens pour rendre plus clairs les contours de la bête. Est-ce suffisant ? Ne faut-il pas y associer les sympathisants ? N’oublions pas que les plus grands partis de France, partis virtuels, sont ceux des anciens membres de partis qu’ils ont quitté. Pas toujours fâchés, pas toujours en profond désaccord, mais souvent par découragement dû au fonctionnement des appareils. Bref, continuons la réflexion à ce sujet, mais, s’il vous plait, pas trop longtemps avant de décider d’initiatives.


Commentaires

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dimanche 15 juin 2014 à 22h30 - par  Xuan

Encore un très gros effort pour entrer résolument et définitivement dans l’opposition, vague terrain occupé par le FN chaque fois que le PS remplace l’UMP. Mais peut-être est-ce encore trop demander.

C’est pourtant une perspective qui inquiète beaucoup le PS : Valls prétend que la gauche « n’a jamais été aussi faible dans l’histoire de la Ve République ». Evidemment Valls se sent lâché et on le serait à moins. Il espère qu’on va lui tendre la main, mais non, il faut lui enfoncer la tête sous l’eau jusqu’à ce qu’on ne voie plus les bulles. La politique c’est comme ça.
La gauche restera faible tant qu’elle s’accrochera à ses basques en dansant le tango du soutien critique, parfaitement incompréhensible pour le prolo de base, qui sait lui parfaitement à quoi s’en tenir et qui s’abstient en attendant des jours meilleurs.

Evidemment ce n’est pas un choix facile quand on a rêvé pendant 40 ans d’une Union de la Gauche qui sente la rose et le réséda et d’un passage en douceur au socialisme. Au point de raconter qu’on va pousser le PS à gauche, le ramener dans la famille de la gauche...tu parles d’une famille !
Eh bien ça ne marche pas.
On le savait, que Mitterrand avait arboré la francisque, qu’il avait fait guillotiner Yveton, que les socialos avaient massacré dans les colonies et tiré sur les grévistes, mais on s’est obstiné et on se cogne dans le mur.
C’est bien fait.
Il ne faut pas oublier les leçons de l’histoire, ni les bons livres.
Pour ceux qui aiment les vieux grimoires : l’Etat et la révolution.

Site web : gue

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