LE GRAND COMMERCE AUX CHAMPS
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L’économie est en panne, au grand dam des fanas de la Croissance providentielle qui ne cessent d’annoncer son retour prochain. En attendant le miracle l’argent manque, nous dit-on, pour financer ce qui devrait demeurer l’essentiel : la construction de logements sociaux ou le financement de projets économiques plus doux à l’environnement et moins gourmands en énergie. Il est au moins un domaine qui rompt avec ce constat de l’investissement défaillant : la « Grande distrib’ ». Partout en France des centres commerciaux toujours plus vastes continuent de sortir de terre, d’une terre. Souvent agricole. Ils poussent cependant dans des environnements commerciaux déjà saturés. Nombre de ces temples voués à la consommation de masse connaissent une fréquentation en dessous des prédictions des gourous du secteur, fréquentation même dérisoire dans certains endroits. Le champion toute catégorie en la matière est depuis quelques années le groupe Auchan passé maître en fructueux montages financiers par temps de vaches maigres. Découvrons les arcanes de ce paradoxe.
A l’heure où l’ambiance artificielle et vulgaire des « grandes surfaces » horripile de plus en plus de consommateurs, où l’on mesure pleinement les conséquences sociales de la désertification commerciale des centres villes, où le tout automobile est remis en cause, où l’intérêt général commande - pour l’avenir alimentaire de la population - de préserver les terres agricoles – notamment à proximité des grandes agglomérations – l’on est autorisé à se demander si le gigantisme des complexes mercantiles péri-urbains n’est pas d’ores-et-déjà un vestige du passé. Né dans les Trente Glorieuses il a traversé sans trop souffrir les quarante piteuses qui suivirent en dissimulant sous de nombreuses pratiques douteuses sa nature profonde. On parle de complexes. Pourtant, ils n’en ont guère ces monstres du « grand commerce » ! Grâce à l’essor débridé des « marges arrières » – magistralement dénoncé en 2000 par Christian Jacquiau (1) – ils ont pu faire payer aux fournisseurs de leurs « centrales d’achat » une part non négligeable du coût de leur développement. Grâce à une classe politique facilement asservie à la cause du grand commerce ils ont réussi à s’implanter partout contre le petit commerce de proximité existant. Par temps de chômage de masse l’argument de l’emploi brandi sous le nez des élus locaux a fonctionné à merveille bien que lorsque la Grande distribution crée un emploi elle contribue à en détruire quatre ou cinq dans le reste de l’économie. Nous passerons ici sous un silence pudique les contreparties moins avouables à l’obtention des permis d’implantation. Sachons cependant que l’esprit de la démocratie en est passablement écorné.
Désormais, les chiffres d’affaires se tassent pour un nombre croissant de super ou d’hypermarchés, quand ils ne reculent pas. Si la dégradation du pouvoir d’achat des ménages au cours des dernières années joue un rôle dans les moindres performances économiques des groupes de la Grande distribution elle est loin de l’expliquer totalement. La concurrence acharnée que se livrent les grandes enseignes, les choix hasardeux d’implantation des lieux de vente , le retour – certes encore ténu – du commerce de proximité, le développement des « circuits courts alimentaires », voilà autant de raisons non reconnues officiellement par les dirigeants de ces groupes mais qui n’en sont pas moins à prendre sérieusement comme signe de la fuite en avant du secteur face à la désaffection du consommateur. Le Millénaire – oui, la gonflette va jusqu’aux appellations d’origine mal contrôlées – d’Aubervilliers est un fiasco en regard de ce qui en était attendu, du moins sur les luxueuses plaquettes abondamment distribuées lors de son inauguration à la fin de l’année 2011. Aéroville, inauguré en novembre dernier sur le territoire de l’aéroport Roissy- CDG, connaît une minable fréquentation. Il s’agissait avec 86 000 m² (soit 9 ha sans les parkings !) de transformer les très nombreux salariés de la plateforme de Roissy en autant de chalands potentiels. Hélas ! « le chaland qui passe » ne fait que passer. Il continue de faire ses emplettes là où il vit. Et en fin de semaine le bide persiste : la population alentour boude également ce complexe flambant neuf, elle aussi a le toupet de garder ses anciennes habitudes d’achat. Cette incroyable erreur d’appréciation est l’œuvre d’Auchan soi-même. Auchan qui ambitionne d’implanter, à trois kilomètres de son Aéroville cloué au sol, « le plus grand centre commercial d’Europe ». Cet Europa City nous est promis pour 2020, dans le « triangle de Gonesse », avec hôtels de grande capacité, enseignes du luxe européen, salles de spectacles, piste de ski d’intérieur. Le tout sur les terres agricoles les plus fertile d’Ile-de-France avec l’ardent soutien du député-maire PS de Gonesse. Il s’agit cette fois d’ambitionner la captation de la clientèle potentielle que représentent les millions de touristes passant par Roissy chaque année. Et si eux aussi ne faisaient que passer pour préférer « le grand Paris » tout de même autrement plus jouissif ?
Comme tout cela est peu convaincant ! D’autant que les milliers – voire les dizaines de milliers – d’emplois promis ne sont jamais créés ou ne profitent que rarement à la population environnante contrairement à ce que des élus faussement naïfs lui promettaient. Que ce cache-t-il donc derrière ces inaugurations tonitruantes précédées par de massives campagnes de publi-reportages ? De juteuses opérations foncières et immobilières. Ce n’est pas le fonctionnement des centres commerciaux qui intéresse le plus Auchan. Au-delà de l’aspect strictement commercial de ces complexes la spéculation foncière et la promotion immobilière garantissent des profits bien plus colossaux. Immochan, filiale immobilière du groupe Auchan, achète depuis des années de grandes superficies de terre agricole. On le sait la terre agricole ne se vend pas très chère. Mais quand elle s’urbanise… Ainsi, Auchan a racheté près de Rouen une ancienne ferme, la ferme des Bouillons. Inquiets, des citoyens ont décidé de squatter l’endroit et ont recréé la ferme dont l’activité grandit depuis trois ans. Leur Collectif a co-organisé avec le Collectif Pour le Triangle de Gonesse le 17 mai dernier une marche entre Roubaix (siège du groupe Auchan) et Néchin en Belgique où une partie du « clan Mulliez » a élu domicile pour des raisons fiscales que, malgré de sérieux efforts de compréhension envers l’une des familles les plus riches de … France , l’on a quand même du mal à accepter par temps d’austérité sévère.
Cette marche avait pour slogan « des champs, pas d’Auchan ». Ces réveils citoyens auront des lendemains chantants – et champêtres ! –afin de reconstruire la Cité sur les champs de ruines que seront devenus les temples trompeurs du consommationnisme d’aujourd’hui. Aux champs !
(1) Les coulisses de la grande distribution (Albin Michel ed.)
Le blog de Yann Fiévet : www .yanninfo.fr
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