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TRIBUNE : EUROPE. D’UNE CRISE UTILE ET DU PROJET DE TRAITE TRANSATLANTIQUE (TAFTA)

mercredi 19 novembre 2014
par  Rémi Aufrère
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Ancien premier ministre d’un petit pays européen connu pour ses services financiers ouverts à (presque) toutes finances, le luxembourgeois Jean-Claude Junker, politicien depuis sa prime période estudiantine, continue de nous surprendre. L’homme n’était assurément pas le premier des favoris de l’Allemagne, ni de la Grande-Bretagne et de la France. Reconnaissons d’abord sa capacité à pratiquer le billard à 5 bandes. Puis à surprendre pour la proposition dans la composition de la Commission avec une stratégie de communication puissante et intelligente.

Ainsi, la presse européenne a repris l’idée d’une commission « la plus politique » de l’histoire européenne. Il est vrai que l’exemplaire premier ministre finlandais Jiyrki Katainen (43 ans) décidant de démissionner de son poste national (pour celui de Vice-président de la Commission) montre le formidable décalage entre certains pays nordiques (et de l’est européen) et d’autres pays occidentaux qui considèrent encore Bruxelles comme un job de compensation fut-t-il tenu par un ou une individu intellectuellement brillant(e). Complète ce tableau d’une « Commission politique » plusieurs ministres actuels ou anciens ministres (Danemark, Pays-Bas, France, Italie, Lettonie, Slovénie, Grèce, Pologne, Espagne, Malte, Irlande, Lituanie, Hongrie, Autriche).

Cet effet « politique » a été fortement compensé par la répartition manifestement à contre-emploi de plusieurs responsabilités. Certains y ont vu un peu rapidement une stratégie de très haut niveau. L’avenir proche nous dira si les propositions de Jean-Claude Junker sont flamboyantes ou si elles s’écraseront par les auditions en cours et les contradictions (et décisions urgentes) des dits commissaires proposés par les gouvernements nationaux.

Car il y a un formidable culot à solliciter un anglais, Jonathan Hill, 54 ans, ardent supporter de la libéralisation complète (ou presque) des services financiers à la « stabilité financière » et à ces mêmes services qui font la force de la place boursière de Londres. L’image du renard dans la basse-cour correspond parfaitement à cette nomination. Mais ce contre-emploi éblouissant n’est-t-il pas une stratégie politique destinée à pousser le Royaume-Uni à choisir enfin (et définitivement) la construction européenne comme avenir indépassable devant la montée d’UKIP ? Probablement ! Accorder au grec Dimitris Avramopoulos, 61 ans, les dossiers de l’immigration et des affaires intérieures est aussi surprenant quand on connait les réticences et carences de ce pays dans ce domaine et la gestion catastrophique des migrations. Quand à l’Espagnol Miguel Arias Cañete, 64 ans, promu responsable climat et énergie, accusé de conflit d’intérêt avec l’industrie pétrolière, son cheminement sera semé de doutes persistants s’il est confirmé dans ce dossier. C’est lui qui n’a pas hésité à réduire les subventions aux énergies renouvelables dans son pays.

Le Hongrois Tibor Navracsics, 48 ans, en charge de l’éducation, culture, jeunesse et citoyenneté, a réussi à gagner l’unanimité …contre lui. La proposition de Jean-Claude Junker porte assurément la marque du défi puisque l’homme de Budapest devra, s’il souhaite poursuivre dans sa candidature « à la citoyenneté », dénoncer les atteintes contre la liberté de la presse dans son pays. Avaler ses principes politiques conservateurs pour cet affidé de Viktor Orban sera un très mauvais moment. Sa réponse écrite du 6 octobre en complément de son audition par la commission du parlement européen n’a pas convaincu en ce qui concerne son appréciation de la « citoyenneté ». Ce sujet pourrait être supprimé de son portefeuille compte-tenu de son analyse personnelle sur les libertés citoyennes et leur évolution en Hongrie.

Dans l’épreuve de force actuelle au Parlement Européen, Pierre Moscovici parait en difficulté même s’il serait étonnant que sa candidature soit, au final, rejetée. Pour autant, sans parler de « Mosco bashing », les questions soumises à l’ancien ministre français en charge des finances de son pays sont logiquement caustiques. En témoigne celle d’une députée libérale néerlandaise qui l’interroge sur la capacité à passer du braconnier au garde-chasse ! En outre, l’actualité de l’annonce par la France d’un déficit prévisionnel envisagé à 4,3% du PIB (au lieu de 3%) tombe fort mal pour le socialiste français. Mais dans le cas de l’éjection du candidat espagnol et de la remise en question du britannique, Moscovici pourrait être dans la balance du côté des indésirables.

Côté analyse économique et sociale des différents(es) candidats(es), on remarquera une Commission ancrée à droite de l’échiquier politique sans surprise puisque correspondante aux votes des citoyens aux récentes élections. Il y aurait donc 14 conservateurs du PPE, 4 libéraux, 1 conservateur britannique, 12 sociaux-démocrates. Et parmi ces derniers, plusieurs ont adoptés le politiquement correct de l’austérité budgétaire avec plus ou moins de souplesse (sic). Jean-Claude Junker n’a pas hésité à proposer au commissaire letton, maitre en libéralisme financier dans son pays qui grâce (ou à cause de) à lui a connut une période d’austérité budgétaire plus violente que la Grèce. On se posera la question de la contradiction persistante à vouloir lui confier la gestion de l’euro et le …dialogue social ! D’autant plus que ce petit pays s’est opposé à un projet de directive européenne pour renforcer les contrôles des travailleurs détachés qui produisent concrètement du dumping social. Provocation ou humour douteux, les salariés et leurs syndicats n’hésiteront pas très longtemps pour apprécier à sa juste valeur ce positionnement réactionnaire.

La libérale suédoise est dans son emploi avec le portefeuille du commerce puisque son pays est le plus favorable à la conclusion du traité commercial transatlantique. Le commissaire irlandais en charge de l’agriculture a montré son intérêt pour l’agriculture OGM et son relatif dédain aux cultures bio. Pas vraiment dans le sens du mieux-manger demain mais complètement intégré par les milieux de l’industrie agro-alimentaire ! Sur Karmenu Vella (Malte) commissaire à l’environnement, aux affaires maritimes et à la pêche, on pourra souligner que Malte a une longue tradition d’accueil d’armateurs pratiquant le dumping social comme pour favoriser l’attractivité fiscale pour le patronat. Quand au Vice-président finlandais en charge de « veiller » à la bonne tenue du commissaire Moscovici, il aura la responsabilité des stratégies budgétaires et de la relance alors que son ADN personnelle le pousse naturellement à adopter la posture d’Harpagon ! Moscovici sera donc chargé de maitriser les dépenses voire de les réduire, alors que le finlandais aura la clé de la cassette de la « Relance » (300 milliards d’euros prévus). Du bel art politique pour neutraliser l’un et l’autre !

Difficile de voir de l’innovation dans la conduite des affaires économiques. Deux vice-présidents thuriféraires de l’orthodoxie libérale budgétaire coifferont le commissaire Moscovici, ce qui pourrait être source de divergences conflictuelles qui seront arbitré par le Président Junker. Ces auditions de parlementaires portent toutefois une évolution positive de l’institution parlementaire européenne. Les députés assument leur nouveau rôle tout en restant dans l’organisation classique des rapports de force politiques. Ainsi, remettre en cause un candidat conservateur, même si cela est parfaitement justifié, provoque une réaction inverse de représailles contre un(e) candidat(e) social-démocrate. En cela, l’alliance habituelle entre les deux grands groupes politiques « socialiste » (SD) et « conservateurs/chrétiens-démocrates » (PPE) connait quelque remous durant cette période de sélection des futurs commissaires. On remarquera aussi que certains eurodéputés socialistes et verts ne suivent plus toujours les recommandations de leur groupe considérant inacceptable au niveau de leurs valeurs politiques un ou plusieurs futurs commissaires dont certains ne semblent pas apporter toutes les garanties contre les conflits d’intérêts actuels et futurs. Au final, malgré la création de 7 postes de Vice-présidents, et une répartition donnant plus de place à l’Est de l’Europe (toute chose égale par ailleurs), remarquons la continuité politique plutôt qu’un véritable changement dans la politique de la Commission.

Enfin, un très mauvais signal vient d’intervenir pour ces derniers jours de la Commission Barroso, qui décidément de recevra pas d’hommage particulier des citoyens progressistes de l’U.E. La Commission a rejeté le 11 septembre dernier, une proposition d’Initiative Citoyenne Européenne (I.C.E.) prévue suite à la conclusion du dernier Traité de Lisbonne. Juridiquement, la technocratie bruxelloise considère qu’un mandat de négociation d’un traité commercial n’est pas un acte légal de l’Union, et qu’il ne peut être contesté, à ce titre, par une Initiative citoyenne européenne. Si cette décision était confirmée et non contestée, cela signifierait qu’il n’y aurait que peu de place pour ce type d’Initiative porté par l’espoir de redonner une voix aux citoyens européens. La Commission sortante est particulièrement attachée au tribunal arbitral qui permet une grande confidentialité notamment dans le cadre du projet accord transatlantique. On ne pourra s’empêcher de faire le parallèle avec l’affaire Tapie en France. Or l’opacité revendiquée par le monde des affaires et des conservateurs est inacceptable pour les salariés et les associations citoyennes.

Sur ce point essentiel, l’arrivée de la Commission Junker pourrait peut-être changer la donne de façon positive. En effet, le futur président a déclaré le 15 juillet dernier dans son discours d’investiture au Parlement à Strasbourg, s’engager à « ne pas accepter » que « la juridiction des tribunaux des États membres de l’UE soit limitée par des régimes spéciaux applicables aux litiges entre investisseurs. L’État de droit et le principe d’égalité devant la loi doivent s’appliquer aussi dans ce contexte ». Avec syndicats et associations, Jean-Claude Junker a marqué des convergences sur les risques que « les normes européennes de sécurité, de santé, les normes sociales, les normes de protection des données ou notre diversité culturelle » soient « sacrifiées » sur « l’autel du libre-échange ». L’Allemagne opposée au tribunal arbitral n’a pas fini d’apporter sa marque au sein de la Commission malgré l’absence d’un poste de Vice-président (comme le second pays, la France). Deux faits qui prouvent que nous pouvons aussi (parfois) être satisfaits de prises de positions qui nous ramènent aux préoccupations des citoyens(nes) européens. Ces derniers souffrent de la remise en cause des systèmes de protection sociale et de promotion concrète du développement durable sur notre continent.


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