DUARTE : UN FADO TRES PERSONNEL A PARIS EN DECEMBRE

jeudi 18 décembre 2014
par  Jean-Luc Gonneau
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C’est au Vingtième Théâtre, du 8 au 14 décembre (à 19h30 du 8 au 13, ce qui permet de dîner après, à 15h le 14, ce qui permet de déjeuner avant) que Duarte, une étoile montante du fado lisboète, se produit en concert, accompagné par Pedro Amendoeira, le frère de la fadiste Joana Amendoeira déjà entendue à Paris, à la guitare portugaise et Rogério Ferreira, accompagnateur de grandes voix du fado, à la viola.

Né en 1980 à Evora, après des études musicales dans son adolescence, Duarte s’intéresse au fado en entrant à l’Université, où il fait partie de la tuna académica et décrochera une licence de psychologie clinique, profession qu’il exerce toujours. Dans un premier CD en 2004, il reprend des fados traditionnels sur des poèmes, notamment, de Fernando Pessoa et d’Aldina Duarte. C’est aussi à partir de cette année là que Duarte (sans lien de parenté avec Aldina) intègre l’elenco de Senhor Vinho, la maison de fado dirigée par Maria da Fé, monument du fado et son mari, le poète José Luis Gordo. Et, justement, la grande prêtresse de Senhor Vinho était, et est toujours, Aldina Duarte, magnifique fadiste et remarquable poétesse. Senhor Vinho, dit Duarte, est une académie du fado (Antonio Zambujo, lui aussi passé par là, nous l’a dit aussi) où des stars comme Mariza, Camané ont entamé leurs carrières, où la jeune et très prometteuse Gisela João est passée aussi. Duarte continue de s’y produire lorsque ses obligations de concerts le lui permettent.

Des son second CD (2008), Duarte, qui écrit aussi et est un estimable guitariste (viola), écrit la majorité des textes de l’enregistrement : « j’ai toujours aimé écrire, et je voulais retrouver en moi-même l’une des essences du fado, parler de la vie quotidienne, des gens que je connais et aime, des endroits qui me marquent. Je reprends souvent des musiques traditionnelles de fado, mais je suis aussi très sensible à des compositeurs venus d’un autre univers que le fado, comme Sergio Godinho ou Jorge Palma ».

Si Duarte reconnait l’influence, dans la construction de son paysage musical, d’Amalia Rodrigues, qu’il cite en première place, de Carlos Do Carmo ou de Camané, il trace sa propre voie, avec un fado subtil et délicat, plus « fado-fado » qu’un Antonio Zambujo, explorateur d’autres et vastes territoires musicaux, plus intimiste qu’un Marco Rodrigues. C’est cet artiste très attachant que vous pourrez découvrir bientôt à Paris. Bemvinda, donc, à Duarte.

Duarte arrive sur scène vêtu d’une capeline du Ribatejo, vite ôtée, chemise marron à motifs, gilet de costume trois boutons (peut-être quatre), pantalon noir serré en bas. Rien de luxueux mais sémiotique riche. Sur scène, mince, visage adolescent, rasage approximé tel que la mode est revenue, cheveux blonds cendrés en léger désordre. Romantique. Pourquoi accorder tant de place à l’élément visuel ? Pourquoi commencer par ça ? C’est bien de fado dont il est question, pas de gloses sur le look. Vous voulez savoir ? Parce que Duarte s’est construit une personnalité singulière dans le fado, et que cette personnalité ne renie pas ses origines, natif d’Evora, le Ribatejo est présent dans le tour de chant, ni le fait que le fado a beaucoup bougé ces dernières vingt années, ni le respect de l’histoire.

Au programme, 16 chansons et un instrumental. A l’arrivée, un peu plus de 20, car il y eut des rappels et Duarte avait vraiment envie de contenter le public, aux anges, du Vingtième Théâtre. Deux ou trois ballades, dont deux signées Duarte pour la musique), trois ou quatre chants de l’Alentejo (à la grande joie de « notre » fadiste alentejano João Rufino, présent dans la salle), et le reste, fado-fado, musiques traditionnelles, corrido, menor, mouraria, alfacinha, meia noite, alberto, fado das horas… Mais… Mais des textes presque tous de la plume de Duarte, car si son univers personnel passe par la musique, il passe aussi par l’écriture, à la manière de sa collègue Aldina Duarte, du Senhor Vinho à Lisbonne, haut lieu du fado s’il en est. Des textes qui racontent les évènements de la vie, comme toujours le fit le fado, poèmes de qualité.

Pour l’accompagner, il y a Rogerio Ferreira, l’un des grands de l’instrument, pensionnaire lui aussi du Senhor Vinho, et Pedro Amendoeira à la guitare portugaise, dans la pure tradition des grands accompagnateurs de l’histoire du fado, les Raul Nery ou Domingos Camarinha. Superbe accompagnateur (c’est tellement important pour le chanteur), mais aussi brillant soliste comme il en fit la démonstration dans le très bel instrumental du programme.

Après le concert, Duarte vient gentiment et patiemment dédicacer son dernier CD, muni d’épaisses lunettes à grosse monture rouge, qui lui donne un air de ces universitaires américains un peu lunaires qui font les délices des campus. En général, les gens viennent voir les artistes à la fin d’un concert pour les complimenter (ceux qui ne sont pas contents, et les timides, et les pressés ne viennent pas. A rebours, nous demandons à Duarte si, lui, est content du public. Large sourire : « Si on m’avait dit que cela se passerait comme ça, j’aurais signé tout de suite, ce fut magique ». A la ville, la journée (le soir, c’est fado), Duarte est psychologue-clinicien. Des liens avec le fado, avec l’écriture ? « Je fais la par des choses, ce sont des univers différents, mais dans mon métier de psychologue, l’écoute compte beaucoup, et ce qu’on écoute peut avoir des échos, et parfois ces échos nourrissent l’écriture ».

Les derniers admirateurs s’en vont, Nuno Estevens, l’un de nos musiciens parisiens du fado, termine sa conversation avec son collègue Rogerio Ferreira, Pedro Amendoeira commence à avoir faim, le personnel du théâtre voudrait bien fermer les portes. Duarte revêt sa capeline alentejane, tout le monde s’éloigne. Mais uma noite de fado.

Texte également paru dans Lusojornal (lusojornal.com) les 10 et 17 décembre 2014


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