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DES TRAITES DE LIBRE ECHANGE AU 21E SIECLE

jeudi 18 décembre 2014
par  Marc Mangenot
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La notion d’impérialisme apparaît assez claire au premier abord et peut être définie a priori ainsi : une nation ou un Etat exerce une domination politique, économique, militaire, culturelle sur une série d’autres Etats soumis à son bon vouloir et à ses règlements. Historiquement et concrètement une telle définition ne se vérifie pas exactement telle quelle, ni historiquement, ni concrètement. Empire romain, empires des Incas, des Aztèques, des Han, on voit déjà sans développer ce qui les différencie, au-delà de ce qui peut leur être commun. A partir du 15e siècle, l’empire ottoman, les empires construits sur fond de conquêtes en Amérique (du Sud et du Nord) et en Afrique, puis la période de conquêtes coloniales intensifiées et de formation ou d’extension des empires anglais et français notamment, montrent une autre manière d’occuper le terrain et d’accroître la puissance des nations dominantes et rivales de cette période, malgré les réelles divergences sur cette stratégie entre les différentes fractions internes à ces capitalismes « nationaux ». Après la première guerre mondiale, l’accession des Etats-Unis au rang de première puissance mondiale, la création de l’URSS sur des bases non coopératives, la phase violente de décolonisation et de luttes pour les indépendances des zones ou pays directement colonisés modifient la carte géopolitique de la planète et les méthodes et conditions d’exercice de la domination du centre sur la périphérie pour reprendre une expression déjà ancienne et partiellement dépassée, remplacée par celle des rapports Nord-Sud dont l’énoncé ne rend pas vraiment compte ni de la complexité, ni des changements internes au sein de ces mêmes rapports internationaux, encore largement vus (ce qui est exact partiellement) comme des rapports entre Etats ou groupes d’Etats, les uns dominants (plus ou moins) les autres dominés (plus ou moins).

A l’origine, pas de capitalisme sans Etat

A l’époque du capitalisme naissant (ou plutôt à l’époque de son décollement comme système dominant), il existait un intérêt commun à l’ensemble des « entreprises » établies sur un même territoire national. Surtout à partir du 19e siècle, il ressortait alors de la responsabilité de l’Etat (de chaque Etat) de promouvoir une politique économique, budgétaire et monétaire, d’arbitrer entre les conflits d’intérêts de la classe dominante, de défendre les intérêts du capitalisme ou d’une partie du capitalisme national (1) sur la scène internationale (protectionnisme, colonisation, par exemple), de protéger le capital contre les éventuelles contestations (surveillance, contrôle, répression) et même de contribuer à l’émergence et à la prégnance d’un substrat idéologique sans lequel ce type de domination du capital sur le travail perdrait de sa puissance et de son efficacité.

Cette analyse n’a pas perdu toute sa pertinence. Toutefois, il y a environ un demi-siècle, après la phase de décolonisation, s’est opéré un glissement qui petit à petit s’est transformé en système dominant à l’échelle planétaire. Depuis trois décennies au moins, l’instrument principal de la domination impérialiste n’est plus le seul recours direct à la puissance militaire permettant et accompagnant la puissance économique, via l’occupation de vastes territoires. Le libre commerce imposé (celui des firmes multinationales), est progressivement devenu la stratégie impérialiste privilégiée du capitalisme dominant. Ce qui, dans les traités n’avait pu être obtenu par le truchement du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade, en français Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), sera institué avec la création de l’OMC (Organisation mondiale du Commerce) (1er janvier 1995), de l’ALENA (Accord de libre échange nord-américain –Canada, USA, Mexique-, NAFTA pour le sigle en anglais) (1er janvier 1994), du traité de Lisbonne pour l’Union européenne (13 décembre 2007) qui succède aux traités antérieurs, et par une multitude d’autres traités bilatéraux de par le monde.

Les firmes multinationales s’appuient toujours sur leurs Etats nationaux (Etats Unis, mais aussi depuis quelques deux décennies celles des pays « émergents ») ou sur des instances de type supranational (Union européenne). La force militaire est toujours omniprésente, présence active ou potentielle, sans laquelle toute domination serait impossible. Sur ce plan, la puissance étatsunienne demeure la principale force. La neutralisation des contestations demeure encore, mais non en totalité, un attribut essentiel des Etats nationaux, y compris bien entendu ceux des pays dominés de la zone sud ou d’Europe central et de l’Est. Ce qui est relativement nouveau dans l’espace du capitalisme-monde, c’est le statut de puissance première des firmes multinationales, via les organisme internationaux (FMI, Banque mondiale, et les instances dirigeantes de fait que sont les G7, G8, G20 ou encore l’Union européenne, en quelque sorte fondé de pouvoir des firmes européennes en même temps qu’elle est leur porte avion.

L’impérialisme étatsunien et de ses firmes

Avec les nouveaux traités en cours de négociation (Grand marché transatlantique, traité transpacifique, etc.), les firmes multinationales (FMN) cherchent à confirmer leur statut d’égaux vis-à-vis des Etats. Un exemple particulièrement frappant : l’extension et l’institutionnalisation de tribunaux privés d’arbitrage qui permettraient aux FMN d’attaquer n’importe quel Etat, voire n’importe quelle collectivité territoriale, dont une ou plusieurs décisions pourraient (du point de vue d’une multinationale quelconque) empêcher l’implantation de telle ou telle activité ou la réalisation du niveau de profit escompté (2) . La suppression ou l’abaissement des normes de protection sanitaires, alimentaires, sociales, environnementales, le changement des règles des appels d’offres, la privatisation des services publics, constituent les objectifs majeurs que les firmes et les Etats voudraient imposer. Le libre commerce, non entravé par de telles normes de protection, est en effet la condition pour la réalisation de profits très élevés et la croissance illimitée du capital. Les tribunaux d’arbitrage joueraient dès lors un rôle central de gendarme, ce qui inciterait (et incite déjà) des collectivités territoriales ou des gouvernements à ne pas ou à ne plus s’engager dans des politiques sociales, sanitaires ou environnementales qui, justement, aux yeux des FMN, constitueraient des entraves au « libre commerce ». Les tribunaux d’arbitrage, sans procédure d’appel, ne sont pas chose nouvelle (3) , mais l’est le recours systématique à de telles instances, inclus dans un projet de traité (TAFTA) au large spectre et aux conséquences planétaires. La guerre économique entre les firmes et entre les Etats, devient une guerre entre les firmes et contre les Etats et toute collectivité territoriale (Land en Allemagne, Province en Italie, Régions ou Communes en France, etc.)

L’Union européenne : du marché commun à une zone de « libre échange »

L’histoire de l’édification de l’Union européenne, sans ou contre les peuples, illustre fort bien les mécanismes qui finalement ont prévalu. Pour s’en tenir à un seul aspect directement lié aux négociations qui ont pour but de promouvoir le traité pour un grand marché transatlantique (PTCI, TTIP ou TAFTA selon divers acronymes anglais), il faut rappeler que les USA des années cinquante et soixante étaient favorables à la création d’un marché européen, sous la condition –pas vraiment exprimée en termes clairs à l’époque- que ne se constitue pas une entité politique qui ferait d’une partie de l’Europe ainsi groupée une puissance politique et militaire autonome, de taille gênante l’administration nord américaine. L’héritage tragique de la guerre, la question sociale, incitaient cependant certains des « fondateurs » de cette Europe à penser politique, sans parvenir néanmoins à des résultats probants hors du champ de l’activité économique et de la politique agricole commune (PAC). Depuis l’Acte unique (1986), c’est la stratégie du tout marché qui domine : congédiée la démocratie. Les gouvernements successifs des Etats Unis n’ont cependant jamais renoncé à faire évoluer le Marché commun (c’est moi qui souligne), puis la Communauté économique européenne (idem) vers une zone de libre échange, un peu à l’image de l’Association européenne de libre échange créée en 1960 (AELE en français, EFTA en anglais) dont la création visait clairement à faire concurrence au tout récent Marché commun (signé en 1957)(4) . En France, le VIe Plan (1971-1975) adopté sous le gouvernement Pompidou, inscrit l’activité économique du pays dans le cadre de la compétition internationale et met en avant l’impératif industriel en se fixant comme objectif central la création de grands groupes français industriels. Cet objectif ouvre la porte aux politiques de désindustrialisation, laquelle sera systématisée durant la mandature Giscard d’Estaing (1974-1981). L’entrée du Royaume-Uni dans le Marché commun en 1973 (toujours sous Pompidou), est le cheval de Troie que les USA ont enfin réussi à faire pénétrer dans la Communauté européenne (le Marché commun), deux ans après la décision unilatérale de Nixon de dévaluer le dollar (monnaie internationale !) de ne plus le rendre convertible en or (15 août 1971). La création de l’OMC (1995) viendra renforcer la stratégie du « libre commerce ». C’est une nouvelle division internationale du travail qui s’instaure, après celle qu’avait portée le Plan Marshall (1948). Le projet de traité transatlantique s’inscrit dans le prolongement de cette visée à la fois impérialiste (prédominance des firmes nord-américaines soutenues par Washington) et d’extension du capitalisme libéré de toute entrave sociale ou environnementale.

Une nouvelle forme d’hégémonie planétaire

Encore une fois, les FMN ne pourraient rien sans « leurs » Etats (aussi bien ceux des puissances dominantes que ceux des zones dominées) qui ont pour mission de défaire les lois et les règles au profit du capital, et d’organiser contrôle social et policier, répression, interventions armées (en coopération forcée ou non), etc. Et, sans les organismes internationaux ayant compétence dans les domaines de l’économie et de la finance (FMI ? OMC, OCDE, etc.), elles ne bénéficieraient pas des énormes boulevards ouverts par les traités dits de « libre échange » et les politiques menées, incitées ou imposées par ces organismes dont la création répondait à la recherche de compromis entre les Etats. Toutefois, les Etats et les organismes internationaux ne sont pas que de simples bras armés des FMN. Ils ont leur propre fonctionnement autonome. Ils sont l’expression de rivalités politiques, pas seulement, bien entendu. La gestion (le terme n’est pas très correct, ni très précis, mais pour faire vite il semble assez compréhensible) du capital, des règles de la concurrence débridée, doit aussi tenir compte, avec plus ou moins de réussite, des opinions publiques, mêmes influencées et manipulées. Tout cela pour dire que la domination est une combinaison, jamais définitivement établie, de la domination du capital sur le travail et de la domination des nations puissantes (impérialistes au sens étroit et renouvelé du terme), combinaison qui croise d’autres formes persistantes de domination comme la domination masculine, ainsi que la permanence ou la résurgence de rapports pervers comme la xénophobie ou le racisme. La complexité des institutions, des rapports sociaux, des rapports internationaux, des relations internationales, selon la doxa du capitalisme contemporain, ne peut être surmontée que par la capacité d’agir de ce qu’on pourrait appeler une convergence hégémonique qui s’organise peu à peu depuis quatre ou cinq décennies. Autrement dit, le fonctionnement réel de l’alliance des dominants et de leurs alliés subalternes s’organise pour l’essentiel hors des sphères étatiques, mais pas sans elles. Gouvernements et administrations centrales (hautes fonctions publiques civiles et militaires) sont parties prenantes de ce système d’alliances fluctuantes au gré des affrontements (ou dissidences) géopolitiques qui se manifestent en maints endroits de la planète.

Si les FMN tendent à se substituer aux impérialismes nationaux, elles ont toujours l’impérieux besoin de l’appui des Etats et surtout des organismes supranationaux, lesquels donnent l’apparence de maîtriser les enjeux et les discussions, alors que leur rôle consiste principalement à arbitrer, à l’échelle mondiale dans la période actuelle, entre des intérêts divergents au sein de la sphère capitaliste, comme entre les Etats eux-mêmes, tout en ayant la charge de faire en sorte que plus de travail soit de plus exploité et soumis au capital. D’où la fin annoncée des démocraties et l’avènement de simulacres électoraux sous la forme de parodies ou de marchés d’arguments démagogiques. Ce qui compte, selon les grands prêtres de la religion du tout marché, pour parodier une célèbre formule, c’est d’affirmer que « ce qui est bon pour la General Motors est bon pour l’Humanité ».

(1) Sur la question coloniale, à l’époque de la conquête comme durant la phase de décolonisation formelle, les différentes fractions de la bourgeoisie capitaliste avaient des positions différentes en fonction de leurs intérêts propres (industrie lourde, industrie de transformation, industrie d’amont ou d’aval du procès de production, sphère industrielle, commerciale ou financière, etc.). La classe politique elle-même pouvait avoir ses propres ambitions pour des raisons de puissance, par exemple ; les cadres militaires (caste elle-même non homogène) avaient aussi leurs propres visées et ambitions, comme ce fut le cas pour l’armée française au moment de la conquête de l’Algérie. Mais ceci est un autre important débat, qui ne peut être développé ici.

(2) C’est cependant un des points de divergence dans les négociations en cours sur le Grand marché transatlantique (TTIP). Au final, si ce traité devait par malheur être ratifié, cette concession permettrait néanmoins aux multinationales (soutenues par les USA sur ce point), de faire passer tout le reste, et aux gouvernements d’affirmer qu’ils ont bien résisté aux entreprises capitalistes dominantes.

(3) A l’échelle internationale, des traités bilatéraux permettent déjà l’usage de tribunaux d’arbitrages. Les exemples ne manquent pas qui devraient alerter le citoyen et le responsable politique. Le 23 novembre 2014, l’Assemblée nationale et du Sénat français ont voté contre la création de « tout mécanisme d’arbitrage des différends entre les Etas et les investisseurs » prévu dans le texte soumis à ratification du « projet d’accord économique et commercial entre l’Union européenne et le Canada » (CETA, ballon d’essai pour le TAFTA). Très bien. Mais le risque demeure de voir accepter toutes les clauses très contestables de ces traités, au motif qu’une concession importante aurait été obtenue. Une vision étriquée, tronquée et trompeuse de la démocratie.

(4) L’AELE regroupait à sa création la Grande Bretagne, le Danemark, la Norvège, la Suisse, le Portugal, l’Autriche et la Suède.

Marc Mangenot est membre de la Fondation Copernic


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