Traité de Versailles, ligne MAGINOT et drôle d’Europe
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Pourquoi évoquer cette triste époque, que nous n’avons même pas connue ? Que nous n’avons même pas vécue. Temps pas si lointains pourtant, mais qu’on préfère ordinairement passer sous silence. Sale période qu’on évite à tout prix de citer, cauchemar qu’on a enfoui très vite au plus profond de nos mémoires, sitôt le traumatisme évacué, tellement nous il a failli nous engloutir, nous et le destin du pays tout entier. Tellement l’époque nous fit honte aussi, n’était l’admirable tour de passe-passe que le gaullisme naissant sut opportunément sortir de son sac pour nous faire accroire ensuite, un regain d’unité et de fierté retrouvées.
Pourquoi donc l’évoquer, cette époque, sinon peut être parce que nous ne devrions pas si vite l’oublier. Cette décennie riche d’enseignements, et sur l’âpreté du monde, et sur la fragilité des situations acquises, et sur le bourrage de crâne aussi. « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts ... » me paraît sonner très proche des « n’ayons pas peur » ou des péroraisons sur « les avancées sociales ou les grands principes et valeurs rappelées dans la première partie » d’un certain texte à vocation constitutionnelle, très débattu ces jours-ci. Je me souviens, moi qui ne l’ai pas vécue, de cette époque rance, veule, folle, passionnée et finalement si dramatique de l’entre deux guerres, plus particulièrement des années 30, voire de l’immédiat avant guerre. Celle de la démocratie en crise, des scandales politico-financiers, de la misère rampante, de l’enlisement déflationniste, de la montée des périls qui n’étaient pas encore jaunes, ou de l’impuissance de ce qui n’était pas encore l’ONU.
Cela ne vous évoque rien ? Aucun parallèle éventuel avec une époque plus récente ?
Bush partant à la conquête de l’Irak ou du Koweit, cela ne vous a-t-il pas un petit air mussolinien, allant virilement, plume au sarko, pardon au shako, faire rendre gorge à l’Ethiopie scélérate, qui avait osé mettre la main sur l’Erythrée ? Jospin et Hollande pensent t-ils, comme Daladier rentrant de Munich, que nous serons assez stupides pour les croire quand ils affirment que la remise en cause de l’Etat providence est définitivement écartée, alors qu’ils descendent de l’avion, retour de Lisbonne ou bien de Barcelone en sachant pertinemment qu’ils ont signé l’arrêt de mort des services publics ? Réécoutez Chamberlain, atterrissant à Londres et agitant devant les caméras le chiffon de papier signé d’Hitler et bientôt déchiré par lui. Bolkestein lui aussi, est capable de faire des risettes, des ronds de jambe et de protester de sa bonne foi, avant de reprendre l’offensive, sitôt les esprits occupés ailleurs. Certes le décor a changé, les acteurs aussi, mais la pièce est toujours aussi tragique. Et les morts économiques valent bien les morts au champ d’honneur.
Pauvres ignorants que nous sommes, pauvres naïfs que nous serons toujours ! Mêmes bavards omniprésents sur les ondes, mêmes sarcasmes, même ironie chansonnière, même ton désabusé dans les gazettes, même futilité dans les médias, la mode, le sport. Combien de fois nous laisserons nous berner par ces ci-devant incapables, comme Giscard, de distinguer l’essentiel de l’accessoire, ou de préférer, un vrai moment d’histoire à un succès de carrière ?
Trop de fois ils se sont trompés, trop de fois, ils nous ont abusé, trop de fois, ils ont lamentablement échoué, renié, oublié, lâché. Trop de fois ils ont failli, nous embarquant là où nous ne voulions surtout pas aller, nous conduisant au pire quand nous sentions qu’il était urgent d’attendre, prudent de réfléchir, et pour le moins suspect de nous précipiter.
Oui, trop de fois ils nous ont harcelé, puis abandonné en rase campagne, après avoir lamentablement promis, juré, signé, et finalement capitulé, ces détenteurs du savoir universel, ces formidables penseurs de l’ordre établi, ces incomparables représentants de la pensée parisienne, fines fleurs de l’intelligentsia devenues tout à coup, par un cruel retour de l’histoire, ou dans l’affolement des logiques de blocs, ou encore dans la violence déchaînée des forces sociales en rupture de ban, le jouet d’évènements qu’ils ne contrôlaient même plus mais continuaient néanmoins à faire semblant de maîtriser. Y voyant d’ailleurs contre toute évidence, et contre le plus élémentaire bon sens, la confirmation aveugle de leurs théories fumeuses ou totalement à côté de la plaque.
Combien en revanche de mises à jour douloureuses chez ceux qui les avaient écouté, suivi, et parfois même adulé, combien de mines subitement déconfites, puis quelquefois vite soumises et tout à coup dociles, voire serviles, devant les nouveaux maîtres d’un ordre tout à coup surgi de nulle part, combien de douloureuses désillusions de la part de leaders purs et durs, autrefois bardés de bonne conscience, défendant la main sur le coeur leurs certitudes inébranlables, mais n’ayant bientôt plus de cesse que de les renier pour en endosser de nouvelles, de peur qu’on les oublie ou qu’on ne s’aperçoive soudain de leur insondable vacuité ?
Ne les avons-nous pas cent fois connu, ces puissants d’autant plus intransigeants qu’ils exposent d’abord la vie des autres, ces démagogues affligeants ne reculant devant aucune fausse promesse, ces fiers à bras engageant le destin de leurs peuples comme d’autres tentent un banco, puisque se sachant par avance à l’abri ?
Aurions nous si vite oublié les leçons d’une histoire si constante et pas toujours si lointaine ?
On ne garde officiellement d’elle qu’un soixantième anniversaire, dûment et récemment fêté comme un rituel incantatoire mondialisé. Mais on se garde bien d’en rappeler les prodromes, qui n’avaient que dix années de plus. Et qui ressemblaient furieusement à la réalité de ce début de siècle. Sans parler de l’éternelle et consternante impudence de ceux qui, à présent comme à l’époque, prétendaient être les mieux placés pour comprendre et dominer l’écheveau des enjeux, mais n’y ont jamais discerné le moindre commencement de logique pertinente, en dehors de celle - évidement - de leurs intérêts propres.
Oui, les prodromes, car le traité constitutionnel qu’on nous propose s’apparente ni plus, ni moins à un autre traité de Versailles, fruit, lui aussi, de tractations sans fin, de compromis subtils, mais gros de misères et de désordres se chiffrant en millions de morts. Habile compromis sur le moment, cataclysme mondial vingt ans après, jamais ratifié par ses inspirateurs américains, qui en avaient pourtant posé et imposé les règles sur le dos des poilus et au mépris de leur sang. Le libre-échangisme y était déjà inscrit en lettres capitales, et la croisade pour la démocratie masquait à peine un sens des affaires qui s’accommode toujours très mal du sens de l’Etat. Ou de l’intérêt général. Quant à la nation, n’en parlons pas, quatre ou cinq d’entre elles étaient clairement sacrifiées, comme l’Autriche, la Pologne ou la Tchécoslovaquie naissante, futures proies faciles du fascisme triomphant.
Oui les prodromes en effet car le Traité de Versailles fut très clairement à l’origine de la dégradation rapide de la situation économique en Europe, dans l’Allemagne des années 20, et tout concourt à penser que le TCE organise de nos jours en Europe la même paupérisation et le même recul généralisé qui seront immanquablement la source de nouveaux désordres majeurs : n’en voit on pas déjà le signe dans les communautarismes exigeants, la stigmatisation raciale résurgente, l’intolérance à tous les niveaux, la montée des extrémismes, la violence dans les rapports sociaux et individuels, la crise de la démocratie représentative qu’on appelait alors la crise du parlementarisme, le chômage de masse et l’abstention rampante ?
Qu’on ne fasse pas prendre des vessies pour des lanternes : La paix a résulté en Europe de l’équilibre de la terreur qu’on fait régner Russes et Américains pendant 40 ans. Pas de l’Europe croupion, incapable d’intervenir dans les conflits qui ont essaimé sur les autres continents, et même jusqu’en son cœur, avec l’affaire des Balkans, version années 90.
Certes, l’inflation est aujourd’hui maîtrisée, et la BCE veille à la contenir comme à la prunelle de ses yeux. Mais le pacte de stabilité, s’il s’inspire quant à lui de l’histoire des années trente, et des craintes des Allemands de voir resurgir le spectre du chômage et du fascisme, témoigne aujourd’hui d’une analyse à contresens de l’époque en question. Fruit d’une conception statique et même immobiliste, voire étouffante de l’économie moderne, c’est la nouvelle Ligne MAGINOT. C’est une conception de la guerre économique à la fois dogmatique et totalement anachronique, qui revient, comme en 1939, à inhiber toute initiative et à bercer les esprits d’une douce impression de fausse efficience.
Qu’est ce à dire ? Comme nous aurions dû le faire à l’époque, cessons donc de nous tromper de combat et prenons notre destin en mains. Signifions par là même aux élites du modernisme branché, que leur temps est révolu. Luttons contre leur éternel défaitisme, qui nous fit tant de fois, tant de mal. Oui, qu’on se le rappelle : C’est aux élites déboussolées, vaincues, usées jusqu’à la corde que la fin de toute identité nationale apparaissait en 1940 comme la seule issue possible. Comme un mal nécessaire, comme une nécessité historique, comme un acte raisonnable et donc acceptablement résigné.
Combien d’entre elles se sont alors levées pour proclamer que la messe pût ne pas être dite ! Combien sont prêtes aujourd’hui, à renoncer à leur confort matériel et intellectuel pour oser remettre à l’heure un certain nombre de pendules ?
Très peu en réalité : Partout de la bonne conscience, un océan de pensée anesthésiante, d’autojustification haineuse, de sauve qui peut généralisé. Partout aussi bien sûr, les réflexes habituels des classes dominantes qui, fortes de leur impunité, concluent comme en 40 qu’il faut accepter par avance abaissement social, déroute économique et militaire, et surtout reprise en main morale et politique des couches salariales, au nom de leur légendaire indiscipline et de leur paresse indécrottable ! La donne est la même : les 40 heures honnies sont seulement devenues 35..
Allons nous une fois de plus nous laisser abuser ? Rejetons ce pétainisme des esprits, ces paroles pleines de morgue, de componction, de pusillanimité ambiante et de contradictions flagrantes qui ont si souvent révélé, au cours des siècles, soit une cécité coupable, couplée à une faiblesse de la pensée et donc à la prétendue modernité des temps, soit une singulière persévérance dans l’erreur quand il y allait du bien être collectif et du bonheur des hommes.
Ne nous sentons absolument pas liés par des mots d’ordre ou des constructions intellectuelles incapables de nous toucher et encore moins de nous servir, ou par de soit disantes solidarités qui ne nous concernent pas, ou encore par des postulats oiseux qui ont toujours entraîné la plupart des catastrophes et des reculs qu’ait connu l’humanité.
En souvenir de toutes les occasions perdues, et qui parfois se répètent, votons simplement NON, car nous méritons mieux.
Jean-Jacqueq lemarchand est membre de la Coordination Nationale de la Gauche Républicaine
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