Danger : fracture !
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Quel que soit le résultat du 29 mai, on ne pourra que remercier l’Histoire d’avoir rendu évidente, par la cristallisation du débat sur le TCE, la fracture béante qui clive notre société. Fracture qui traverse tous les grands partis, et qui démontre par sa présence toute l’insanité du jeu politique qui y est pratiqué, à cent lieues du débat qui anime le corps social. On mesure toute la béance de la faille entre professionnels de la course égotique au pompon et petites mains désintéressées affairées à soulager misères et souffrances.
Un examen plus attentif de cette fracture me semble révéler la lutte - longtemps sourde, mais aujourd’hui criante - entre les usuriers et leurs victimes. J’entends ici l’usure dans son sens le plus large, au delà de sa seule dimension financière. Il n’est pas de mon propos de minimiser le désastre que provoque cette dernière, loin de là. Mais la question de l’usure idéologique domine par son urgence depuis quelques mois. Elle tient en quelques mots : comment prévenir à l’avenir les épopées minables - pauvre France ! quelle image donnes-tu de toi - d’un Sarkozy et d’un Hollande qui jouent leur va-tout du OUI au nom de l’ensemble des militants et des électeurs traditionnels de leur parti ? Sont-ils si différents d’un Ramadan qui s’autoproclame Commandeur des Croyants d’Europe ? D’un Cohn-Bendit qui n’a jamais vu aussi rouge qu’aujourd’hui - mais du rouge en face de lui ?
Regardons-la bien, cette fracture : sur un bord, tous ceux qui jactent, qui écrivent, qui étalent leur terrorisme dit intellectuel ; et sur l’autre, ceux à qui sont refusés tous les droits d’expression, mais qui n’en pensent pas moins. On le voit : cette fracture n’est même pas entre le OUI et le NON, puisque les grands prêtres des sectes du NON existent aussi (Le Pen, Laguiller - entre autres). C’est quand on regarde au fond de la faille que l’on mesure l’ampleur du désastre : s’y entassent pêle-mêle tous ceux qui ne voteront pas, convaincus qu’ils sont de la débilité de leur propre pensée et/ou de l’insignifiance - infinitésimale, abyssale - de leur suffrage.
C’est à tous ceux-là qu’une véritable démocratie devrait rendre le droit d’usage politique. Il leur faudrait reprendre confiance : qu’on commence par leur dire qu’il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour assumer une fonction élective. Il suffit de partager avec une majorité locale une même vision politique - l’Administration est là pour mettre en œuvre. A condition toutefois que soit interdite la confusion des genres : un énarque est un consultant technique, attaché à vie à la fonction publique. Qu’il soit devenu un politique, qui plus est papillonnant entre gouvernements et conseils d’administration, explique toute la dérive de notre République, dont le principe, selon sa Constitution, est le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Vaste fumisterie...
Mais partager une vision politique, ce n’est pas tenter d’imposer la sienne. A ce jeu-là, les grandes gueules - surtout quand elles sont mafieuses - sont toujours gagnantes. C’est donc le mode de fonctionnement des partis (et des associations en général) qui est à revoir. Tout bien considéré, le seul moyen d’avorter l’ascension des ego semble être le tirage au sort annuel parmi une liste de volontaires. Ces derniers feraient état de leur candidature après que l’assemblée générale ait fixé la dite vision politique.
L’échéance du référendum invite tous les militants du NON à la recomposition politique de leur mouvance. Qu’ils n’oublient pas la fracture ! La plupart en ont soupé des partis, mais tous ressentent l’impérieuse nécessité de constituer un front uni face aux turbo-capitalisme et néolibéralisme. Il leur faut donc un parti, mais dont le mode de fonctionnement tranche avec tout ce qui s’est fait jusqu’à présent. Un mode qui prévienne justement la fameuse fracture de s’y propager, là aussi. Un mode qui autorise enfin l’accueil égalitaire de tous les anciens exclus de la politique, ceux qui n’avaient aucune chance d’œuvrer dans le sens de leur pensée en mettant leur conviction au service de tous.
Que les militants du NON n’oublient pas non plus toutes les formes d’usure. A tous les niveaux de la société, il existe des personnes qui pensent profiter de la rente, quand bien même elles ne l’exercent pas directement. Souvenons-nous de l’usure politique de Nicole Notat à la tête de la CFDT. Mais sachons distinguer aussi les rentes corporatistes. Celle des chauffeurs routiers (mais surtout de leurs patrons), auxquels le flux tendu des grandes centrales de distribution assure le plein emploi. Mais aussi celles de ces vastes entreprises de sévices nationaux que sont, par exemple, EDF (jolie cagnotte syndicale, et baste des énergies renouvelables autonomes et de la maîtrise de l’énergie) ou le GIAT (ah ! ce flashball entre les mains de Christian Cabal, député UMP de la Loire !). Que ces militants ne se laissent pas embarquer dans des combats dits de défense des services publics quand il ne s’agit en fait que de préserver un emploi salarié garanti - parfois une sinécure ! La stratégie de l’amalgame est le cheval de Troie dans le camp des alter-mondialistes. On ne saurait confondre enseignement et armée, hôpital et atome, sous le prétexte fallacieux qu’ils sont tous du ressort de l’Etat.
Le 29 mai, la fracture se fera encore plus évidente. Le NON l’emportera, car ses partisans mènent une bonne campagne, pour une autre Europe que celle de Barroso et de Bolkestein. Mais j’avoue craindre le 30 mai, si cette fracture devait se propager aussi dans le camp du NON. Les appels répétés de ses ténors à faire de sa victoire - leur victoire ? - la priorité numéro un, conjugués à leur maintien dans des partis discrédités (PS et Verts), ne me disent vraiment rien qui vaille. Pour parler franchement, ça sent le Le Pen à plein nez. Ou, pour être moins violent, le remake du coup de poker Fabius. Donc, dans tous les cas de figure, la course au pompon. Rien à dire, ça pue. Alors j’irai voter NON, en me pinçant le nez, et en priant l’Etre Suprême pour qu’il sauve sa République.
Olivier Liétard est Ex Verts et ex PS
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