Le grand aveuglement

dimanche 20 septembre 2015
par  Yann Fiévet
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La chronique égraine inlassablement depuis plus de trois ans les multiples avatars du renoncement de l’actuel Président de la République. Renoncement à remettre en cause un tant soit peu l’ordre économique néolibéral porteur du creusement des inégalités sociales. En juin 2013, un an seulement après son élection l’on parlait déjà de « la débâcle hollandaise ». Encore n’avions-nous pas tout perçu alors de la funeste trajectoire d’un homme qui, osons le rappeler, nous inspirait depuis longtemps plutôt de la méfiance. Encore une année à mesurer les dégâts de ce que l’on ne pouvait même plus nommer social-démocratie et ce fut la nomination de Manuel Valls à Matignon. Les choses allèrent ensuite bon train : du célèbre « j’aime l’entreprise », véritable déclaration d’amour transi au grand patronat attentif, à l’entrée au Ministère de l’économie d’Emmanuel Macron, tout droit transféré de la banque Rothschild, à la loi « Renseignement », bradage à peine camouflé des libertés confirmant que l’ordre économique en place n’aime pas le désordre social susceptible de freiner les ardeurs de la libéralisation salvatrice. La coupe semblait pleine ! Après toutes ces déconvenues – finalement pas si inattendues – l’on se résignait à devoir se contenter d’attendre tranquillement la prochaine élection présidentielle.

Et voilà qu’à l’issue de la troisième année du sabordage la triplette Hollande-Valls-Macron se paie le luxe d’y ajouter la légèreté et l’incompétence. Une affaire – parmi d’autres sans doute – est là pour nous convaincre du franchissement magistral d’un nouveau pallier dans la décrépitude politique : la privatisation de l’aéroport de Toulouse-Blagnac. L’affaire va révéler un amateurisme qu’aucun énarque n’aurait su imaginer possible au sommet d’un Etat moderne ! Plusieurs scandales émaille en fait cette affaire qui aurait dû largement émouvoir la « grande presse » (1). La société française de l’acquéreur chinois, Casil Europe, n’a que 10 000 euros de capital, et son siège social, place de la Madeleine, à Paris, est fictif. quand du courrier arrive au nom de Casil Europe, c’est la gardienne elle-même qui se charge de le réexpédier vers la bonne adresse comme elle a l’habitude de le faire pour les correspondances de quelque 400 sociétés !

L’on commence alors à comprendre mieux pourquoi Emmanuel Macron a fermement refusé que le pacte d’actionnaires soit rendu public dans sa version intégrale. Il a dans un premier temps prétendu qu’il ne s’agissait pas d’une privatisation puisque si les investisseurs chinois faisaient effectivement l’acquisition de 49,9 % dudit aéroport, l’État gardait 10 % du capital et, avec les collectivités locales (Région, département et ville de Toulouse), disposait encore de la majorité du capital. Il s’agit d’un mensonge. Un mensonge qui vient s’ajouter superbement à l’incompétence et à la légèreté que la suite va encore renforcer. Le pacte d’actionnaires dont le secret a pu être en partie levé révèle que ce dernier liait en réalité l’État non pas aux autres collectivités publiques mais aux investisseurs chinois et leur donnait ainsi les pleins pouvoirs pour gérer l’aéroport. Le mot légèreté est ici trop faible pour qualifier ce qu’il faut bien considérer comme un bradage organisé.

Cependant, le scandale ne s’arrête pas là. La société Casil Europe s’imbrique dans un groupe opaque, détenu par l’oligarque chinois Mike Poon et son épouse Christina. La holding qui dirige l’ensemble se nomme Capella Capital Limited et est immatriculée aux îles Vierges britanniques. Elle a pour filiale à 100 % une société dénommée Friedmann Pacific Investiment Holdings Limited dont le pays d’immatriculation est inconnu et qui aurait elle-même une filiale dénommée Friedmann Pacific Asset Management Limited, immatriculée elle aussi aux îles Vierges britanniques. cette dernière – sûrement pas l’ultime ! - société a elle-même une autre filiale dénommée China Aircraft Leasing Groups Holdings Limited, implantée aux îles Caïmans. Bref, nous nageons là dans les eaux troubles du capitalisme financier contemporain que nos « dirigeants » prennent désormais comme une fatalité incontournable.

Il fallait bien une cerise sur ce gâteau déjà passablement indigeste. Elle est de taille : selon le quotidien South China Morning Post, Mike Poon a disparu et son nom aurait été cité dans une enquête pour corruption menée par les autorités auprès de la compagnie China Southern Airline. Le même quotidien, dans un article du 29 juin dernier, indique que 5,38 millions d’options détenues par Mike Poon sur la société China Aircraft Leasing ont été exercées le 19 juin, à un prix de 0,16 dollar, soit 90 % de moins que leur valorisation boursière, sans que l’on connaisse le nom du donneur de ces ordres de cession qui représentent tout de même 860 800 dollars, soit 770 000 euros. De plus, près de 429 000 options de la société Friedmann Pacific Asset Management ont été cédées, dans les mêmes étranges conditions.

L’affaire est donc stupéfiante, y compris par ses aspects rocambolesques indignes d’une « bonne gouvernance. Elle peut être résumée ainsi : dans le plus grand secret, Emmanuel Macron a privatisé la gestion de l’aéroport de Toulouse-Blagnac au profit d’une société-écran qui n’a pas d’adresse réelle en France et dont le PDG, mis en cause dans une affaire de corruption, a pris la fuite après avoir vendu en catastrophe des actions en sa possession. Voilà bien ce qui arrive quand trois hommes campés au sommet de la pyramide politique décident sciemment de tout sacrifier sur l’autel de la « compétitivité économique » de la France. Intolérable aveuglement !

(1) L’émoi fut pour le moins timide sauf à Médiapart qui, une fois encore, a mené une minutieuse enquête relatée dans plusieurs articles de Laurent Mauduit dont nous nous servons ici.


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