La veille de son concert au Théâtre des Bouffes du Nord, Katia Guerreiro et ses musiciens se retrouvent à 7h30 du matin à la Maison de la radio pour régler les balances e l’émission qu’ils vont sur le champ enregistrer. A 10h, nous la retrouvons, tout sourire (elle, et moi aussi), au bistro d’en face. Une Katia Guerreiro qui confie traverser une des périodes les plus heureuses, affectivement, sentimentalement, professionnellement. Cela se voit. Cela s’entend aussi dans son dernier cd, « Até o fim », autour duquel elle poursuit une tournée internationale. Des titres qui la montrent sereine, et même, ce à quoi elle ne nous avait pas habituée, ironique, comme As quatro operações, du grand Vasco Graça Moura (qui signe aussi le fado titre Até o fim, très prenant) où elle signifie arithmétiquement, preuve par neuf à l’appui, que décidément, son soupirant, ça ne le fait pas. Ou bien ce Mentiras, de la caustique Rita Ferro, où ce menteur de galant est prié de continuer à la tromper « car si les mensonges tuent des gens, les tiens peuvent me sauver ». Le bonheur se ressent aussi dans Eu gosto tanto de ti, qu’elle a elle-même écrit pour sa fille : bonheur de mère. Mais, dit-elle, ses concerts ne reprennent pas que les titres de ce cd (très réussi, très concerté, sans effets de voix) mais aussi quelques classiques d’un répertoire plus « amalien ». Katia nous dit aussi qu’elle va maintenant plus souvent qu’avant dans les maisons de fado, à l’aventure : « ne se produire qu’en concert sur des scènes peut nous faire oublier tout le caractère intimiste que doit conserver le fado, et cette intimité qu’on peut retrouver dans les maisons de fado ».

Pour les trois concerts qu’elle va donner en France en novembre (elle revient dans notre pays au début de 2016), elle est accompagnée par deux guitares portugaises, tenues par Pedro de Castro et David Ribeiro, la viola d’André Ramos (son fidèle João Veiga, pour une fois, n’en sera pas) et la viola baixa de Fernando Judice, un ancien de Madredeus. Quatre excellents musiciens qui en feront une démonstration éclatante tout au long du concert et notamment lors d’une desgarrada endiablée. Lors du concert, il y eut comme prévu les douze thèmes du cd, et une petite dizaine d’autres titres, pour beaucoup empruntés au répertoire d’Amalia Rodrigues, Katia confirmant ainsi sa réputation d’ « amalienne » mais aussi une version en français « fadisée » du Lisboa de Charles Aznavour, et un fado Alberto de belle venue en entrée du concert. Une prestation pleine d’émotions (quelques larmes, rapidement essuyées, lors d’une manifestation d’enthousiasme du public) mais aussi de sourires. A un moment Katia avoue sa peur avant le concert, en relation avec les récents événements dramatiques que Paris a connu. Peur des violences, peur aussi que le public ne soit pas au rendez-vous (mais la salle fut quasi comble). Beaucoup d’amour, peut-être un peu trop dit, mais illustré a capella par quelques vers du répertoire de Barbara adressés au public : « ma plus belle histoire d’amour, c’est vous ». Le souci d’expliquer en un joli français les thèmes des fados. Le souvenir aussi du cher José Renato, son ancien agent en France, son mentor ici, dont nous avions dans les dernières années de sa vie, pu apprécier les qualités humaines et l’extraordinaire attention qu’il apportait aux autres. Un concert plus flamboyant, moins serein que le cd, avec ces effets de voix dont le public raffole, même si parfois ils ne seraient pas nécessaires.

Si quiconque en doutait, Katia Guerreiro a montré à Paris, une fois de plus, qu’elle est une des grandes interprètes actuelles du fado, et, en plus, une personne infiniment sympathique et disponible.