SYSTEMES POLITIQUES : DE L’AUBE AU CREPUSCULE

lundi 21 décembre 2015
par  Jacques-Robert Simon
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Le système le plus simple fait intervenir la seule force physique comme facteur d’interaction entre entités constitutives. Pour deux individus isolés, le plus « fort » va dominer le plus faible. Pour un groupe d’individus, la désignation du « chef » est plus difficile car l’alliance de deux quelconques des autres membres permettrait de vaincre un quelconque chef autoproclamé. Le degré d’ « interaction » entre individus et sa nature, la « connectique », sont donc primordiaux pour déterminer la pyramide hiérarchique. En plus de la force brute, l’affect, les sentiments, le désir de reconnaissance, la faculté de convaincre, les dons magiques... peuvent intervenir de façon décisive. Des processus de « rétroaction », caractéristiques importantes des systèmes, doivent alors être tenus en compte. Un membre de la tribu déclare par exemple : « je suis le plus fort », ce qui ne peut pas être vrai dans l’absolu. Toutefois, par leur faiblesse constitutionnelle ou leur attrait pour la soumission, certains de ses congénères agréent à cette déclaration. Le chef auto-désigné acquiert grâce à eux la force requise pour dominer l’ensemble. De fausse initialement, la proposition devient vraie grâce au renfort d’autres membres du clan : il s’agit là d’un processus de « rétroaction ». Les Hommes de Cro-Magnon (∾ -15 000) se regroupaient ainsi en tribus.

Mais les forces assurant la connectique dérivant de l’instinct ou des « sentiments », se révélèrent vite insuffisantes pour assurer la cohésion d’un groupe important en nombre. Au sein des 12 tribus d’Israël (∾ -1200 ans) l’emprise sur autrui prit un tout autre visage en faisant appel à l’immatériel : l’unité des tribus résidait dans le culte d’un dieu, Yahvé. Une notion insaisissable et indiscutable par le commun des mortels permit de cimenter les communautés. Les plus actifs zélateurs devinrent les puissants ou leurs servants. Dans ce « système » qui se construit, la connectique fait intervenir toutes les caractéristiques des humains, la force, la pensée, les émotions, les calculs, la peur de l’inconnu…mais, de plus, un dieu doué de pouvoirs aussi vastes qu’inconnus.

Constantin (272-337) va peaufiner une forme théocratique du pouvoir en mettant le Dieu chrétien au-dessus de son rôle d’empereur. Ainsi il pouvait s’approprier la puissance divine pour mener à bien ses visées terrestres. La dualité pouvoir divin /pouvoir terrestre se révéla extrêmement efficace pour la cohésion de diverses populations. Le peuple n’échangeait en son sein que des informations utilitaires (connectique faible) tout en se pliant aux forces supérieures du monarque divinisé (connectique forte).

Les systèmes incluant un dieu étaient d’autant plus stables qu’une multitude de processus avec effet de rétroaction pouvaient prendre place. Dans un groupe de païens, l’un d’entre eux pense « Il y a sûrement une force supérieure et invisible ». Le dieu n’existe pas encore car l’effet sur les païens ne se fait pas sentir. Mais le mystère attire les Hommes et quelques coïncidences, que l’on assimile à des miracles, se produisent : les païens se convertissent tour à tour, par mimétisme le plus souvent, par peur de devenir différent, par peur d’une invisible puissance qui les anéantirait. L’oracle voie sa divination confirmée et son influence sur les autres augmentée. Cette emprise lui permet de contraindre les sceptiques qui n’ont pas encore adhérés à sa foi. La proposition diffuse d’une divinité peu crédible, car n’ayant aucune prise sur le réel, devient un Dieu qui existe et qui peut agir ! Il s’agit d’une prophétie auto-réalisatrice.

La structure de « cheffitude » alliant Dieu céleste et absolutisme terrestre dura fort longtemps en France où se succédèrent moult Philippe, Charles, Henri, François pour atteindre l’acmé avec le roi Soleil. Une révolution survint ! La nature des interactions entre les Hommes changea significativement de nature sous l’influence des philosophes et des scientifiques qui s’opposaient à la superstition. La Raison réfutable prit, au moins en partie, la place de la transcendance divine que l’on ne pouvait pas réfuter. La République substitua aux commandements divins les principes, les valeurs morales, les lois, toutes choses pensées et élaborées par les Hommes, pour les Hommes. La Raison, ersatz du divin, était suffisamment crédible pour assurer l’indispensable cohésion de la société. Toutefois, la Raison d’origine humaine peut être diversement interprétée si les valeurs prônées ne sont pas quasiment divinisées comme la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » le fut. La transcription matérielle de la Raison se fit sous forme de lois, de décrets, de règlements… L’adoption de ce tissu réglementaire était soumise à des votations : la Démocratie en naîtrait, avec quelques nuances importantes.

Au sein de la démocratie électorale, les élus ne peuvent pas, même si ils l’aimeraient, se réfugier dans des cieux où ils deviendraient inaccessibles. Ils ne peuvent pas non plus promettre lors d’élections le nécessaire qui est toujours associé à des efforts. Alors pour accéder aux responsabilités, ils organisent des « spectacles » électoraux permettant de convaincre suffisamment de gens émerveillés par le verbe. De nombreux mécanismes de rétroaction sont alors sciemment utilisés. Il faut trouver un processus qui modifie les comportements ou les esprits de telle sorte que la prophétie ou un désir se réalise, bien que ceux-ci ne fussent qu’une possibilité parmi d’autres. Dans ce cas de figure, cause et effet tendent à s’enchevêtrer jusqu’à remettre en cause le principe de causalité qui dit que l’effet ne peut pas précéder la cause. Les prophéties auto-réalisatrices dans le domaine des idées politiques sont courantes et utilisées massivement par les politiciens. Un embryon de proposition, une réforme par exemple, est lancée. Les militants vont tenter, non pas de prouver la pertinence de cette proposition, mais de rassembler tous les éléments qui établissent le bien-fondé de celle-ci en ignorant tous les autres qui ne vont pas dans le sens désiré. La proposition étayée de certitudes claniques permet alors de convaincre plus largement ; les idées de l’individu disparaissent au profit de celles du groupe : un doute devient une certitude partagée. Il ne reste plus qu’à propager la bonne parole parmi le maximum d’électeurs. En conséquence, la « politique » devint essentiellement basée sur l’émotion, le raisonnement mais non pas la Raison. Ainsi, la jalousie, l’esprit de domination, une des innombrables formes de schadenfreude, le désir de vaincre à tout prix, s’immiscent dans ce qui devrait être purement rationnel. Les ressorts sous-tendant le fonctionnement du groupe deviennent proches de ceux déjà présents à l’aube de l’humanité.

La généralisation du capitalisme à l’échelle planétaire survint alors. Les processus de rétroaction constituent cette fois le cœur du système capitaliste : on spécule, le prix monte, on revend. La concurrence est censée réguler le tout. Le capitalisme n’interdit pas la formation de pyramides hiérarchiques, mais il est difficile de créer des dynasties sur le long terme. Le capitalisme ne comporte plus de Dieu, si ce n’est celui que l’on confine dans les églises, plus d’empereur, plus de roi, plus de président, plus de dogme, plus de valeurs morales autres que celles ostensiblement et épisodiquement affichées, plus de pays militairement dominateur, la leçon du colonialisme ayant été retenue… Le capitalisme a une logique propre qui est identique en tout point du globe, pour toute culture, pour tout tissu sociologique. Le capitalisme, d’essence universelle, trouve donc aisément des relais partout dans le monde. Ce système ne comporte plus de structure hiérarchique rigide, et l’amassement du capital, qui est la clé du pouvoir, devient l’affaire de (presque) tous. Une imprégnation sociétale, dans tous les domaines, du Levi’s à iPod, permit d’asseoir la suprématie des promoteurs de ce système. Le désir de « produire vite et consommer beaucoup » supplante toutes les autres formes d’échange. Il n’y a plus de prise de décision proprement dite, le système étant devenu autarcique. La « connectique » entre individus devient quasi-uniquement « guerrière » même si une superficielle rationalité est mise en avant. Le crépuscule de l’humanité s’annonce peut-être et bientôt les tags succéderont à l’art pariétal de nos lointains ancêtres, les murs des banlieues remplaceront la paroi des grottes.


Commentaires

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lundi 28 décembre 2015 à 12h13 - par  Desmodue

Les Hommes de Cro-Magnon (∾ -15 000) se regroupaient ainsi en tribus.

Bon, ça on n’en sait objectivement rien, et bien malin celui qui pourrait se faire le ventriloque ou le porte parole de quelques ossements, la pensée n’ayant pas le bon goût de se fossiliser aussi. Si on reste dans le "matériel" archéologique les premières manifestations de différentiation sociale, notamment par les sépultures, apparaissent au néolithique déjà bien entamé. Et aussi les premiers indices de la guerre, avec des tombes collectives d’individus de tous âges morts de mort violente.

Certes "comparaison n’est pas raison", mais ce qu’on sait des populations de chasseurs - cueilleurs quasi contemporains, inuit du Groenland ou bushmen d’Afrique du Sud, montre des structures sociales très "lâches" et peu hiérarchisées dans des groupes par la force des choses peu nombreux. Bien sûr temporairement un individu peut prendre la direction des opérations par son expérience et/ou sa capacité de convaincre les autres mais ça en reste là.

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