Elle nous l’avait dit au début de l’année, lors de son concert autour de son album précédent, Delicatessen, chroniqué ici même : « Ce soir, ce n’est pas un concert de fado, mais quand je reviendrai chanter en France, ce sera du fado ». Bonne comédienne, elle ajoutait ; « Je serai hiératique ». Et nous avait annoncé l’album qui nous occupe aujourd’hui, sorti au printemps au Portugal, où il continue d’obtenir un franc succès, et disponible en France* depuis quelques semaines. Arrivant du Brésil et passant quelques jours en promotion à Paris (Radio France, Europe 1, Radio Alfa, plusieurs journaux, dont Lusojornal), elle a bien voulu nous confier quelques propos.

Nous avions été étonnés d’apprendre que Misia, probablement la moins amalienne des grandes chanteuses de fado en activité, dédiait un double album au monument du fado que demeure Amalia Rodrigues : pas tellement le genre de la dame de faire dans la révérence. Elle s’explique : « Je n’ai jamais voulu subir l’influence d’Amalia. D’ailleurs, à quoi bon ? L’héritage d’Amalia, c’est Amalia. Inutile de l’imiter. J’ai toujours eu par contre un grand respect pour l’artiste et pour la qualité de nombreux poèmes qu’elle a chantés. Et presque toujours, dans mes concerts de fado, j’ai inclus un ou deux titres illustrés par Amalia. C’est ce respect que j’ai voulu manifester en enregistrant ce double album, quinze ans après sa mort. J’ai pensé aussi que le moment était venu de le faire. Il fallait que j’aie accompli une carrière, ah non, je n’aime pas le mot carrière », « un parcours ? », suggérons-nous. « Oui, c’est cela, mon chemin, mon parcours, qui me donne le recul nécessaire avant d’aborder et de réaliser ce projet ».

Deux cd, donc, l’un où elle est accompagnée par le seul piano de Fabrizio Romano (hors quelques notes de la guitare portugaise de Luis Guerreiro sur le premier titre, Tive um coração, perdi-o, un texte d’Amalia elle-même. Ce premier cd illustre davantage l’aspect sombre, saudadoso, du répertoire d’Amalia, sur les musiques qu’elle a contribué à faire connaître, d’Alain Oulman, Fontes Rocha et Carlos Gonçalves (deux des accompagnateurs d’Amalia). La présence du seul piano fait pour nous référence à une période de la chanson française où quelques grands noms (Juliette Gréco, Léo Ferré, Barbara) avaient choisi cette forme d’accompagnement. Ce n’est pas tout à fait du fado (« D’ailleurs, dit Misia, la musique d’Alain Oulman, ce n’était pas tout à fait du fado, non ? C’était la musique d’Alain Oulman, un monde à part »), mais de la grande, de la belle chanson. Avec, car ainsi est Misia, deux fantaisies dans les deux derniers titre, Rasga o passado, pris sur un rythme de tango (cette musique si cousine du fado) et un hilarant Liboa antiga, créé par Lucilia Do Carmo, popularisé par Amalia, et produit ici avec une sorte de reconstitution du son des vieux 78 tours (« J’avais un mégaphone pour le chanter au studio, précise Misia, c’est en référence aux vendeurs de rue »).

Le second cd de l’album demeure fidèle, lui, aux formes habituelles du fado, avec Luis Guerreiro, l’un des artistes majeurs de la guitare portugaise aujourd’hui, et Daniel Pinto à la viola et parfois à la viola baixa. Il reprend quelques thèmes du répertoire d’Amalia, signés par José Galhardo, Alberto Janes ou Amalia elle-même (Flor de lua) et les enrichit de textes d’hommage spécialement écrits pour ce projet par les talentueux Tiago Torres Da Silva, Mario Claudio, Misia et Amelia Muge, cette dernière ayant la chance de voir servi son très beau poème, Amalia sempre e agora, par un duo entre Misia et l’immense chanteuse brésilienne Maria Bethânia. Un grand moment dans un cd de haute tenue, car, on le sait, ou on devrait le savoir, Misia est une grande chanteuse et une grande fadiste (ou inversement si vous préférez).

*Para Amália (2 CD, édité par Verycords / Warner) Vidéo-clip du titre ’Tive um coração, perdi-o" réalisé par Maria de Medeiros et visible sur https://www.youtube.com/watch?v=bZ5... ou su le site de Misia misia-online.com. Prochains Concerts en France : Grenoble le 9 janvier, Gordes le 3 août, Paris en octobre à La Cigale.