https://www.traditionrolex.com/18 ANA MOURA A L'OLYMPIA : CHARME, EMOTION, ELEGANCE, MAITRISE ET DIFFERENCES - La Gauche Cactus

ANA MOURA A L’OLYMPIA : CHARME, EMOTION, ELEGANCE, MAITRISE ET DIFFERENCES

mercredi 24 février 2016
par  Jean-Luc Gonneau
popularité : 22%

Si le vieux Marceneiro, le maître du fado était encore de ce monde, s’il avait arpenté les rues de Paris ce 19 octobre, événement improbable tant il répugnait à sortir de Lisbonne, et s’il avait croisé Ana Moura, peut-être aurait-il modifié, légèrement, les paroles de son célèbre fado cravo : Foi de viela em viela, no Olympia dei com ela, e fiquei enfeitiçado ». Aurait-il continué ainsi « sob a luz dum candeeiro (des projecteurs, en fait), estava ali o fado inteiro, pois toda ela era fado » ? Pas certain, car si Ana Moura se revendique « fadista da cabeça até os pés », elle revendique aussi le droit à la différence. En témoigne d’ailleurs concrètement la composition de son orchestre : à la guitare portugaise, Angelo Freire, spectaculaire, à la viola, Pedro Soares, André Moreira à la viola baixa, tous deux très sûrs, aux claviers João Gomes, Mario Costa, pertinent, à la batterie, et une guitare électrique dont le nom du détenteur nous a échappé. Et dire que pour Marceneiro, déjà la viola baixa ne lui paraissait pas indispensable… Nous y reviendrons, mais Ana Moura d’abord.

Elle nous avait déjà, voici trois ans, accordé un entretien. Et trois ans plus tard, elle est toujours aussi accessible, simple, amicale même. Un port un peu plus altier peut-être. Dû aux changements de son environnement ? Car Ana Moura est maintenant sous contrat avec une major de l’industrie musicale, Universal, et produite par le très hollywoodien Larry Klein. Mains de fer ? « Non, dit-elle, Universal implique une rigueur dans le métier, mais ne m’a jamais imposé quoi que ce soit dans mon répertoire, ni dans le choix de mes auteurs et compositeurs, ni dans celui de mes musiciens en tournée. Et si Larry, en bon producteurs, peut donner de conseils, il ne les a jamais imposés, c’est un homme inventif et compréhensif). En fait, à partir de l’album Desfado, j’ai eu envie de faire des choses différentes, et mon nouvel album (« Moura ») prolonge ce travail. Pourquoi par exemple chanter des fados déjà interprétés, et brillamment, par d’autres artistes ? Cela dit, je continue et continuerai à chanter des fados traditionnels, avec des paroles nouvelles. Je n’oublie pas les années où je chantais à Senhor Vinho, cette belle maison de fado, où j’ai beaucoup appris et passé des moments de bonheur ». Le concert, enfin.

En première partie, le chanteur et compositeur angolais Toty Sa’Med (qui a composé une chanson pour Ana Moura) occupe la scène seul avec sa guitare et propose quelques plaisantes chansons angolaises des années 1960/80, mêlant Afrique, Portugal et Brésil. Puis les musiciens d’Ana Moura s’installent. Une voix dans la salle entonne un « parabens p’ra você », bientôt repris par d’autres : Angelo Freire a 27 ans ce jour là, et des fans dans la salle. Puis Ana Moura commence le concert, tiens donc, avec la musique du fado cravo, sur un beau poème, Moura Encantada, de Manuela de Freitas. Ana Moura chante admirablement le fado cravo. Et ce soir là, elle a du mérite, car un bug sonore transforme les interventions (discrètes sur l’album, quoique à notre sens pas du tout indispensables) en énormes flatulences. Comme le disait mon mai João Silveirinho, volontiers polémiste « quand tu mets de la religion dans la politique, tu es sûr d’avoir le bordel ». Qnd tu mets de l’électronique dans le fado, cher João, tu es sûr… Ana encaisse avec courage (maîtrise, on vous dit). L’incident sera réglé pendant tout le reste du concert et la guitare électrique se fera discrète (mais toujours aussi peu indispensable). Peu de fados traditionnels ? Aux deux figurant dans l’album, Ana en ajoutera deux ou trois chantés avec le seul trio de guitares acoustiques, reprendra certains de ses succès devenus partie du répertoire général fadiste (Os Buzios, Desfado, Sou do fado…) enverra un salut aux mânes d’Amalia qui tant de fois se produisit ici, avec « Valentim ». A ce propos, certains titres de l’album se situent dans la lignée, revisitée, des chansons d’Alberto Janes ou Arlindo de Carvalho composées pour Amalia, issues du folklore ou des « marchas » lisboètes.

Bref de quoi faire oublier, outre le ratage initial, bien indépendant de sa volonté, les quelques facilités musicales ou poétiques (Cantigas de abrigo, un peu bluette sentimentale, ou Tens os olhos de deus, qui pourrait faire bonne figure dans un grand prix du slow de l‘été (de Pedro Abrunhosa, auteur d’un autre titre de ce concert, Agora é que é, de très belle facture et d’un humour mordant) ; surtout qu’à ces quelques exceptions près, nobody’s perfect, le chois des poèmes d’Ana est très sûr. Maîtrise, avions-nous dit, émotion, servie par cette voix dotée d’un voile assez jazzy (message perso : Ana, à l’occasion, vous devriez nous faire une version fadisée de Dream a little dream for me), charme et élégance bien sûr (« qu’est-ce qu’elle est belle », dit ma jeune voisine qui pourtant en a vu d’autres), et différences, que nous avons évoquées : Ana Moura sait prendre des risques, avec les aléas que cela comporte, c’est le propre des grand(e)s artistes. Et, n’oublions pas, autre moment d’émotion, Ana proposa, et obtint évidemment, une minute de silence à la mémoire des victimes de l’attentat du Bataclan. A bientôt, Ana !

(Article paru également dans Lusojornal du 24/02/2016 www.lusojornal.com)


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