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TRIBUNE : LE SYNDROME PRIMAIRE, et que faire du poison présidentiel

jeudi 24 mars 2016
par  Marc Mangenot
popularité : 12%

La gauche manque d’imagination. Je ne parle pas de ceux qui gouvernent. Ils n’ont même plus le vernis « gauche », bien qu’ils persistent à usurper leur appartenance au courant émancipateur.

Primaire ?

Dans un grand désarroi, une partie de la gauche s’engouffre dans une opération primaire. Avec en bandoulière la critique du présidentialisme. Quelle dérision. Ce fourvoiement fait peine à voir. Si ce n’était dramatique, il suffirait d’en rire pour convaincre que ce n’est même pas un truc de prestidigitateur pour faire sortir une gauche (laquelle) de la nasse en osier où elle est faussement dissimulée, ce que l’électeur appelé à la rescousse n’aperçoit évidemment pas. Cette gauche aurait la figure d’un homme ou d’une femme, personnage candidat qui incarnerait le renouveau et serait « choisi » au terme d’une joute, forcément triste et joyeuse en même temps. N’est pas illusionniste qui veut.

La question n’est pas simple dirait l’âne de Buridan. Mais qui peut croire à la pertinence d’une démarche qui conforte ce qu’elle prétend combattre : le présidentialisme, une constitution-carcan maintes fois remaniée de la pire des façons (le mandat de cinq ans avec élections législatives dans la foulée, modification pour se soumettre au traité de Lisbonne, en dépit de la victoire du Non le 5 mai 2005). Voilà un jeu politique spécieux et dangereux qui consiste avec la « primaire » (totalement primaire) à masquer ce fait terrible : la remise dans les mains d’une seule personne de pouvoirs exorbitants. Pouvoir dont l’usage est (de plus en plus mortifère) pour la démocratie, pour la sociale, pour le bien public. D’aucuns envisageraient même d’élargir le champ de l’opération au titulaire actuel du château et à ses affidés ! À croire que la recherche d’un sauveur (ou d’une salvatrice) serait un axe militant pour la gauche d’émancipation, et non pas un attribut de la droite jusqu’à son extrême, social-démocratie totalement dévoyée incluse.

Sortir du piège

Pourquoi donc vouloir entrer dans la campagne présidentielle ? Pourquoi en rajouter avec cette manière primaire qui fait prendre des vessies pour des lanternes ? Qui fait croire qu’avec une opération primaire préalable l’élection présidentielle réelle deviendrait démocratique ! Est-il possible de sortir du piège qui se referme à mesure que l’on s’agite comme l’animal pris au coller ? Est-il possible de briser le carcan anti-démocratique de la 5e République finissant dans la déroute ? La question est certes difficile, épineuse. Il me semble qu’il y a au moins une solution radicale susceptible de redonner l’espoir et de mobiliser : mener une campagne tambour battant, avec de multiples comités locaux, pour une 6e République ou pour une République sociale et démocratique. Mener cette bataille sans candidature à la présidentielle. En faire des Etats Généraux populaires, décentralisés, dont l’objectif serait de dire « non, on ne joue plus, assez de faux-semblants ». Refuser le simulacre pour discuter, élaborer ce que pourrait être un cadre démocratique. Toutes celles et tous ceux qui espèrent et souhaitent une politique sociale digne de ce nom, une politique culturelle pour le plaisir et l’émancipation de tous, une politique économique qui ne soit plus soumise au capital, une politique de relations internationales qui ferait de la paix, de la solidarité et de la coopération un axe essentiel, tous ceux-là devraient être convaincus que cette ambition n’a aucune chance d’aboutir dans le cadre constitutionnel existant.

L’autre aspect d’une telle campagne pourrait consister à organiser des débats pour des candidatures communes aux législatives, porteuses à la fois d’un programme du type éco-socialiste et d’une architecture démocratique pour une nouvelle constitution. Il y a déjà pas mal d’expériences dans l’histoire de ce pays et dans beaucoup d’autres, pour envisager sérieusement de redonner du sens à la construction collective, à la fabrique du commun. Bref, pendant que d’autres s’étriperont sur le terrain de la non-démocratie, il serait pertinent de mener une campagne de fond, de mobiliser, non pour entraîner les foules, mais pour leur donner la parole, pour permettre à chacun et à chacune de participer à une aventure politique nouvelle. Pour déterminer un cadre sans lequel toute velléité sociale serait vouée dans le meilleur des cas à rester dans la case « utopie ».

Cela suppose que des formes nouvelles du débat soient inventées, en s’inspirant, par exemple, de la campagne 2004/2005 (référendum TCE), mais aussi de la Grèce –en dépit du résultat présent, de l’Espagne, et même de 1789/1793 pour remonter plus loin. Cela suppose que toutes les questions soient ouvertes, investies, soumises à la réflexion, en informant, en échangeant, en ne fuyant pas les contradictions ni les questions difficiles, en donnant et en partageant des informations et des éléments de connaissance qui seraient autant d’éléments de construction collective dessinant une autre manière de faire société, loin de la doxa productiviste et de la théorie qui fait du profit l’agent moteur de l’activité économique voire, par prétention, de toute la vie sociale et civique. Pour cela rassembler est nécessaire. Rassembler sur la base d’un projet qui n’est pas à prendre ou à laisser, mais à construire, façonner, perfectionner durant la campagne. Irréaliste ? C’est à voir. Et avant de voir, à débattre.

Populaire ne veut pas dire démocratique

L’élection présidentielle est – en France, mais pas seulement- celle qui suscite la plus forte participation du corps électoral. Cet engouement devrait poser problème. Au contraire, c’est par ce fait moutonnier prétendument irrésistible que beaucoup estiment qu’il n’est pas possible de ne pas être présent à cette élection. Ce serait, pensent-ils, laisser le champ libre aux réactionnaires et autres conservateurs. La pensée dominante à gauche (gauche de gauche, gauche pour la transformation sociale) dit que nécessité fait loi, sans convaincre, ni être convaincue, d’où la force du discours électoral utilitaire. Le risque serait trop grand d’être balayé du champ politique. C’est vrai, mais la gauche (la gauche) n’y est déjà plus et a perdu beaucoup de ses capacités à penser et à s’organiser, notamment en participant sans recul vraiment critique aux campagnes présidentielles. Populaire ne veut pas dire démocratique. C’est là l’aspect le plus cruel et le plus mortifère du piège présidentiel. Participer à cette élection resserre encore plus le piège. Y ajouter une primaire aggrave l’emprise idéologique du système.

L’élection présidentielle est en effet au fondement d’un système qui consiste à chasser le peuple du terrain politique, à signifier l’insignifiance de la démocratie. De la démocratie, les groupes dirigeants coalisés (grande bourgeoisie et caste politique, pour le dire brièvement), en dépit de leurs rivalités, n’en ont nul besoin. Le marché et le pouvoir leur suffisent. Ils doivent cependant donner le change. Pour cela ils ont besoin de parader, d’organiser grand-messes, de faire croire au bon peuple qu’il est vraiment appelé à se prononcer. Ils invitent qui le souhaite à participer à tous ces simulacres. On achève bien les chevaux. Le tout dans un climat de concurrence plébiscitaire généralisée, de défaitisme, de désarroi, de fatalisme. Le fatalisme : « ils » ont tout fait pour l’installer dans les consciences. TINA (il n’y a pas d’alternative) n’est pas qu’un slogan, c’est une formule, pernicieuse, appliquée à tous les domaines du champ social et politique

Foin du collectif que des primaires ne sauraient effacer. Pire, en forme de leurre, elle l’éloigne encore plus. Tout le monde est appelé à jouer. Mais les dés sont pipés et, à la fin, « qui c’est qui gagne » ? Pas la démocratie, ni le projet émancipateur.

Engager une bataille pour la démocratie, pour une constituante

Participer à cette élection c’est courir le risque de renforcer le système combattu. Organiser des primaires est une illusion démocratique, une auto-duperie, une manière de conforter ce que l’on combat. Des candidatures sont déjà lancées. Certaines portent dans leur programme le projet d’une 6e République sociale, autrement dit un autre cadre constitutionnel pour la vie politique organisée sur des bases démocratiques. C’est par exemple le cas de Jean-Luc Mélenchon et du Parti de Gauche. Plutôt que servir d’alibi à un système anti-démocratique, ne vaut-il pas mieux, avec tout le mouvement contestataire porteur du projet éco-socialiste, engager dès maintenant, une insurrection démocratique, une immense campagne pour une constitution démocratique et sociale, pour un cadre novateur, pour le débat, l’innovation, la délibération, le contrôle ? Le temps presse. L’urgence n’est pas ou n’est plus de jouer à ce jeu mortifère. Le rythme électoral, présidentielle suivie des législatives, participe du piège excluant le peuple, lui faisant croire qu’il est souverain et que, de plus, il a le privilège d’élire le commandant suprême. Or, sauf erreur de lecture, « l’heure du peuple » programme-titre du Parti de gauche ne peut advenir si la bataille s’englue en tombant dans le guet-apens tendu par la 5e République et ceux qui s’en servent.

Une constitution ne vaut que par l’usage qui en est fait. L’Histoire regorge d’exemples montrant qu’une belle constitution peut servir de couverture aux pires ennemis de la liberté et du progrès social. Mais quand un texte constitutionnel est mauvais, c’est pire. C’est un verrou. Le cadre constitutionnel français actuel laisse peu de place pour l’exercice de la démocratie. Le marché, sa bible, y impose sa loi. Le pouvoir exécutif limite outrancièrement le pouvoir législatif. Réformer la constitution est un préalable. La réformer, c’est-à-dire la changer, en mobilisant l’énergie créatrice et l’intelligence collective du peuple est une condition sine quoi non pour recréer une gauche de transformations sociale, multiple, combative, puissante et, ce faisant, inventer une architecture démocratique à toutes les échelles et dans tous les espaces où se produit du commun.


Commentaires

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lundi 11 avril 2016 à 17h49 - par  denise

je suis OK avec toi Marc, le parti socialiste au pouvoir n’est pas un parti de gauche.....oui, il faut changer la manière de "diriger" la France ! tu as mille fois raison, vive la 6ème République et ce que nous voulons en faire !

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