ETAIT-IL NECESSAIRE DE « TIERS-MONDISER » L’EUROPE ?

vendredi 26 août 2016
par  Jacques-Robert Simon
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Désindustrialisation, déclassement social, immigration, inégalités croissantes, systèmes politiques à bout de souffle, des peuples sous tutelle : les crises succèdent aux crises, les drames s’ajoutent aux catastrophes. Les démocraties semblent minées de l’intérieur et semblent en voie de tiers-mondialisation : quel monde prépare-t-on ? En 1973 se produit le premier choc pétrolier, il ne sera plus possible dès lors d’ignorer que la consommation frénétique d’énergies fossiles ne pourra pas durer éternellement. Les derniers soubresauts de la décolonisation de la grande majorité du monde par les principaux pays européens s’achèvent à la même époque : l’Europe, semble-t-il, abandonne sa soif de conquêtes territoriales. Le Produit Intérieur Brut (PIB) par habitant de la France va cependant continuer à augmenter après les tumultes des années 1970. Le rythme de croissance est certes plus modéré qu’auparavant et est ponctué par des crises boursières, des bulles internet, des chocs pétroliers, de krachs immobiliers… Dans le même temps, l’Afrique subsaharienne tente à grand-peine de se désengager de la misère où elle se trouve, le PIB par habitant diminuant même entre 1975 et 1995. L’Europe au début du nouveau millénaire, tout comme l’Amérique du nord, étaient repus. Mais leurs systèmes économiques n’étaient plus fondés sur la nécessité mais sur une très inégalitaire consommation du superflu. Les écarts de pouvoir d’achat entre classes sociales s’accentuaient considérablement, cachés par la mise en avant de minorités socialement exclues. Des technologies anciennes mais améliorées permettaient de larges échanges d’informations avec facilité. La conjonction de ces paramètres a conduit à une accélération des échanges à l’échelle mondiale : la mondialisation. Le caractère financier de celle-ci est vite devenu apparent car elle a conduit à optimiser les placements financiers en abandonnant les capacités de production industrielle aux pays « émergents » pour se concentrer sur le secteur tertiaire, les services. Les sociétés occidentales érodées par le poids des ans s’entourent de plus en plus de boucliers contre l‘imprévisible grâce à des règlements, des arrêtés, des assurances, ceci contribue à rendre compliqué le moindre acte du réel ce qui tend à développer démesurément le secteur tertiaire. L’Europe et les Etats-Unis dénués de mains se pensent donc en « cerveau » de la planète, laissant aux pays plus ou moins émergents le soin de faire les productions matérielles dont ils ont malgré tout besoin. La révolution dite numérique s’inscrit dans dette logique : il s’agit de remplacer le réel par le virtuel, le matériel par l’image, le fait par le pensé. La destruction des industries européennes n’est pas la seule dévastation subie. Les valeurs propres à l’histoire de l’Europe, son sacré, sont incompatibles avec la loi du plus fort que l’on installe pourtant grâce à des dirigeants emplis de certitudes, imbibés d’une idéologie qui bannit l’autoritarisme mais qui le pratique. Le forgeage des opinions par les médias et la plupart des discours universitaires en tiennent lieu. Le message est toujours le même : les nantis tirent un chariot appesanti par des masses de pauvres incapables de se prendre en charge. Le tout noyé dans des hymnes à la modernité, aux nouvelles technologies qui permettront l’impensable. Ce martelage aussi bien économique qu’intellectuel se répandant, une voie vers une paix universelle et harmonieuse est-elle trouvée ? La guerre de Corée (1950-1953), la crise libanaise (1958), l’invasion de la baie des Cochons (1961), l’intervention en République dominicaine (1965), la Guerre du Viêt Nam (1964-1973), l’envahissement du Panama (1989), la guerre du Golfe (1990-1991), l’intervention en Bosnie (1990), l’invasion de l’Afghanistan (2001-2014), l’intervention aux Philippines (2002), la guerre d’Irak (2003) sont les conflits armés les plus connus impliquant les Etats-Unis et les occidentaux. L’état de guerre est donc constant et les épisodes actuels concernant l’État Islamique n’est que le plus actuel. Le rôle de gendarme du Monde accordé aux Etats-Unis n’est d’ailleurs pas contesté puisque ils ont, de loin, la première armée de la planète. La guerre, les atrocités, correctement médiatisées, sont un extraordinaire ciment pour une nation ou un ensemble de pays. L’ordre doit régner impérativement : la primauté absolue est donnée à la défense d’un peuple. Pour ce faire il faut que ce peuple existe. La mondialisation permet de rendre semblable des gens différents, le peuple défendu devient celui de la modernité planétaire. Le start-upper aux baskets orange est le même à Dubaï, Denver ou Londres. Le modernisme est certain, mais est-ce un progrès, c’est à dire une anticipation intelligente d’un futur prévisible ? L’Europe n’a jamais laissé les marchands libres de leurs actes dans le temple : Dieu puis l’église et enfin la République veillaient. Une société d’économie mixte s’installa après la seconde guerre mondiale en France. Des grandes écoles recueillaient après une sélection sévère mais non tribale des étudiants qui se destinaient aux grands corps d’État. Ceux-ci fournissaient le cœur dirigeant d’établissements à caractère scientifique, technique et industriel comme le Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA). Cette organisation n’a en rien failli si ce n’est qu’elle n’entrait pas dans le moule des institutions supranationales : l’évaluation des structures ne s’est pas faite selon un critère d’efficacité, de créativité, de performance mais en suivant un choix idéologique. Peu à peu, on a amoindri pour ne rien mettre à la place. L’économie mixte se transformait en pure économie de marché sur laquelle les politiques n’avaient plus aucune prise si ce n’est par l’édition de normes ou de règlements. La transition écologique, le véritable défi du XXIième siècle se fera sans les élus, sans les citoyens avec les seuls marchés pour prendre les arbitrages stratégiques indispensables. Des frontières quasiment disparues pour les capitaux comme pour les informations, quand est-il de la mobilité des populations ? Depuis toujours, les universitaires et les artistes ne se sont pas souciés de l’endroit où ils étudiaient ou travaillaient : il s’agissait d’une infime minorité de la population qui de plus apportait agrément ou utilité aux endroits où ils se rendaient. Les mouvements devinrent beaucoup plus massifs (et inévitables) lorsque ce furent les différences de richesses et de systèmes de protection sociale qui guidèrent le choix de migrants. Être pour ou contre ces flux n’a pas plus de sens que de refuser les marées haute et basse de la mer. La seule question que l’on doit se poser est : l’organisation locale de protection des plus démunis pourra-t-elle résister à un afflux massif de populations exogènes ? Poser la question c’est y répondre : les systèmes collectifs et nationaux de protection sociale sont appelés à disparaître au profit d’entreprises privées qui seules pourront trier leurs clients sans encourir le courroux d’électeurs. Le cosmopolitisme l’impose. Pour qu’un équilibre stable au niveau planétaire soit atteint, il faut que les coûts de production soient les mêmes dans la plupart des pays du monde. Personne n’a pu penser que les salaires français pourraient un jour être alignés sur celui des pays les moins développés. Il fallait donc envisager une diminution du niveau de vie en Europe. Une division internationale du travail dans laquelle les occidentaux fourniraient la matière pensante n’a strictement aucune chance de pouvoir garantir pour tous le niveau de vie actuel. Les restrictions atteindront peu à peu les occidentaux avec comme seule croissance les inégalités : la Tiers-Mondialisation de l’Europe s’installait, s’installe, s’installera. Cette tiers-mondialisation implique des inégalités croissantes car aucun contrefeu au pouvoir financier n’est possible. Le citoyen fut transformé en consommateur même lors des élections et ceux qui avaient accès aux médias ne manquaient pas de souligner la rusticité des individus qui ne leur ressemblaient pas : l’Homo sapiens (savant) ne faisait que coexister avec une espèce plus rudimentaire dans les banlieues. Une voix n’était plus égale à une autre : le meilleur des mondes s’imposait. Ce meilleur des mondes rencontre quelques difficultés : la montée très sensible des nationalismes dans beaucoup de pays et pas seulement en Europe, due moins à la xénophobie qu’à l’appréhension d’un déclassement et à la peur de voir s’installer une religion peu connue pour sa tolérance. Ceci n’engendre pas une réelle anxiété chez Droopy, le chef du monde, car il sait bien que le pouvoir est bien plus entre les mains du monde financier que dans celui des élus. Était-il nécessaire de détruire notre outil de production, de condamner nos philosophes à des pantomimes télévisuels, de réduire une éthique à des déclarations, de mener des guerres avec la seule ambition de créer de nouveaux ennemis ? Ou bien aurait-on pu mettre en avant le collectif sur l’individu pour les biens sociaux, considérer les citoyens comme des être pensants auxquels on doit des explications et pas des parades de paon, construire le futur avec les autres peuples et non pas contre eux … Peut-être … Mais de toute façon ce n’est pas le numérique qui aidera à devenir moins narcissique et avide de jouissances, ce qui semble pourtant nécessaire.


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