LE BŒUF, L’AIRBUS ET EMMANUEL MACRON

jeudi 25 janvier 2018
par  Marc Mangenot
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Aux États généraux de l’agriculture, le 12 octobre 2017, M. Macron s’est fendu d’un discours plutôt prometteur, un discours de circonstance cependant, adapté à un public qu’il souhaitait ne pas décevoir à défaut de le convaincre. Mais, les bonnes intentions émises et les mesures intéressantes proposées sont contredites par les théories auxquelles il se réfère plus ou moins explicitement et par les décisions politiques qu’il a prise ou s’apprête à prendre ou à faire endosser par son gouvernement.

N’a-t-il pas affirmé que le gouvernement français s’engagerait à signer le CETA (accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne) ? La majorité docile à l’Assemblée nationale le permet. Prudent et probablement circonspect sur certains aspects de ce traité, le Président a néanmoins confié à une commission d’experts le soin d’évaluer toutes les conséquences de l’application du CETA. Les réponses aux questions soulevées par les experts seront (précise-t-il) rapportées et traduites en actes. Fort bien, bien que le travail des experts soit préféré à celui des organisations associatives et syndicales qui ont beaucoup produit sur la question. Question de démocratie.

Dans le discours prononcé lors des États généraux de l’agriculture, M. Macron a donc avancé des propositions qui pourraient répondre positivement à nombre de problèmes économiques, écologiques et organisationnels de la production agricole et des filières de transformation alimentaire. Il a bousculé, au moins verbalement, les principes des politiques agricoles suivies depuis des décennies et mis en cause les pratiques agricoles dominantes. Il a même évoqué la nécessité de « décider collectivement d’un changement profond de paradigme ». La question des prix et de la juste rémunération des producteurs (paysans) a été l’un des points clés de son discours. Comme « le marché dérive et perd sa propre finalité » (en effet, très décevant pour un libéral), il suggère que les prix soient déterminés à partir des coûts de production, dans le cadre d’une contractualisation organisée sur la base de propositions formulées par les agriculteurs et non plus par les acheteurs (les transformateurs et la distribution), et ce, sur une base pluriannuelle. M. Macron a bien conscience que le rapport de forces n’est guère favorable aux paysans aussi incite-t-il fortement les paysans à se regrouper, laissant penser (en quoi il n’a probablement pas tort) que cela pourrait modifier le rapport de forces, en l’occurrence avec l’industrie de transformation et la distribution.

M. Macron va plus loin et semble ainsi être acquis aux positions les plus progressistes dans le domaine de l’agriculture. Il faut, déclare-t-il, « maintenir notre tissu industriel et agricole -dans son état de délabrement actuel ?- pour être à la hauteur des défis de notre souveraineté alimentaire ». Se référer à la notion (et à l’objectif) de souveraineté alimentaire est inhabituel chez un chef d’État ou de gouvernement. Pourquoi pas. Mais, il est convaincu et tente de convaincre que la concurrence doit être libre et peut ne pas être faussée. Aussi, ajoute-t-il, qu’il souhaite que l’Autorité de la concurrence (encore le recours aux « experts ») puisse être saisie pour donner une interprétation précise du droit de la concurrence et permette (ainsi) de négocier dans un cadre clair. Cette entorse aux règles de la concurrence, qui n’est pas pour déplaire, viserait à pouvoir discuter des prix et des volumes, en s’affranchissant du diktat des firmes industrielles et de la distribution. Comment cela se passerait à l’échelle internationale, dès lors qu’il « faut être à la hauteur des goûts de nos concitoyens ou des défis à l’international » ? Cela n’est pas précisé. Laissons aussi de côté le style et la syntaxe, c’est du langage parlé, bien venu pour séduire un public rétif a priori (ONG, syndicats de paysans, dont la Confédération paysanne). Retenons que le Président, chef des Armées par ailleurs, veut faire passer le monde paysan « d’une logique de guerre de position des uns contre les autres à une guerre de mouvement collective ».

Nanti de ces belles envolées et résolutions, le voilà parti en Chine d’où il est revenu avec des résultats potentiels, notamment : de très gros contrats pour Airbus, Areva et vente à la Chine d’une belle quantité de viande de bœuf. La Chine ayant donné son accord pour lever l’interdiction d’importer de la viande bovine française, mesure prise en 2001 après la crise de la « vache folle ». En échange de quoi les investissements chinois en France seront facilités, voire encouragés. Dans les faits, les capitaux chinois n’ont pas attendu M. Macron.

Si la croissance des transports aériens n’est pas ce qu’il est convenu de considérer comme un facteur favorable à la lutte contre le réchauffement climatique, celle du développement des échanges commerciaux à longue distance ne l’est guère plus, au contraire. Lyrique, bucolique, le Président de la République estime qu’il faut renforcer la « capacité de nos territoires à se projeter, à conquérir le vaste monde » (discours du 12 octobre, souligné par moi). Retour donc à la sempiternelle théorie, en rien démontrée, que la croissance du commerce mondial est un vecteur essentiel favorisant la production (la croissance !) et l’amélioration des niveaux de vie de par le monde. Retour aussi au chant du coq : la France a vocation à nourrir le monde. Cocorico.

Bref, le voyage du Président en Chine est un reflet des contradictions du discours prononcé aux États généraux de l’agriculture. Dans ce discours, en effet, qui dit des choses justes et inclus des promesses intéressantes, bien qu’insuffisantes, il y a des contradictions que les résultats (à confirmer et à préciser) du voyage en Chine mettent bien en évidence, si on veut bien regarder au-delà des effets d’annonce.

Conséquences manifestes de la croissance (rapide) du commerce mondial, mais pas uniquement de cette croissance : délocalisations, spécialisations, concentration des moyens entraînent la disparition de la petite et moyenne paysannerie au profit de l’agriculture industrielle managériale, tant dans les pays d’exportation que dans les pays d’importation.

Tour cela est très loin de la souveraineté alimentaire et de l’objectif de nourrir ses propres populations avec de la production locale, dans la limite des conditions de possibilité pédologiques et climatiques. L’importation de produits agricoles tend à transformer les habitudes culturelles et alimentaires des populations locales et conduit à la ruine les agricultures notamment des pays du Sud. Pour le dire plus directement, s’agissant de la France, les éleveurs ont-ils besoin de devenir massivement exportateurs pour « sauver » leur activité et voir garantis des revenus meilleurs et plus stables qu’aujourd’hui ? Pourquoi chercher à produire plus pour exporter plus ? M. Macron ne connaît que le commerce et la « libre » concurrence, qui consiste en l’occurrence à ne pas se laisser distancer par les Etats-Unis et à tenter de devancer les autres européens … en Chine. Rien à voir avec la souveraineté alimentaire, qui suppose qu’on ne soumet pas les pays tiers à une politique susceptible de mettre à mal leur propre souveraineté. La souveraineté alimentaire n’est pas le repli sur soi. Cependant, elle n’est pas fondée sur le commerce international guidé, non par la satisfaction des besoins des populations locales, mais par la puissance des grandes firmes de l’agro-alimentaire. Rien à voir avec la démocratie. Rien à voir avec une coopération internationale qui ferait porter les échanges sur les complémentarités et non pas sur les excédents des désastreuses monocultures.

Désastreuses socialement (désertification des campagnes, urbanisation débridée, concurrence par le bas rabotant les revenus du travail, santé en danger), désastreuses économiquement (délocalisation d’activités productives, déséquilibre des balances commerciales, mono-activités créant des dépendances durables, chômage endémique), désastreuses écologiquement (épuisement des sols, gaspillage de l’eau, pollution de l’atmosphère, des mers, des nappes souterraines et des eaux de surface, pertes irréversibles de la biodiversité, multiplication des transports non justifiée), désastreuses politiquement (démocraties déjà mal en point, de plus en plus factices au profit des « experts » et du « marché », marché dominé par les grandes firmes de l’économie et de la finance). Désastres et coûts cachés supportés par l’ensemble des habitants, les firmes affichant des marges bénéficiaires considérables.

Un fin connaisseur de l’agriculture mondiale affirme que « notre modèle agricole mondial est à bout de souffle -fondé qu’il est sur l’usage intensif des intrants chimiques » (Olivier De Schutter, rapporteur spécial à l’ONU du droit à l’alimentation – Le Monde 29.04.2014). Des solutions existent. Ces solutions s’opposent sur l’essentiel aux options portées par M. Macron qui ne font et ne feront qu’aggraver une situation déjà délétère. Pour l’agriculture, l’élevage, la pêche, la forêt, un changement de cap est nécessaire, ainsi qu’une nouvelle coopération internationale, organisée avec de nouvelles règles, fondée sur des finalités sociales et culturelles auxquelles le développement actuel des échanges mondiaux tourne le dos. De plus, contrairement à ce qu’affirme (et croit) M. Macron, il agit sous l’influence des grandes firmes mondiales. La marge de manœuvre sur laquelle il s’appuie est faible et s’inscrit dans le sillage des stratégies du capitalisme mondial. Pour le dire autrement, la croissance du commerce mondial résulte de politiques soumises, en rien de politiques publiques autonomes, ni sur la plan national, ni sur le plan international ’1).

Nul besoin, lorsqu’aucune nécessité ne l’exige, de favoriser les transports longs de marchandises, encore moins les multiples passages de frontières, ce qu’exige la production de plus en plus morcelée : par exemple, les naisseurs en France, les engraisseurs en Italie, les transformateurs de nouveau en France ou ailleurs ; autre exemple : « les porte-conteneurs européens remplis de pommes croisent dans l’Océan Indien des porte-conteneurs chinois remplis de pommes pour l’Europe » . Les exemples abondent dans tous les secteurs d’activité, agriculture incluse.

Regroupés dans la Confédération paysanne, des éleveurs conscients de leurs problèmes et des questions sociales, environnementales, internationales, demandent que l’on renonce aux trompeurs et sacro-saints facteurs de compétitivité, aux bienfaits supposés du commerce international exponentiel, à l’exportation de viande en Chine ou ailleurs, au recours à la main d’œuvre sous-payée et maltraitée. Car disent-ils « l’élevage est primordial pour le développement d’une agriculture paysanne respectueuse de l’environnement » ; il participe à l’équilibre des écosystèmes (Campagnes Solidaires, n° 335, janvier 2018). De leur point de vue, la baisse de la consommation de viande en France n’est pas une mauvaise nouvelle pour la santé. Mieux vaut mettre l’accent sur la qualité de l’élevage et de la transformation, ce qui favorise l’emploi. Voilà qui mérite d’être sérieusement pris en considération, plutôt que d’être flatté par un langage aussi habile que démagogique. L’exportation de viande de bœuf vers la Chine, n’en déplaise au Président, n’est pas la solution. C’est au contraire aggraver les problèmes, encourager à produire « moins cher », en utilisant pesticides et antibiotiques. L’augmentation des transports à longue distance que cela induit contredit aussi le partisan déclaré de la lutte contre le réchauffement climatique.

M. Macron doit choisir : souveraineté alimentaire, relocalisation des productions, revenu décent pour tous, lutte contre le réchauffement climatique ou développement incontrôlable du commerce mondial avec son cortège d’inégalités croissantes et ses conséquences calamiteuses pour la planète.

(1) Voir, par exemple, le rapport de l’OCDE sur les économies interconnectées, édité pour la réunion du Conseil au niveau des Ministres (29 et 30 mai 2013).

(2) Lettre ouverte adressée, le 12 décembre 2017, aux gouvernements réunis à Buenos Aires à la conférence ministérielle de l’OMC par une pléiade d’agronomes, d’économistes, de responsables associatifs et syndicaux…


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