IMMIGRATION

vendredi 10 mai 2019
par  Jacques-Robert Simon
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Le 27 Octobre 1985 Jacques Chirac Maire de Paris débat avec Laurent Fabius Premier Ministre au sujet de l’immigration. Chirac propose une extrême fermeté car, selon lui, 42% des délinquants sont étrangers, un tiers des gens en prison, 73% des trafiquants de drogue. Il propose en conséquence l’expulsion des clandestins et des contrôles d’identité rendus efficaces grâce à une carte infalsifiable... Fabius, à une ou deux exceptions, donne son plein accord à ces propositions. La part des immigrés dans la population n’a cessé d’augmenter depuis la fin de la seconde guerre mondiale, avec cependant une « pause » entre 1970 et 2000 suivie d’une forte augmentation ensuite. Aux élections présidentielles de 1974 Le Pen obtint 0,75%, sa fille obtiendra 34% au second tour de ces mêmes élections.

Immigration, la simple utilisation du mot permet à chacun de fourbir ses armes pour abattre l’adversaire. Les immigrés eux-mêmes ont peu à voir avec ce comportement : il s’agit de bannir les uns, bénir les autres, afin de délimiter des camps : les populistes et les progressistes, par exemple. Et si tous, malgré les dires et les postures, n’étaient animés que par leur seul intérêt ?

Il est maintenant acquis qu’il existe deux France qui ne se connaissent pas ou plus, qui n’ont plus les mêmes repères, qui n’habitent pas au même endroit, qui n’ont pas les mêmes revenus et le même bagage culturel. Nous les nommerons CSP+ ou CSP- (CSP : catégorie socioprofessionnelle) par souci de concision.

Les CSP+ occupent les échelons les plus hauts de la pyramide sociale, ils ont un bagage universitaire important et des revenus en conséquence. Ils habitent dans les centres villes où ils peuvent retrouver des semblables dans des lieux sociaux taillés sur mesure alliant cuisine exotique raffinée, décor minimaliste, musique branchée, lectures du jour. Ils se sont détournés des valeurs traditionnelles (famille, religion, patrie) auxquelles ils n’attachent plus aucune importance pour se consacrer à l’optimisation des relations et des plaisirs. Ils font du sport, du jogging, de la patinette, du vélo et fréquentent volontiers les clubs de fitness (surtout pour y faire des rencontres). Ils téléchargent avec avidité les applications derniers crus qui leur permettent de découvrir de nouvelles réalités virtuelles. Ils votent massivement pour Macron et sont repliés sur eux-mêmes malgré une apparente ouverture car même à l’étranger ils ne fréquentent que leur monde.

Les CSP- sont des ouvriers et des employés vivant dans la grande périphérie des métropoles. Leur salaire oscille entre 1 et 1,5 fois le SMIC. Les plus âgés ont pour idole Johnny Halliday, les plus jeunes préfèrent Lady Gaga (Are you happy girl…). Ils ne vont jamais au Musée, peu au cinéma, ne lisent pas, boivent souvent beaucoup, utilisent communément le shit pour apaiser les moments d’angoisse. Ils utilisent leur voiture pour aller travailler souvent à plusieurs dizaines de kilomètres de leur domicile. Ils n’ont jamais vraiment cru en une justice divine mais ils faisaient jadis semblant, ils ont davantage adhéré au Parti qui se disait leur représentant, mais ce temps est fini. Ils ont adopté les mœurs de l’époque sans se rendre compte qu’elles n’étaient pas taillées à leur mesure, qu’elles les fragilisaient plus qu’elles les satisfaisaient. Les CSP- votent FN (maintenant RN).

Les réactions à un apport important de populations étrangères vont être très différentes selon que vous êtes CSP+ ou CSP-, non pas parce que les uns seraient génétiquement plus humanistes et à même de faire des analyses intelligentes que les autres, simplement parce que les deux catégories vont suivre leur intérêt.

Un apport de populations étrangères au sein d’une Nation a toujours, au moins dans un premier temps, engendré des réactions d’hostilités. Entre 1815 et 1914 près de 16 millions d’italiens émigrent vers les Etats-Unis ou les pays européens dont la France. L’Italie connaît un fort accroissement de sa population et son économie ne peut pas résorber l’afflux de main d’œuvre : les italiens en sont réduits à "voler ou émigrer" selon les dires. Les « italiens » sont prêts à accepter des rémunérations moins importantes et des conditions de travail plus rudes que les français et sont perçus par ces derniers comme des concurrents. La main-d’œuvre exogène, selon les économistes, permet de « fluidifier » le marché du travail. Une flexibilité accrue est nécessaire, selon eux, pour rester compétitifs face aux marchés externes.

Les réactions de rejet des immigrés italiens sont nombreuses. Ainsi par exemple, en juin 1881, les « Vêpres marseillaises » voient, durant quatre jours, des foules passionnées faire la chasse aux Italiens faisant 3 morts et 21 blessés. La parenté des cultures et des religions ne permet pas de vaincre ou de tempérer les élans xénophobes des populations autochtones. En Lorraine sidérurgique, l’activisme syndical des « italiens » se heurte à l’hostilité ouverte d’une fraction des ouvriers lorrains, moins sensibles qu’eux à l’internationalisme. La presse décrit alors l’italien comme un "voyou" ou comme un "anarchiste". A Aigues-Mortes en août 1893, c’est en brandissant le drapeau français que la population poursuit les Italiens.

Ainsi, la réaction des ouvriers de l’époque, loin de la crise de 1929 et de la montée du nazisme, s’explique tout simplement par la défense de leurs intérêts. Le recours à une main d’œuvre étrangère permet aux employeurs de faire pression sur les salaires et de s’assurer les services d’ouvriers et d’employés plus dociles.

De nos jours, la présentation n’est bien sûr pas faite ainsi et on parle plus volontiers de réformes "pro-business", visant à libérer les entreprises des "rigidités" qui pèsent sur leur compétitivité, et des mesures sont prises : plafonnement des dommages et intérêts en cas de licenciement illégal, organisation de plans de départs volontaires en dehors des plans sociaux, possibilité donnée aux entreprises multinationales faisant des bénéfices de procéder à des licenciements dans leurs filiales françaises….

Le problème n’est donc pas entre les tenants de la vertu, des droits de l’Homme, de l’ouverture au monde et des gens sans morale, xénophobes, refermés sur eux-mêmes : il s’agit plus prosaïquement d’intérêts contradictoires qui s’affrontent lorsque l’on parle d’immigration.

Il est acquis que les chefs d’entreprise sont en faveur d’une large immigration et ils sont toujours intervenus auprès de leurs représentants politiques pour qu’il en soit ainsi. Ainsi G. Pompidou dira à propos des immigrés réclamés par le patronat : « ils en veulent toujours plus ! ». Les mêmes politiciens dits de droite dénoncent pourtant avec force les méfaits de l’immigration qui ébrèche l’identité nationale (selon eux). Les opposants politiques dits de gauche s’en tiennent à une posture humaniste qui économiquement dessert la fraction du peuple dont il se réclame, ce qui ne les empêche pas eux non plus de soutenir la compétitivité des entreprises par les moyens appropriés, dont l’immigration : les cadres supérieurs ont besoin de nounous, de femmes plus jeunes que l’ancienne, de bâtiments pas trop chers bâtis par des gens mal payés…

Un exemple frappant de racisme inapparent et chic concerne la gentrification des centres villes. Il n’est évidemment pas question que des cadres aillent injurier des pauvres (blancs, arabes ou noirs) au pied de leurs immeubles pour pouvoir prendre leur place dans leur logement devenu vacant. Par contre, il est possible de mettre un terme aux quotas de logements sociaux, de remplacer des baux à durée indéterminé par d’autres à durée limitée, de ne plus contrôler l’augmentation des loyers, de laisser les prix de l’immobilier monter d’une façon vertigineuse pour augmenter la rentabilité des investissements… et en quelques années tout au plus, les CSP++ expulsent les plus démunis d’une ville avec les formes que requiert une exquise éducation.

Le racisme anti-pauvres, caché par les flots verbaux de discours moralisateurs, se retrouve également quand il s’agit d’offrir les meilleures chances aux enfants de CSP+ pour « réussir » leur vie, la vie. Aucun n’envisage évidemment que leur progéniture puisse être cantonnier. Il existe d’excellents, de bons et de moins bons établissements scolaires. L’affectation d’un élève dans une école maternelle, une école élémentaire ou un collège relevant de l’enseignement public obéit à la sectorisation : les élèves sont scolarisés dans l’établissement scolaire correspondant à leur lieu de résidence. Principe de justice, tentative de lutter contre toute ségrégation. Mais « on » pense et ‘on’ affirme que les populations ‘défavorisées’ « tirent les classes vers le bas » ! Alors « on » triche ! Avec la loi ! Avec les principes républicains ! Avec la plus élémentaire morale ! « On » falsifie des factures EDF, « on » inscrit l’enfant à des cours de trombone, « on » se fait domicilier chez une vieille marraine, « on » emménage fictivement chez un parent d’élève… ou « on » va dans le privé. L’humanisme est un idéal disent-ils, mais il faut bien s’empoigner avec la réalité.

Reste l’identité nationale revendiquée par une très large partie de ceux qui constituent les décideurs de toujours. Il est vrai que les puissants ont toujours su séparer le temporel du spirituel, et que cela ne coûte rien de clamer son attachement aux valeurs de la France si on peut faire en même temps des affaires. L’identité nationale se trouve être défendue verbalement par les CSP-, bien plus que par leurs co-nationaux. « Seul le malheureux voit des miracles » et la République une et indivisible en est un puisqu’elle inscrit à son fronton « Liberté, Égalité, Fraternité » idéal inaccessible, presque utopique, mais boussole indispensable à toute société. Les CSP- y croient, les autres ne croient plus en rien.

Il est souvent revendiqué que la culture, le savoir représentent une voie d’accès vers la sagesse qui seule permet de guider les peuples. On sait au moins depuis 1974 qu’il n’en est rien. René Dumont à l’époque proposait comme nécessaire tout ce qui se révèle indispensable aujourd’hui : les économies d’énergie, la coopération avec les pays en développement, la protection et la remédiation des sols… toutes choses qui furent noyés dans les agitations de l’instant, instants qui permettaient d’être élus, réélus, d’être confortés dans ses privilèges, qui permettaient à une classe supérieure qui ne rêve de rien d’autre que de rester supérieure de croire qu’elle y parvenait. Il est maintenant acquis que ceux qui prônent la proximité des productions et de la consommation, la valorisation du faire sur le faire-faire, la préservation des tissus culturels populaires ou non sont porteurs du seul avenir possible. Le choix a été fait de produire de plus en plus n’importe quoi en d’énormes quantités mais de médiocre qualité au prix d’une ruine de l’art des manuels. Que de temps perdu à éponger une prétendue soif de consommation que l’on mettait tant de soin à susciter. Que de temps perdu à faire entrer dans une machine à broyer ceux qui n’avaient que leur force de travail à proposer, permettant aux uns de dominer et les autres à perdre leur dignité.

Nos élites nous ont fait perdre un demi-siècle en pillant tout ce qui pouvait être pillé, en asservissant tout ce qui pouvait être asservi, en ruinant tout ce qui pouvait être ruiné : l’environnement comme le sens civique. D’élection en élection, en se raccrochant au « moins pire des candidats, on pensait éloigner un peu les périls que tous savaient menaçants. Que de temps perdu en luttes de pouvoirs, en batailles de coqs, en rodomontades stériles, alors que les temps nécessitaient efforts et grandeur : « Ce sont les élites [qui ont déliré] qui délirent, pas les gens ordinaires. »


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