 TROP TARD

mercredi 1er mai 2019
par  Hervé Mesdon
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Un soir chez Yvonne et Tommy, tout en découpant dans un magnifique jambon italien de fines tranches succulentes, Tommy nous raconta l’histoire d’un bègue à la terrasse d’un café. Le garçon : qu’est-ce que j’ vous sers ? Le bègue : Un ca… ca… ca… café puisque j’a… j’a… j’arrive jamais à dire une b… une b… une bière. Le garçon (rigolard) : Mais vous l’avez dit ! Vous venez de dire "bière". Vous voulez une bière ? Le bègue (furieux) : Non, tr… tr… trop tard !

Quelques jours plus tôt, Dominique m’avait raconté ceci en rentrant du boulot. C’était au cours d’une séance de travail en lecture avec une fillette de 6 ans rebelle à l’application de toute consigne donnée et ne supportant pas en outre que tout ne soit rempli. Sur une fiche de lecture, la fillette devait entourer le mot "chat" chaque fois qu’elle le voyait. Elle commença. Elle entoura correctement 3 ou 4 mots "chat". Puis transgressant la consigne qui sans doute l’angoissait en l’empêchant de tout remplir, elle se mit à entourer d’autres mots. Dominique : Arrête ! Regarde ! Est-ce que c’est chat, ce mot ? La fillette : Non. Dominique : Tu vois tu t’es trompée. Fais attention. La fillette : (se remettant avec frénésie et un plaisir évident à entourer au hasard) : Trop tard !

Me revient encore en mémoire une autre histoire de "trop tard". C’était peu de temps après la mort de mon père. Toute sa vie, sans avoir été un bouffeur de curé, mon père avait affiché son scepticisme quant à la religion. Quand il mourut la question ne se posa même pas et il fut enterré civilement. Quelques jours après l’enterrement, mon frère me dit qu’il n’était pas sûr que notre père finalement n’aurait pas souhaité "passer par l’église". Avec une sorte de jubilation qui m’étonna moi-même, je lui répondis : "trop tard !"

Trop tard ! Trop tard ! Trop tard ! Tous ces "trop tard" qui, tous, punissent : autopunition du bègue, punition de celle qui avec sa fiche lui créait l’angoisse pour la fillette, punition posthume de ce père avec lequel les relations n’avaient pas toujours été simples. J’ai le sentiment qu’autrefois le "trop tard" avait la banale légèreté d’une simple notation temporelle. Le temps faisait des boucles et paraissait arrêté. On n’était jamais vraiment trop tard. On se répétait parce que le temps se répétait et on avait plaisir à se répéter : on faisait ce qu’avait fait son père, on avait plaisir à faire aujourd’hui ce qu’on avait fait hier et il était rassurant de penser qu’on le ferait encore demain et que d’autres après nous le feraient aussi. C’était des fines modulations de la répétition que venait le plaisir. Répéter avait le goût du bonheur. Aujourd’hui trop tard, trop tard pour tout. Trop tard pour inventer ce qui a déjà été inventé, dire ce qui a déjà été dit, faire ce que des millions d’autres avant nous ont déjà fait. Trop tard ! Trop tard ! Faire du neuf. Nouveau Roman, Nouvelle Vague, Nouvelle Economie, Nouveaux Philosophes, Nouveaux Riches et Nouveaux Pauvres. Seule la nouveauté a sens et valeur et nous pauvres déboussolés nous nous essoufflons à courir après des trains que nous loupons les uns après les autres. Trop tard ! Trop tard !


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