https://www.traditionrolex.com/18 HOPITAL (1,2 et 3) - La Gauche Cactus

HOPITAL (1,2 et 3)

mardi 15 octobre 2019
par  Hervé Mesdon
popularité : 1%

Planté et figé tel un arbre dans pas de vent. Il n’y a que les yeux, leurs yeux qui me regardent, qui me prouvent que j’existe. Ils me regardent. Ils me sourient… Ils ont l’air content. Comme un discret parfum de victoire. Une lueur de fierté dans leurs yeux. Sont là, autour de moi. Moi, allongé dans un lit. Parfum de victoire ? Hum ! Je flotte carrément dans l’excrément. Mi-solide, mi-liquide. Ils me sourient quand même. Il y a Anaïg, ma fille. Il y a ma Dominique. Je cherche comment elle a caché ce qui lui est arrivé. Qu’est-ce qui cloche ? Caché sous ses cheveux sûrement. Elle est finaude. D’autres têtes que je ne connais pas… Si, celui-là peut-être : blouse blanche, l’œil escarbille, maigre, long cou, moustache. Je le connais ? Pas sûr…

Dominique me dit très fort que les odeurs c’est pas grave, que je peux y aller autant que ça me fait du bien, sans fausse honte. En tout cas, elle s’en est bien remise, elle, mieux que moi. Ça me soulage un peu. M’occuper d’elle j’aurais pas pu, vu mon état. C’est elle qui aura à s’occuper de moi, ça me fait presque rigoler.

Bon dieu, de bon dieu, j’ai fait un de ces voyages ! C’est comme s’ils étaient sur le quai de la gare en train d’attendre mon retour. Ils auraient dû convoquer la fanfare tant qu’à faire. Revenu d’où ? De loin c’est sûr pour être aussi mal en point. Pendant ce temps je sens que des orteils jusqu’au bout des doigts c’est tout en bouillie. Percé de partout : tubes dans le nez, bouche, gorge, sexe. Tubes, sondes et cathéters.

Quelques essais. Causer… Pas un mot qui sort. Les dents… En haut il en manque tout un stock. Plus de barbe… Imberbe, ça se dit. Vous saviez ? Pratiquement sourd. Lever un bras : m’ont attaché, les sales cons ! Curieusement je me pose pas d’questions sur le fonctionnement dans ma tête. Vu l’état du bonhomme, je vois pas ce qui peut les mettre en joie comme ça. Je prends dans une de mes mains une main de Dominique, dans l’autre une d’Anaïg, pour marquer le coup, montrer que j’existe, donner un signe. C’est tout ce que je peux faire.

Tiens, c’est Michel assis près de mon lit maintenant. Lui, il connaît. C’est un copain. Il est toubib, lui. Il doit savoir des trucs lui et comprendre. A lèvres fines, mais sans voix, j’articule : « de l’eau… de l’eau ». Michel ne comprend rien. Il panique. Je lui montre le brumisateur vittel sur la table, juste sous son nez et Michel regarde derrière lui où il n’y a rien. Il dit : « quoi, le mur ? ». Ça fout dans des rages ! Rageusement je cherche l’ardoise magique qu’on a posée à ma portée sur le lit mais qui s’est fait la malle. Je m’énerve. Michel la trouve et me la met en main, marker dans l’autre. Je vais au plus simple. J’écris :O. Michel dit : « quoi zéro ? ». Bon dieu ! J’efface tout. J’essaye autre chose. D’un marker malhabile j’écris : « date où ». C’est bon, ça passe. Michel me hurle : « 4 mai… pas changé, tu es toujours en réa ». Comme si je savais que j’avais été en réa… Il est pas clair ce mec ! L’eau tant pis. Je vais attendre la venue de quelqu’un d’autre. Je suis épuisé. .......

Dans la ja-ja morphinique il n’y a ni nuit, ni jour qui soient donnés. Tout d’un bloc. Tout électrique. A moi de découper dans la morne platitude du temps pour qu’il y ait de l’avant, du pendant et de l’après, pour que ça ait de la gueule, la vie.

Des évènements qu’il faut et tout ça doit être vrai. Plus que vrai. Beaucoup plus vrai que le réel, j’en avais le sentiment. C’est comme ça que ça tient. C’est ça qui fait tenir. Si je laisse l’incohérence se glisser là-dedans, le doute, tout serait foutu. Le cœur en aura marre de se fatiguer pour rien. La tête, marre de traîner derrière elle des fagots d’histoires mortes. Le corps, de vibrer à nerfs trop tendus, sans pisser, sans manger, sans bouger.

Il y en a eu des moments comme ça. Mais peu. Pas assez pour que ça chavire. Quand une aide-soignante vient tendre dans ma chambre des fils d’antibiotiques, les tisse en faisant de mon lit, avec moi à l’intérieur, un cocon dont je deviens la larve, c’est du vrai ça, c’est du solide. Je peux m’y accrocher, lutter, travailler là-dessus. Quand toute une nuit (nuit de coma bien sûr qui n’a rien à voir avec la réalité de la nuit), quand toute une nuit je reste éveillé (comateusement éveillé évidemment) parce que le docteur de garde de nuit voulait à tout prix me faire la peau pour se venger d’un autre toubib, voilà qui aide à survivre. Globalement je suis tout, tout ce qui se passe. Tous acculés dans leurs derniers retranchements. Sur les chapeaux de roue. Route facile. Ça va aller. Pas s’inquiéter.

De la vie, ma vie qui peut-être n’en est plus, pourrait ne plus en être, pourrait n’être qu’un chant de l’entre deux, faire un terrain d’aventure. Un champ libre vaste, ma vie ! Qui veut s’y précipite. Qui veut fait un détour pour l’éviter. Je vois que la vie au fond, ma vie au fond, elle ne vaut que par la chaleur de ceux qui ont besoin que je sois là. Le contingent en Afrique du Nord un peu avant 1960. On en connaissait tous qui en étaient revenus dans des caisses emballées des trois couleurs, d’autres avec du si cabossé partout dans la tête que jamais ils ne s’en étaient remis. Aux familles de ceux qui partaient là-bas on disait qu’ils pouvaient confier à l’armée une valise (pour quoi faire ?), une chemise bleu ciel et une cravate noire. Au cas où. Façon de les préparer à l’idée peut-être. Bien une idée de connard de militaire. Et c’était rangé où tout ça ? Eh bien ici c’était rangé à l’hôpital, service de réa.

Ça devait être tout de suite à mon arrivée dans le service, 21 avril ou 22. Sonnerie discrète mais insistante. Différente de tout ce que j’avais entendu comme sonnerie. Et quelqu’un a dit : « tiens on en a un aujourd’hui ». D’un placard on a sorti une valise en cuir vache claire, avec des lanières fantaisie, cuir plus sombre. C’était dedans que ça sonnait. Dedans il y avait aussi la chemise et la cravate. En cuir la valise ! Je me suis dit que jamais ma mère saurait faire simple. Quelqu’un a expliqué que tous les 25 ans ça sonnait comme ça et alors on faisait une courte cérémonie, un hommage en somme. Il y a eu vaguement des paroles, des musiques, des paroles de gosses. Et puis il y a eu ma mère qui m’a enfilé la chemise bleu ciel, m’a noué la cravate noire et a dit : « il a fait son temps celui-là, à son jumeau de faire le reste maintenant, chacun son tour ». J’étais un nouveau poignard orange serré dans son poing.

Je suis réveillé maintenant. J’ai fait surface. Sont tous contents. J’ai même droit aux félicitations des uns et des autres. Comme si j’y étais pour quelque chose ! Reste plus qu’à remettre tout propre à bord, chaque chose à sa place et tout sera parfait. Va falloir faire des efforts maintenant ont dit les toubibs, les aides-soignants, les infirmiers. Bien sûr qu’il va faire des efforts répondent Priscilla, Anaïg et Dominique. Pas mon mot à dire.

Pourtant le chantier c’est pas du boulot pour bricoleur. Du gros œuvre ! Réapprendre à respirer, à manger, à se tenir debout, à bouger un bras, puis deux, à avoir des dents, à mettre un pied devant l’autre, à pisser proprement, déféquer de même, réapprendre à s’habiller, à se laver, à se peigner… comme un prince, à avoir une barbe qui ait de la gueule. A se demander si c’est pas ma mère qui avait raison : allez hop, on abat tout comme les barres d’immeubles en banlieue et on remplace par du neuf. Allez, pas de pensées négatives, mec, tu vas tout droit. Pourquoi toujours ma mère au centre vénéneux de cette affaire ? Pourtant je l’ai adorée ma mère.

Premier truc « faire du fauteuil » comme ils disent. C’est bien. Un autre regard sur le monde. Mon ardoise magique je sais mieux la retrouver. Pouvez pas savoir à quel point être assis sur un fauteuil, ça change un bonhomme. Mais je fatigue vite. Au bout d’une heure, je tiens plus. Jour après jour, allonger les durées. Et puis se débrancher de la machine, respirer seulement sur oxygène. Là aussi il faut y aller petit à petit. Progrès de jour en jour. « Et puis tes yeux qui sont vifs comme avant » dit Priscilla. « Et ton teint qui est beaucoup moins blanc » dit Anaïg. Et en plus tous les louzous qu’on te donne pour que tu voies la vie en rose. Mais dans le même temps y a plein de moments je retournerais bien dans la ja-ja, personne m’emmerdait, personne à qui rendre des comptes. Ça l’énerve Dominique quand je dis ça. « Pourquoi qu’on s’est décarcassé les uns et les autres si tu avais autant envie de retourner dans ta ja-ja ? » Faut pas t’inquiéter Dominique, bien sûr que je déconne. Je dis juste ça pour faire bien, un peu cabot le mec.

On est le 28 juillet. Rentré il y a deux jours du Service de Réhabilitation Respiratoire où à la sortie de l’hosto j’ai passé un mois et demi. Trachéo, trou béant sous ma glotte équipé d’une canule plongeant dans ma trachée pour la double fonction de m’alimenter en oxygène et de me rendre la parole. Tuyau branché à la canule sortant de mon cou puis serpent blême jusqu’à une grosse bonbonne dans un coin du hall d’entrée. Trachéo, faite en réa pour me libérer de tous les tuyaux qui par le nez et la bouche me plongeaient dans le corps. M’ont dit que je devrais la garder toute ma vie. Ça a été le choc d’apprendre ça. M’ont remis à peu près d’aplomb là-bas. Je marche, je respire, je mange, je parle, je ris… Je peux même boire l’apéro, que demander de plus…


Commentaires

Brèves

22 septembre 2011 - Manifeste contre le dépouillement de l’école

A lire voire signer sur http://ecole.depouillee.free.fr Nous, collectif contre le (...)

20 avril 2010 - NON AUX RETOURS FORCES VERS L’AFGHANISTAN

A la suite du démantèlement du camp principal de Calais, le 22 septembre dernier, où résidaient (...)

31 juillet 2009 - PETITION POUR L’HOPITAL PUBLIC, A SIGNER ET FAIRE SIGNER

la pétition de défense de l’hôpital public, à faire signer au plus grand nombre possible (...)
https://www.traditionrolex.com/18 https://www.traditionrolex.com/18