AMERIQUE LATINE : LES USA ET L’OEA PARIENT SUR LA DESTABILISATION DE LA REGION MAIS BUTENT CONTRE LA RESISTANCE POPULAIRE

mercredi 23 octobre 2019
par  Aram Aharonian
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Le 11 septembre, 12 pays membres du belliqueux Traité interaméricain d’assistance réciproque (TIAR) ont approuvé une résolution selon laquelle « la crise au Venezuela a un impact déstabilisateur et représente une menace claire pour la paix et la sécurité dans le Continent américain ». Le plus déstabilisant semble être la nécessité pour les États-Unis d’Amérique de s’emparer de leur richesse énergétique et minière et de voler leurs ressources. Comme celles de l’Equateur, Bolivie, etc. Le lancement du TIAR confirme l’utilisation des secteurs civils dans les plans militaires de Washington. La récolte était le paquetazo [lourd paquet de mesures anti populaires] équatorien, la révolte populaire chilienne, le lancement d’un coup d’Etat en Bolivie et la tentative d’un « cordon sanitaire » au Venezuela. Il était évident que le « paquetazo » équatorien et la tentative de coup d’État en Bolivie allaient entraîner de fortes tensions sociales et des émeutes. D’où le scénario très original selon lequel c’est la faute de Cuba et du gouvernement vénézuélien de Nicolás Maduro. Pour la droite, la faute en revient toujours aux autres : jamais à leurs projets de misère et de faim pour la grande majorité. Mais ce que les « scénaristes » étasuniens n’avaient pas prévu, ce fut la force et la résilience de la réponse autochtone et populaire en Équateur et l’explosion chilienne, après le signal des élections primaires en Argentine du 11 août dernier. Et, de l’Uruguay, où ils n’ont toujours pas trouvé la formule permettant d’exclure le Frente Amplio du gouvernement après 14 ans de gestion. Ils n’ont pas non plus tenu compte du fait que tous les pays n’étaient pas d’accord avec les positions adoptées par le Secrétaire général de l’OEA, Luis Almagro, ni avec la mission d’observation électorale envoyée en Bolivie. La représentante permanente du Mexique auprès de l’OEA, Luz Elena Baños, a clairement indiqué qu’aucune mission ne devait s’immiscer dans les élections d’un pays et encore moins donner son avis lorsque ce n’était pas encore terminé. Son travail devait se limiter aux conseils techniques et ne pas tenter de prendre des décisions contraignantes.

« Le travail du MOE est de nature technique et non contraignante. L’article 23 de la Charte démocratique interaméricaine fournit des conseils ou une assistance, ne régit pas les élections », a poursuivi Baños, pour qui le travail des missions doit être neutre et non interventionniste. Les réactions sont apparues après que le représentant des États-Unis à l’OEA ait demandé un deuxième tour de scrutin en Bolivie, alors que le décompte officiel des voix n’était pas encore fini, tandis que les délégués du Brésil, de la Colombie, de l’Argentine, du Chili et du Canada, ont joué le jeu en répétant la voix du maître et ont parlé de prétendues fraudes dénoncées par le candidat perdant, le militant de droite Carlos Mesa (1)

Causalités occasionnelles

Trois semaines après l’invocation du TIAR, le président équatorien, Lenin Moreno, a annoncé son « paquet » économique, imposé par le Fonds monétaire international (FMI), déclenchant une contagion sociale non encore résolue. Au début de la seconde moitié d’octobre, les mesures annoncées par le président chilien, Sebastián Piñera, ont déclenché la protestation des étudiants du secondaire, qui s’est rapidement transformée en épidémie sociale, qui persiste encore. Le 20 octobre en Bolivie ont eu lieu les élections présidentielles au cours desquelles le président actuel, Evo Morales, fut réélu. L’opposition de droite a ignoré les résultats et a commencé à déstabiliser le pays. Morales a dénoncé le fait qu’une tentative de coup d’Etat orchestré est en marche depuis la droite et a appelé les organisations internationales à défendre la démocratie bolivienne.

La Bolivie, l’OEA et le coup d’État

Mercredi, une marche massive en faveur du président bolivien a rempli le centre de La Paz, tandis que l’opposition tenait sa plus forte manifestation à Santa Cruz de la Sierra, alors que se poursuivait le dépouillement final qui semblait orienté vers la confirmation de la victoire au premier tour du Mouvement Pour le socialisme (MAS), évitant ainsi le ballotage. Mais voici que la Mission d’observation des élections (MOE) de l’OEA - sans vergogne - a demandé au gouvernement d’organiser un second tour au-delà du résultat des élections.

Il existe de nettes différences dans la nature sociale de classe de ceux qui favorisent le coup d’État en Bolivie et dans les bases sociales qui dirigent les sociétés en rébellion en Équateur et au Chili, mais l’intérêt ultime est de terroriser les populations argentine et uruguayenne afin qu’elles fassent pencher leurs votes vers les candidats de droite et non au Frente de Todos argentin ou au Frente Amplio uruguayen. La déstabilisation et la tentative de coup d’État que la droite vernaculaire, avec l’appui des États-Unis et de l’OEA, développent en Bolivie quelques jours après le premier tour de scrutin dans les deux pays du Rio de la Plata et tente d’induire de la peur de situations similaires que nourrissent les droites des deux pays.

Dans ce contexte, les déclarations du secrétaire d’État des Etats-Unis pour l’hémisphère occidental, Michael G. Kozak, qui exige de la Bolivie « de rétablir la crédibilité dans le processus de décompte des voix », comme si il n’avait pas été scrupuleusement respecté, ne peuvent pas être une surprise. C’est une manière de créer dans l’imaginaire collectif qu’il y avait eu des anomalies. Après que le ministre bolivien des Affaires étrangères, Diego Pary, ait rendu publique la lettre à Almagro demandant un audit complet des résultats des élections, l’opposition, encouragée par Washington et le secrétariat de l’OEA, a empêché le dépouillement des votes, incendiant des institutions de l’État comme les infrastructures du Tribunal Suprême Electoral dans les départements (provinces) tels que Chuquisaca, Santa Cruz et Potosí.

Le cynisme de l’OEA

Le communiqué du Secrétariat Général de l’OEA est d’un cynisme sans précédent, selon lequel : « Les courants actuels de déstabilisation des systèmes politiques du continent trouvent leur origine dans la stratégie des dictatures bolivarienne et cubaine, qui cherchent à se repositionner, non pas par un processus de ré-institutionnalisation et de re-démocratisation, mais par leur ancienne méthode qui consiste à exporter la polarisation et les mauvaises pratiques, mais essentiellement de financer, soutenir et promouvoir les conflits politiques et sociaux ». La communication faite au nom de toutes les nations du continent, affirme que la crise en Équateur est une expression des distorsions que les dictatures vénézuélienne et cubaine ont installées dans les systèmes politiques du continent et ajoute : « Cependant, les événements récents ont également montré que la stratégie intentionnelle et systématique des deux dictatures de déstabiliser les démocraties n’est plus efficace comme par le passé » Et il préconise également la possibilité d’intervenir (par le biais de TIAR ?) Pour « protéger les principes démocratiques et les droits de l’homme, et pour les défendre lorsqu’ils sont menacés », et « pour s’attaquer aux facteurs de déstabilisation organisés par la dictature vénézuélienne et Cubaine ».

Équateur, le dialogue brisé. Quelle est la suite ?

La mobilisation du peuple équatorien allait au-delà de la direction de la Confédération des nationalités autochtones de l’Équateur (COAIE) - certains dirigeants voulaient l’étouffer - tandis que le gouvernement Moreno montrait ses racines de classe, subordonnées aux mandats de Washington et du FMI. Mais pas seulement le président en sort avec du plomb dans l’aile, mais aussi les cadres de droite comme Jaime Nebot, Cynthia Viteri, Guillermo Lasso, Abdalá Bucaram et les « socialistes » de Carlos Ayala. Aussi le correísme (de Rafael Correa) a terminé « cramé » et a payé le coût de sa logique caudillesque. Lorsqu’il était au gouvernement, il a essayé de coopter le mouvement indigène. Il n’a même pas essayé de le soustraire à l’influence des ONGs social-démocrates et des sectes religieuses étrangères, mais au contraire il l’a acculé et ne l’a pas intégré dans le processus de changement. Ceux qui, de l’extérieur, ont tracé les plans de Moreno ont réussi pour le moment à empêcher la formation d’un large front. Son but était de détruire le correisme : ils ont emprisonné leur chef principal, le gouverneur de Pichincha, Paola Pabón et forcé l’ancienne présidente de l’Assemblée nationale, Gabriela Rivadeneira, à demander l’asile à l’ambassade du Mexique.

Le mercredi 23 janvier, le président de la CONAIE, Jaime Vargas, a annoncé que l’organisation avait décidé de suspendre le dialogue avec le gouvernement, qu’ils entretenaient depuis le 13 octobre qui avait mis fin aux violentes manifestations antigouvernementales. « Nous nous sommes arrêtés parce qu’il n’y a pas eu de dialogue », a déclaré Vargas. Vargas a dénoncé le fait que le gouvernement avait entrepris une persécution contre les dirigeants de la CONAIE. « Nous ne pouvons pas être à la table de dialogue pendant qu’ils nous poursuivent ». Vargas fait partie des personnes persécutées et un procès a été ouvert pour avoir parlé à Macas de la formation d’une armée indigène.

Chili et les faux positifs (2)

Le Chili est un pays où la « première dame » (épouse du président Piñera) craint l’invasion extraterrestre et demande à ses amis bourgeois de réduire leurs « privilèges ». Le président de la Commission des droits de l’Homme du Sénat, Alejandro Navarro, a annoncé la demande de visite d’une mission de travail et d’observation de la Commission interaméricaine des Droits de l’Homme et un observateur de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU, dirigée par Michelle Bachelet. La Commission des droits de l’homme de l’OEA (CIDH) s’est déclarée préoccupée par les plaintes déposées auprès de l’Institut national des droits de l’homme au sujet de violences sexuelles, de déshabillage forcé et de tortures dans le contexte de l’arrestation de manifestants. « Le Chili doit enquêter sur ces faits et les punir avec diligence, ainsi que les actions de la police et de l’armée conduisant à un recours disproportionné à la force contre des civils. L’usage de la force doit être régi par les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité », a déclaré la CIDH. Il y a eu tout d’abord les coups, les humiliations et les menaces, mais au cours des dernières heures, les tortures et les viols de femmes au Chili sont devenus une réalité. L’état d’exception mis en place par le gouvernement de Sebastián Piñera a entraîné les pratiques de la dictature, y compris en ce qui concerne les disparitions. Nombre de femmes arrêtées jusqu’à présent sont portées disparues, ont dénoncé les agences humanitaires. En outre, les personnes emprisonnées à Santiago du Chili ont été déshabillées devant le personnel masculin, palpées sur leurs parties génitales et « ont mis la pointe du fusil dans leur vagin tout en menaçant de les violer et de les tuer », comme l’indiquent les témoignages recueillis par leurs compagnes de détention D’autres plaintes font état de détenus « crucifiés » au commissariat de Peñalolén et d’actes de torture au métro Baquedano à Santiago.

En temps de guerre, la première victime est toujours la vérité. Il en va de même dans ces guerres de cinquième génération, où l’information joue un rôle important dans la perception, le sentiment de la citoyenneté. La lutte ne se déroule pas seulement dans la rue, mais aussi dans les réseaux dits « sociaux » et, surtout, dans les médias hégémoniques de communication nationaux et transnationaux. La peur du peuple a secoué la classe dirigeante, qui craint un peuple qui en a marre des abus, de la ségrégation, de l’humiliation et des inégalités. L’indignation accumulée depuis des années s’est déversée dans les rues et ne montre aucun signe de retour vers la ligne de démission qui était leur refuge. Depuis plus de 45 ans, l’opinion des citoyens n’a pas été entendue, pas plus que la sensibilité de la classe politique ne fut à même de prendre conscience des profondes inégalités du pays, de la complicité et de la corruption de la classe politique. Tout cela est remis en cause aujourd’hui. C’est une insurrection populaire spontanée et pacifique, sans direction ni programme, mais qui a intégré de vastes secteurs sociaux. C’est un malaise profond qui a non seulement des motivations économiques et qui n’a pas diminué avec l’annonce par Sebastián Piñera, toujours président, d’un agenda social, d’une offre de campagne électorale en accord avec les partis du système. Ces derniers jours, un véritable festival de démagogie a été lancé - offrant des œuvres de charité et non de justice - de la part du gouvernement et des hommes d’affaires pesant des millions de dollars dans un pays où 650 000 jeunes, âgés de 18 à 29 ans, n’étudient pas, ni travaillent ; ni ne compte les taux élevés de maladies mentales et de suicides parmi eux ; des milliers de personnes âgées seules, abandonnées, dont personne ne se soucie, avec des taux de suicide croissants.

La violence et la solitude au Chili sont une pandémie, a dénoncé Mgr Fernando Chomalí, évêque de la ville du sud Concepcion. De nombreuses informations sur ce qui se passe au Chili ont été transmises aux Chiliens et au monde entier via les réseaux sociaux. La plus grande différence avec les sondages précédents, c’est que tout le monde charge maintenant les téléphones portables et enregistre les événements. C’est la réalité réelle, disent-ils. Mais nombre de ces vidéos quittent aussi les laboratoires des services de renseignement pour imposer un imaginaire collectif d’anarchie, de protestation débridée. Une réalité virtuelle qui permet une répression plus grande et plus forte. Il y a beaucoup d’informations qui ne s’arrêtent pas. Beaucoup de désinformations encouragées par la télévision et les médias hégémoniques couvrant la ville d’Alameda Santiago, où il n’y avait ni la police ni forces armées, qui sont arrivées après pour réprimer. L’idée des laboratoires de médias est de créer l’imaginaire voulant que tout soit surpassé, de sorte que c’est la classe moyenne, le peuple, qui demande plus de répression. Des vidéos diffusées à travers les réseaux sociaux montrent que la police est la cause d’incendies et de pillages, de coups de feu dirigés contre des jeunes non armés et de confrontations, qui sont aujourd’hui identifiés par les programmes de reconnaissance faciale de la sécurité de l’État.

Ne sous-estimez pas cette droite qui est au pouvoir depuis 46 ans, et pour laquelle les services de renseignement sont bien conseillés par des experts étasuniens et israéliens. Une des stratégies du pouvoir est de mettre les gens les uns contre les autres, pour pouvoir valider les actions programmées, une plus grande répression, alertent les organisations sociales. Des médias hégémoniques déclarent que des maisons sont pillées, et c’est vrai. Et les forces de police les ont laissés faire, dans les quartiers des classes moyenne et supérieure, de sorte que plus tard, les gens demandent en hurlant, davantage des militaires dans la rue et davantage de sécurité. Il s’agit de créer dans l’imaginaire collectif la nécessité d’une plus grande présence policière et militaire pour reprendre le pouvoir, sans qu’il y ait un large spectre de la population pour mettre en cause les mesures. Il est nécessaire de rester alertes. Le président des Etats-Unis est capable de tout excès ou abus pour étayer sa, de plus en plus difficile, réélection avec sa tête en attente d’un procès politique.

1) Carlos Mesa ex président Bolivien résident à Miami -appelé « El Gringo » parce qu’il parle espagnol avec un accent yankee- est parachuté à nouveau comme candidat par les USA. (2) l’expression vient de Colombie où le gouvernement a déclaré des morts communs comme des guérilleros tués par la police ou l’armée (3) Lire : Violations et disparitions, la répression cachée au Chili sur http://www.elcorreo.eu.org

Aram Aharonian est journaliste et communicologue uruguayen. Master en intégration et fondateur de Télésur. Il préside la Fondation pour l’intégration latino-américaine (Fila) et dirige le Centre latino-américain d’analyse stratégique(Clae). Texte paru dans CLAE (www.estrategia.la) et traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par Estelle et Carlos Debiasi


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