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LA PREFECTURE DE POLICE DE PARIS DE M. PAPON A D. LALLEMENT EN PASSANT PAR M. GRIMAUD

mercredi 10 juin 2020
par  Andy Crups
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Décidément il est encore confirmé que l’on a bien du mal à retenir des leçons de l’histoire concernant la Préfecture de Police de Paris. La PP est de retour et la vieille dame que l’on aurait pu croire remise enfin dans sa sphère de compétence a réalisé un retour en force pour parvenir jusqu’à disparaître même de l’organigramme du Ministère de l’Intérieur, pourtant garni depuis quelques années d’une direction générale de la Gendarmerie, autre force de Police héritée de la construction historique des forces de sécurité intérieure. Pendant toute son histoire la Préfecture de Police de Paris a régulièrement été précurseur en matière de police pour le meilleur et parfois pour le pire. Son caractère spécifique étant une proximité immédiate avec tous les pouvoirs exécutifs, elle est parvenue tout comme la gendarmerie pour d’autres raisons à ne jamais être totalement intégré à la Force de Sécurité d’Etat décidée en 1941.

Pourtant tout aurait pu basculer dans l’après-guerre tant la PP avait été utilisée par le régime de collaboration de Vichy. Pourtant grâce à la libération de Paris durant laquelle notamment les syndicats de policiers vont agir activement, la PP va se voir décerner la légion d’honneur et va être réinstallée dans son rôle de « Police de Paris ». La PP après quelques purges en interne va alors se poser en interlocuteur direct du Ministre et non comme entité au sein de la Police Nationale. Dès lors elle reconstitue ses propres directions de renseignements et de police judiciaire et d’ordre public. Sa grande autonomie va atteindre sa limite lors de l’affaire Ben Barka. En effet cet opposant marocain va être enlevé en plein Paris en Octobre 1965 par plusieurs individus dont deux hommes qui présentent des cartes de police. Il ne sera jamais retrouvé en revanche les policiers sont des Inspecteurs de la « Mondaine » de la PP. Le ministre d’alors Roger Frey n’a pas été informé en temps utile, le pouvoir exécutif est excédé et le Président de la République tape du poing sur la table.

Roger Frey va donc préparer une réforme en profondeur pour remettre la PP à sa place et surtout son Préfet de Police qui n’était autre qu’un certain Maurice Papon en place depuis 1958. Ce haut fonctionnaire n’avait pourtant pas été inquiété pour les évènements du métro Charonne en 1962 durant lesquels la PP avait démontré une gestion plus que douteuse puisqu’au-delà du triste bilan humain la discutable technique d’ordre public et l’extrême brutalité avaient alors été largement dénoncées. Ce haut fonctionnaire devenu ministre sera rattrapé par son passé seulement en 1981, pour être condamné en 1998 pour complicité de crimes contre l’humanité.

L’arrivée de Maurice Grimaud

Le nouveau Préfet de Police sera Maurice Grimaud jusque-là directeur général de la Sûreté Nationale qui deviendra la Direction générale de la Police Nationale en 1969 lors de la mise en œuvre de la réforme. Maurice Grimaud en provenance de la « Police d’état » c’était un camouflet infligé volontairement à la PP qui traditionnellement disposait de Préfets acquis à la culture PP. Maurice Grimaud était un haut fonctionnaire qui avait déjà largement démontré son engagement Républicain. En 1944 il est auprès du Général De Gaulle et plus tard il occupera divers postes de Préfet. A l’âge de 21 ans il avait été témoin de la confrontation mortelle entre manifestants et force de l’ordre lors des évènements tragiques de février 1934 à Paris (manifestation anti parlementaire à l’issue de laquelle on dénombrera 1 policier et 16 manifestants tués ainsi qu’un millier de blessés). Il dispose donc d’une image assez précise du maintien de l’ordre lorsqu’il prend son poste à la PP. Il va d’ailleurs être confronté rapidement à de graves troubles à l’ordre public durant tout l’épisode de « Mai 1968 » durant lequel il demandera aux C.R.S pour la première fois de leur histoire d’intervenir à Paris. Il écrira une lettre devenue célèbre à tous les policiers intervenant en maintien de l’ordre dans laquelle il utilise la formule : « Frapper un manifestant tombé à terre c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière ». A la fin de cette crise majeure même si l’on déplore plusieurs milliers de blessés à Paris tout le monde s’accorde à penser que sans la gestion « Républicaine » de cette crise par ce Préfet le bilan aurait pu être beaucoup plus tragique.

En 1969, la PP rentre dans le rang, le Directeur général de la Police Nationale a enfin autorité sur l’ensemble de la Police Nationale dont la Police Parisienne. Le territoire de compétence de la PP est restreint à Paris Intramuros et même si celle-ci conserve ses directions spécialisées en matière de renseignements, Police judiciaire et Ordre Public, l’entité Police Nationale est constituée. Par la suite les préfets de police se sont succédé dans une forme de consensus face au pouvoir exécutif du moment. Philippe Massoni pourtant de par sa longévité de 8 ans sur le poste du à sa parfaite connaissance du monde politico-policier en tant qu’ancien commissaire et directeur des renseignements généraux, va lui aussi marquer positivement son empreinte Républicaine à la PP.

Évolution sous Nicolas Sarkozy et arrivée du "Grand Paris"

Ainsi, depuis 1969, la PP avec ses 20 000 Policiers est restée cantonnée à la capitale. Mais un ministre de l’Intérieur en 2002 qui, ayant de grandes ambitions politiques, trouve au sein de la PP une hiérarchie acquise à son discours martial. Il s’entoure d’un grand nombre d’hiérarques de culture PP. Ces chefs de la PP seront pour certains nommés en province pour dynamiser la Sécurité Publique (Direction centrale qui a la gestion de tous les commissariats sur l’ensemble du territoire). Dès lors le schéma professionnel policier devra s’inspirer de la PP mais pour des raisons évidentes cette stratégie simpliste allait se heurter à une réalité professionnelle incontournable. Pourquoi après toutes ces années, la PP avait plus subi la réforme de 1969 que réalisé sa propre révolution professionnelle ? Vraisemblablement parce que les spécificités de la PP lui ont laissé penser que le format était efficace. En effet la PP intramuros avec ses 20.000 Policiers était le schéma d’une police de riche en moyens ayant en charge une zone de surveillance extrêmement réduite. Le taux de policiers pour 10 000 habitants sur Paris est unique en France. En 2009 pour la PP intramuros (dixit la cour des comptes) c’est 50,98 alors qu’à Marseille c’est 17,28. Les budgets de la PP sont plus consistants en raison d’une proximité du pouvoir exécutif et enfin la zone de compétence est infinitésimale, Paris intramuros c’est 105.4 km² alors que pour Marseille c’est 240 km². Evidemment face à ce constat, la PP développait des arguments concernant une charge de travail surévaluée par rapport aux contraintes gouvernementales et un afflux quotidien d’une population laborieuse venue des banlieues. Il n’en reste pas moins que la PP était efficace à hauteur des moyens et certainement pas efficiente de sorte que le schéma professionnel PP n’avait rien de « magique ».

En revanche il semble que cela avait largement échappé au ministre d’alors devenu par la suite président de la République. En 2008 la PP toujours observée avec bienveillance par le nouveau pouvoir va en profiter pour se jeter sur le projet du Grand Paris. C’était inespéré pour la PP de pouvoir reconquérir une compétence Francilienne. Pour bien impulser son nouveau développement c’est un proche du président et ancien Directeur Général de la Police qui va être nommé à la Préfecture de Police en la personne de Michel Gaudin. Le mouvement s’amorce et, lors des évènements de Villiers-le-Bel en 2007, pour la première fois des compagnies de district de la PP (effectifs dédiés au maintien de ‘ordre) sont envoyées en renfort (sans moyens radios adaptés et avec une méthodologie de travail très différente) sortant ainsi de leur zone de compétence habituelle. En 2009, la PP va donc étendre sa compétence comme par le passé (avant 1969) sur l’ensemble des territoires de la petite couronne (75, 92, 93, 94) francilienne et disposer désormais de près de 28 000 policiers.

Mais on pourrait se dire que finalement refaire grossir la PP dans un « grand Paris » c’est rationaliser l’action de police sur un territoire donné et que cela peut correspondre à une logique. Pour cela il faut donc observer comment la PP toujours bien dotée en moyens et en personnel a-t-elle fait sa répartition sur la banlieue. De même il faut aussi observer sa capacité en matière de renseignement et d’ordre public pour s’assurer de l’intérêt de cette évolution de la PP. Pour ce qui concerne la répartition territoriale des effectifs de la PP (Source : Cour des comptes), on ne peut pas dire que les choses se sont améliorées pour les départements car si l’on en revient au taux pour 10 000 habitants, en 2018 c’est 38,47 policiers pour Paris intramuros et 19,72 pour Le département en grande difficulté de la Seine Saint Denis soit environ la moitié. Il est vrai qu’un certain nombre de directions centrales peuvent rayonner sur le département mais est-ce réellement le cas ? En 2014, pour le calcul du nombre de policiers sur le terrain en temps T (source : DSPAP) c’est 439 policiers à Paris intramuros et 202 en Seine Saint Denis soit une fois encore environ la moitié. On peut aisément mesurer que la PP comme tout au long de son histoire reste une police riche en moyens et effectifs et que son apport sur la banlieue n’est pas des plus substantiels depuis la mise en place du Grand Paris. Pour ce qui concerne ses directions spécialisés le résultat n’est pas des plus probants. L’affaire de l’attentat mené à l’intérieur des locaux de la PP par un personnel des services de renseignements PP a mis en lumière un certain nombre de dysfonctionnements. Quant au potentiel d’ordre public de la PP, il a été sollicité et observé lors de la crise dite « des gilets jaunes » et on ne peut pas dire qu’il s’est distingué des autres forces. En revanche ce que l’on a pu constater c’est que la gestion d’ensemble et que l’utilisation de nouvelles unités dites « offensives » étaient des évolutions largement sujettes à caution.

Arrivée de Didier Lallement et de sa guerre aux "fauteurs de troubles"

C’est d’ailleurs dans ce contexte que Didier Lallement a été nommé à la tête de la préfecture de Police succédant à Michel Delpuech fin connaisseur de la PP pour y avoir une bonne partie de sa carrière. Ce préfet a été « limogé » selon la formule utilisée en ces circonstances. Si l’on peur supputer sur les raisons de cette éviction, ce qui peut constituer un élément de réponse c’est le choix du successeur réputé comme étant un homme autoritaire. Il semble donc qu’après quelques mois d’agitation sociale importante il a semblé important pour le pouvoir d’abandonner la doctrine de maintien de l’ordre qui avait prévalu jusque-là et qui consistait à accompagner et encadrer les mouvements sociaux plutôt que de les réprimer. Pour les commandants d’unités dédiées au maintien de l’ordre ils savent de par leur expérience que « leur intervention ne doit jamais créer un trouble supérieur à celui existant ».

D’ailleurs les services de communication ont largement tenté d’expliquer que la doctrine avait changé comme si on changeait de doctrine comme on change de sous-vêtements ! Ainsi donc, si le nouveau Préfet a été choisi pour son côté « va t en guerre » le risque est important en matière de Paix Publique. Récemment des hauts responsables des CRS et de la Gendarmerie mobile qui restent les seules formations disposant d’une réelle culture de la gestion des foules et du Maintien de l’ordre, se sont émus des tactiques proposées par la Préfecture de Police notamment pour ce qui concerne les « nasses » qui visent à encercler les manifestants. Il semble donc que la PP a perdu sa mémoire car à la suite des évènements du métro Charonne, la règle était de ne jamais provoquer de mouvement de foule sans s’assurer de la possibilité d’échappatoires.

En tout état de cause depuis un an ses apparitions en uniforme et ses déclarations intempestives laissent à penser que ce fonctionnaire a imaginé pouvoir se métamorphoser en policier expert du maintien de l’ordre. Cependant tout semble indiquer qu’il n’a manifestement pas compris le sens premier de sa mission qui est la préservation de la paix publique alors qu’il donne l’impression de faire la guerre à des ennemis « fauteurs de troubles ». Les valeurs républicaines et le sens de la mesure doivent être le fil conducteur de l’action du Préfet de Police sous peine d’être rattrapé par la longue histoire de la PP qui a déjà connu le meilleur et le pire entre Maurice Grimaud et Maurice Papon pour ce qui concerne les Préfets de Police de la 5ème République.

Andy Crups est commandant honoraire de la Police Nationale. Ce texte est paru dans Délinquance, justice et autres problèmes de société, le précieux blog de Laurent Mucchielli (http://www.laurent-mucchielli.org)


Commentaires

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jeudi 15 octobre 2020 à 11h55 - par  Thaïs Mulot

Quoi qu’il arrive, quoi qu’on fasse, il est difficile d’espérer que nous changerons un jour et que nous retenons des leçons face aux lacunes que notre système engendre. Je ne comprends pas pourquoi les mêmes erreurs doivent toujours se répéter.

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